Après avoir laissé entrevoir une interdiction totale des machines à voter, le gouvernement maintient pour l’heure le statu quo sur le moratoire, en vigueur depuis plus de dix ans, qui empêche toute nouvelle commune d’opter pour de tels appareils.
« Soit on rouvre parce qu'on considère que le système est fiable, soit on ferme... Un moratoire n'a pas vocation à être éternel », pestait le sénateur Philippe Kaltenbach (PS), en 2015, au regard de la situation de « ni-ni » qui prévaut depuis 2007.
Suite à différents incidents survenus en cette année d’élections présidentielle et législatives (écarts entre le nombre d’émargements et de votes, notamment), les pouvoirs publics ont en effet décidé de ne plus autoriser de nouvelles communes à recourir à de tels appareils. Une situation qui perdure, puisqu’en 2017, la Place Beauvau dénombrait encore une soixantaine de villes qui utilisaient cette technique de vote, puisque habilitées à opter pour des machines à voter avant l’entrée en vigueur du moratoire.
Après des années de statu quo, le ministère de l’Intérieur a toutefois annoncé, en septembre 2017, peu après la nomination de Gérard Collomb, que différentes mesures de simplification en matière de « sécurité informatique, juridique et matérielle des scrutins électoraux » seraient « proposées, parmi lesquelles la dématérialisation de la propagande électorale, la normalisation des bulletins de vote et l’interdiction des machines à voter ».
La Place Beauvau laissait alors entendre que ces mesures seraient discutées au Parlement dès le « premier semestre 2018 ».
Des communes réticentes à abandonner leur matériel
Si l’interdiction totale des machines à voter n’a jamais été débattue à l’Assemblée ou au Sénat depuis cette « sortie » du ministère de l’Intérieur, certains parlementaires n’ont pas manqué de protester contre ce projet de réforme, notamment par le biais de questions écrites.
« Malgré les nombreux reproches qui lui sont faits, la machine à voter demeure un outil empêchant certaines pratiques frauduleuses entachant régulièrement les scrutins », faisait par exemple valoir la députée Isabelle Florennes (Modem), en août 2018. Ajoutant : « Les machines à voter permettent d'éviter les erreurs humaines qui surviennent généralement lors du dépouillement. En cela, elles représentent un véritable gain de temps. Et, contrairement au vote via Internet, souvent mis en avant, les machines à voter ne peuvent faire l'objet de détournement ou de cyberattaque puisqu'elles ne sont pas connectées, preuve supplémentaire de leur fiabilité. »
« Aucun dysfonctionnement remettant en cause la sincérité du scrutin n'a été relevé par l'État ou le juge des élections depuis le début de l'utilisation de ces machines », avançait de son côté Didier Le Gac (LREM), en mars 2018, avant de demander que le moratoire de 2007 soit purement et simplement levé.
De nouveaux risques
Le ministère de l’Intérieur vient toutefois de répondre à plusieurs parlementaires que les machines à voter continuent de soulever de « sérieuses difficultés » : « allongement des temps d'attente dans les bureaux équipés, coût élevé pour les communes et l'État (entre 4 000 et 6 000 euros en 2007 pour l'achat d'une machine, auxquels s'ajoutent les frais d'entretien, de stockage et de formation), et surtout méfiance des citoyens devant l'impossibilité de recompter physiquement des bulletins de vote ».
La Place Beauvau rappelle en outre qu’un rapport sénatorial de 2014 avait préconisé de proroger le moratoire de 2007, au motif que les machines à voter « ne peuvent garantir ni la conformité du choix de l'électeur, ni l'absence de dysfonctionnement dans l'enregistrement des suffrages ».
Surtout, l’exécutif fait valoir que « le niveau élevé de risques « cyber », tels que ceux qui ont récemment caractérisé les scrutins législatif et présidentiel de 2017, doit désormais être pris en compte ». « L'obsolescence technique » des machines utilisées par les communes est tout particulièrement pointée du doigt.
Le Sénat s’était d’ailleurs inquiété du vieillissement de ces appareils, l’année dernière, au travers d’un second rapport consacré au vote électronique (mais aux conclusions diamétralement opposées à celles de 2014). « L’État n’ayant pas agréé de nouveaux modèles de machines à voter depuis plus de dix ans, les appareils utilisés sont proches de l’obsolescence. À titre d’exemple, ils fonctionnent toujours sous Windows 95, alors que ce logiciel n’est plus mis à jour depuis de nombreuses années », alertaient les rapporteurs, Jacky Deromedi (LR) et Yves Detraigne (Union centriste).
Les deux élus citaient au passage l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), pour qui « le maintien à long terme du moratoire est sans doute la pire des solutions : les machines acquises avant 2008 continuent à être utilisées, sans jamais être mises à jour ».
« En attendant, le moratoire est maintenu »
Officiellement, le ministère de l’Intérieur reste droit dans ses bottes. « Le gouvernement a engagé une réflexion visant à réexaminer le cadre applicable aux machines à voter, y compris pour ce qui concerne l'homologation et l'autorisation de nouveaux modèles. En attendant, le moratoire est maintenu », conclut la Place Beauvau.
Le piétinement du dossier semble toutefois d’assez mauvaise augure, d’autant que sur la dématérialisation de la propagande électorale, l’exécutif a d’ores et déjà renoncé à légiférer (voir notre article).