La Pologne a officiellement attaqué l’article 17 de la directive sur le droit d’auteur devant la Cour de justice de l'Union européenne. Selon l’État membre, la disposition relative au filtrage des contenus viole la liberté d’expression et d’information. Un argument maintes fois porté par les opposants au texte, toujours contesté par ses partisans.
La nouvelle est connue depuis mai 2019, mais elle a été officialisée le 12 août dernier au Journal officiel de l’Union européenne, comme l’a repéré Glyn Moody sur TechDirt.
Aussitôt la directive publiée, la Pologne avait fait connaître son vœu d’attaquer l’une de ses dispositions phares, à savoir l’article 17 sur le filtrage des contenus. « La directive n’assure pas la balance entre la protection des ayants droit et les intérêts des citoyens et entreprises européennes », expliquait l’État membre.
« Elle pourrait avoir un impact négatif sur la compétitivité sur le marché numérique et unique européen », ajoutait-il non sans craindre « le risque qu’elle gêne l’innovation au lieu de la promouvoir ».
Le filtrage prévu par l'article 17 pris pour cible
Le recours (C-491/19) a été introduit le 24 mai 2019 devant les juridictions européennes. Précisément, la Pologne demande l’annulation de plusieurs dispositions de l’article 17. Il s’agit de son paragraphe 4, sous b) mais aussi d’une phrase du point c), en gras dans cet extrait :
« b) [les opérateurs de plateformes] ont fourni leurs meilleurs efforts, conformément aux normes élevées du secteur en matière de diligence professionnelle, pour garantir l'indisponibilité d'œuvres et autres objets protégés spécifiques pour lesquels les titulaires de droits ont fourni aux fournisseurs de services les informations pertinentes et nécessaires; et en tout état de cause
c) ils ont agi promptement, dès réception d'une notification suffisamment motivée de la part des titulaires de droits, pour bloquer l'accès aux œuvres et autres objets protégés faisant l'objet de la notification ou pour les retirer de leurs sites internet, et ont fourni leurs meilleurs efforts pour empêcher qu'ils soient téléversés dans le futur, conformément au point b »
À titre subsidiaire, « si la Cour devait considérer que les dispositions attaquées ne peuvent être dissociées des autres dispositions figurant à l’article 17 », le demandeur conclut à son annulation intégrale.
Comme l’a montré notre schéma explicatif, ces deux briques contraignent les hébergeurs d’une part à rendre indisponible les contenus épinglés par les titulaires de droits, d’autre part à empêcher leur réapparition. Le gros mot « filtrage » a été soigneusement évité, mais le texte s’oriente bien vers cette solution. Emmanuel Macron et le gouvernement l’ont depuis expressément admis... après le vote au Parlement européen.
Violation du droit à la liberté d'expression et d'information
Mais que reproche exactement la République de Pologne, elle-même mise en cause régulièrement ? Elle « invoque, contre les dispositions attaquées de la directive 2019/790, un moyen tiré de la violation du droit à la liberté d’expression et d’information garanti par l’article 11 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ». En somme, elle craint une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et d’information.
Les dispositions mis en exergue dans cette procédure ont « pour conséquence – afin d’éviter la mise en cause de leur responsabilité – que les fournisseurs de services doivent procéder à une vérification automatique préalable (filtrage) des contenus partagés en ligne par les utilisateurs, ce qui implique par conséquent de mettre en place des mécanismes de contrôle préventif ».
Or, selon la Pologne, « de tels mécanismes mettent en cause l’essence même du droit à la liberté d’expression et à l’information et ne respectent pas l’exigence de proportionnalité et de nécessité de toute atteinte à ce droit ».
« La directive mentionne clairement qu'un équilibre doit être recherché entre les droits énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en particulier la liberté d'expression, la liberté de l'art et le droit à la propriété » expose au contraire article.13.info. Mis en ligne lors des débats par les lobbies des industries culturelles, ce site partisan assure que « la liberté d'expression est protégée contre le blocage automatique; vous pourrez toujours vous distraire en ligne ».
Une France au pas de course
Nous n’en sommes ici qu’au tout début de cette procédure. Dans quelques mois, voire plus, l’avocat général rendra son opinion, laquelle sera suivie dans le même laps de temps par l’arrêt de la cour. En attendant, le chantier de la transposition avance à grands pas en France.
Qu'on en juge. En mars, une mission sur la reconnaissance des contenus a été lancée au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, et ce dès le lendemain du vote au Parlement européen !
Le 20 juin, nous dévoilions le coeur de l’avant-projet de transposition de l’article 17, lui aussi déjà sur la rampe.
Un mois plus tard, nous publiions cette fois la future « Hadopi 3 », qui sera intégrée à la loi sur l’audiovisuel, attendue pour 2020. Une Hadopi revigorée qui devrait être appelée à intervenir d’une part pour contrôler ces mesures de filtrage et d’autre part, arbitrer les différends entre YouTubers ayant vu leurs vidéos retirées et les titulaires de droits.