Une nouvelle fois, la question du référencement des condamnations pénales par les moteurs de recherche, via les articles de presse, est soumise aux plus hautes juridictions. Cette fois, la Cour de cassation a préféré surseoir à statuer sur le droit à l'oubli, dans l’attente d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne.
Un expert-comptable et commissaire aux comptes avait été condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d'amende pour des infractions commises dans le cadre de sa sphère privée. La décision du tribunal correctionnel de Metz de novembre 2011 fut confirmée en appel du 9 octobre 2013.
À l’époque, le Républicain Lorrain avait publié des articles rendant compte de ce dossier. Ces publications ont depuis été archivées sur le site de l'éditeur, mais sans être à l’abri des robots d’indexation de Google. Résultat : même des années après, une recherche associant prénom et nom de cette personne fait systématiquement remonter ce passé peu glorieux dans les premiers résultats. Avec les conséquences douloureuses que l’on imagine, pas seulement en termes d’image.
Auprès de Google comme en référé, l’intéressé avait réclamé en vain l’effacement de ces données au titre du « droit à l’oubli », plus exactement du droit à l’effacement déjà consacré par la législation antérieure au RGPD. La juridiction d’appel avait elle aussi refusé ce coup de gomme faute de « trouble manifestement illicite ».
Devant la Cour de cassation, l’expert-comptable a surtout rappelé que les traitements de données à caractère personnel relatives aux infractions et autres condamnations, des données dites sensibles, ne peuvent être mis en œuvre que par certaines institutions (juridictions, autorités publiques, auxiliaires de justice, etc.) outre la presse au titre de son droit à l’information. Pour les autres cas, il est donc nécessaire d’obtenir le consentement de la personne concernée.
Le droit à l'oubli dans les moteurs, quid des données sensibles ?
Dans l’affaire Costeja du 13 mai 2014, la Cour de justice de l’Union européenne a estimé que l’activité d’un moteur de recherche comme Google devait être qualifiée de «traitement de données à caractère personnel ». Depuis, l’effacement (ou « l’oubli ») dans les moteurs est donc devenu un droit pour les individus en particulier lorsque la collecte, l'utilisation, la communication ou la conservation de leurs données est interdite.
La Cour de cassation a toutefois préféré sursoir à statuer dans son arrêt du 5 juin, et donc repousser dans le temps sa décision. Pourquoi ? Tout simplement parce que le Conseil d’État a transmis des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne portant sur le thème des données sensibles, ignoré dans l'affaire de 2014.
Le dossier européen est toujours en cours, mais le 10 janvier 2019, l’avocat général de la CJUE a plaidé pour une approche tempérée. Avant d’effacer ces traces personnelles, l’exploitant d’un moteur de recherche devrait, selon lui, procéder à une mise en balance entre d’une part, le droit au respect de la vie privée et celui de la protection des données et, d’autre part le droit du public à avoir accès à l’information et la liberté d’expression.
Dans l’hypothèse d’un avis suivi par la justice européenne, la Cour de cassation devra s’aligner et Google se demander si en 2019, le public a toujours besoin de savoir que cet expert-comptable a fait l’objet en 2013 d’une condamnation pénale. Délicate question.