La découverte de 39 galaxies invisibles ou « noires » chamboule un peu nos connaissances et « ouvre les portes de la compréhension des premiers milliards d’années de l’histoire de l’Univers ». Après la matière et l'énergie « noires », voici une nouvelle énigme à résoudre.
Une douzaine de chercheurs de plusieurs nationalités ont publié il y a quelques jours dans Nature un article intitulé : « A dominant population of optically invisible massive galaxies in the early Universe ». Ils y relatent la découverte de 39 galaxies invisibles aussi appelées galaxies « noires ».
Le CEA et le CNRS expliquent en chœur que cette nouvelle est surprenante et importante car ces galaxies « constituent le chaînon manquant de l’évolution entre deux populations de galaxies déjà connues : les nombreuses galaxies jeunes et visibles de l'univers lointain d’une part, et les galaxies "mortes" [ne formant donc plus d'étoiles, ndlr], très massives et moins lointaines d’autre part ».
Leur détection n'a pas été simple puisqu'elles sont complètement invisibles pour plusieurs télescopes, dont Hubble. Ce dernier était en effet déjà passé dans les portions du ciel où elles se trouvent sans rien remarquer, alors qu'il a fallu « moins de deux minutes » au télescope Alma une fois pointé dans la bonne direction. Explications.
Remise en cause d'une partie de nos connaissances
Pour mieux comprendre de quoi il est question, David Elbaz – astronome du CEA et coauteur de la publication scientifique – propose une analogie : « On voit des galaxies [mortes] qui sont très massives, un peu comme des squelettes de dinosaures, mais on n’a toujours pas trouvé les dinosaures. Et là, on a vu l'ère où les dinosaures vivaient. Grâce au fait que la lumière met du temps à nous arriver on voit le passé ; c'est comme si on pouvait voir les dinosaures en vie il y a 65 millions d'années ».
Ces galaxies « noires » constituent « probablement la première population de galaxies elliptiques massives formées dans l'univers jeune », une période se situant entre quelques centaines de millions à deux milliards d'années après le Big Bang. Elles « étaient adultes, mûres et massives, à une époque où les galaxies étaient censées être des bébés ».
Si leur existence n'est pas forcément une surprise, le fait qu'elles soient « étonnamment abondantes » en est une pour David Elbaz. Selon le CEA, « 90 % des galaxies massives datant du premier milliard d'années après le Big Bang formèrent leurs étoiles de manière totalement invisible au télescope Hubble ». Ce n'est pas tout : « l'abondance de poussière interstellaire très supérieure à ce que prévoient les modèles représente également un nouveau défi à expliquer pour les astrophysiciens ».
Pour l'astronome, cette découverte soulève des questions : « Nos modèles actuels sont-ils capables d'expliquer une si grande efficacité pour donner naissance en un milliard d'années à des galaxies aussi massives que la Voie lactée ? La réponse est non... Aujourd'hui avec les recettes qu'on utilise pour expliquer le reste des observations de l'univers on ne peut pas les expliquer. Il va falloir modifier un peu notre compréhension de la physique interne des galaxies ».
Il tente une conjecture « Notre idée, c'est que ces galaxies ne sont pas nées n'importe où. Elles sont nées dans des lieux privilégiés qui sont probablement ceux où vont naître les plus grandes structures de l'univers : les amas de galaxies ».
Galaxies « noires » : Hubble n'a absolument rien vu
Le satellite Hubble a scruté le ciel pendant des années, y compris les endroits où se trouvent les galaxies « noires », mais il n'avait rien remarqué. Ces galaxies sont en fait enveloppées de poussières interstellaires produisant « un effet d'écrantage en lumière visible » les rendant invisibles ; d'où la notion de « noire » en écho à la matière et l'énergie « noires ».
Les scientifiques sont en fait partis de « petites taches de lumière » sur des images du télescope spatial infrarouge Spitzer de la NASA. Leurs origines pouvaient être très variées, mais la faible résolution du télescope ne permettait pas de les identifier ou caractériser.
Oui, ils ont vérifié : au même endroit, « dans les clichés les plus profonds du télescope Hubble il n'y avait strictement rien ».
Gauche : quatre galaxies sur Hubble et Alma. Droite : cinq galaxies sur Hubble, Spitzer et Alma. Crédits : CEA/Nature
Le télescope Alma et sa cinquantaine d'antennes radio à la rescousse
Le télescope terrestre Alma (Atacama Large Millimeter/Submillimiter Array) a donc été appelé à la rescousse. Il se situe au Chili, dans le désert d'Atacama, à 5 000 mètres d'altitude. Le réseau principal d'Alma comprend une cinquantaine d'antennes de 12 m de diamètre, qui se comportent comme un unique télescope. On parle donc d'un interféromètre.
Alma est taillé sur mesure pour détecter les galaxies « noires » : « L'abondance de la poussière interstellaire est caractéristique de ces galaxies massives d'époques reculées. La poussière absorbe le rayonnement ultraviolet émis par les étoiles et réémet de la lumière dans l'infrarouge lointain qui est décalé jusqu'aux ondes submillimétriques par l'expansion de l'univers ». « On peut voir des étoiles naissantes dans des cocons de poussières dans des galaxies naissantes dans les deux premiers milliards d'années de l'univers », résume poétiquement David Elbaz.
En attendant le James Webb Space Telescope...
Pour l'astronome, cette découverte n'est que le début des travaux sur cette « mystérieuse » population de galaxies : « nous venons d'entrer dans l'ère du James Webb Space Telescope avant qu'il commence à travailler ». Le remplaçant de Hubble doit en effet être lancé en mars 2021 et couvrira une partie de l'infrarouge.
Les galaxies « noires » seront probablement l'un des enjeux majeurs pour ce satellite. Il permettra « très probablement de nous aider à réviser de façon majeure nos théories sur la formation des galaxies et donc sur l'histoire de la lumière dans l'univers ».