Hier, la commission des affaires culturelles n’a pas touché un cheveu à la proposition de loi sur les droits voisins, déjà adoptée en seconde lecture au Sénat. Les députés se dirigent maintenant vers un vote conforme le 23 juillet en séance.
« Si l’Assemblée nationale votait, sans le modifier, le texte adopté par le Sénat le 3 juillet dernier, la France pourrait être le premier État de l’Union européenne à opérer la transposition de l’article 15, ce qui ferait du dispositif retenu dans notre pays une source d’inspiration (pour ne pas dire un « modèle ») pour l’ensemble des autres États membres ».
Ces propos issus du rapport fait pour la commission des affaires culturelles tracent la route. Hier, les députés présents en son sein ont adopté sans modification les dernières dispositions restant en débat avec le Sénat. Seuls quatre amendements adoptés au Palais du Luxembourg ont en effet exigé ce passage en seconde lecture à l’Assemblée nationale.
Désormais l’horlogerie est réglée aux petits oignons : plus question de modifier le texte. Les derniers coups de pinceaux introduits au Sénat ont « permis d’atteindre un point d’équilibre satisfaisant qui justifie qu’il soit désormais voté sans modification » assure le député MoDem Patrick Mignola, rapporteur du texte.
Paiement des droits voisins ou action en contrefaçon
Rappelons les grands traits de cette proposition de loi : tous les sites, services et moteurs en ligne devront obtenir l’autorisation des éditeurs et agences de presse dès lors qu’ils diffusent de quelque manière que ce soit un article en ligne voire une portion de cet article.
Pourquoi ? Parce que le législateur part du principe que les premiers s’enrichissent aux dépens des seconds, ignorant au passage qu’Internet draine aussi des visiteurs sur les sites de presse.
Il ne sera toutefois pas nécessaire d’obtenir cette autorisation si la diffusion ne concerne que des « mots isolés » ou des « très courts extraits » d’un article, retrouvés sur Google, Twitter, Facebook ou n’importe quel site.
Pour éviter que la brèche ne soit exploitée, les parlementaires ont prévu que si l’extrait « se substitue à la publication de presse elle-même ou dispense le lecteur de s’y référer », alors l’exception s’évapore et l’autorisation reprendra son règne. Par exemple, « La France championne du monde de foot » permet au lecteur de savoir, sans cliquer, que la France est… championne du monde.
Que se passera-t-il faute d’autorisation ? Ces sites risqueront une action en contrefaçon des droits voisins. Pour échapper à ce couperet, ils pourront passer un accord avec les éditeurs et agences au besoin par l’intermédiaire d’une société de gestion collective, qui fera évidemment payer ses bons services.
La durée de protection des articles, et donc le droit à rémunération des éditeurs et agences, sera de deux années. L’article de 2018 titré « La France championne du monde de foot » sera rémunératoire pour l’entreprise de presse jusqu’à l’année prochaine.
La part réelle réservée aux journalistes inquiète la SCAM
Des obligations de transparence pèseront enfin sur les sites à l’endroit des éditeurs et agences, et sur ces derniers à l’endroit des journalistes. Les journalistes toucheront en effet une part « appropriée et équitable » de ces flux financiers.
Son niveau sera déterminé par accord d’entreprise, de branche ou à défaut encore, par une commission administrative paritaire. Les députés de la France insoumise ont bien tenté en dernière ligne droite d’imposer une part minimale de 50 %, mais ils ont retiré leur amendement « ruissellement ».
Au sein de cette proposition de loi, les règles relatives à la part réservée aux journalistes agacent la société civile des auteurs multimédia (SCAM). « L’expérience prouve que ce mode de négociation n’accouche jamais d’un partage équitable » déchante cette société de gestion collective, qui fut l'un des piliers de la directive Copyright. « Si quelques grands groupes de presse arrivent à négocier un généreux pourboire avec les GAFA, qu’en sera-t-il, notamment, des titres de la presse spécialisée ? Les GAFA dicteront leur loi et leurs tarifs, en menaçant de ne pas les référencer ».
Selon elle, seule une gestion collective prise en main par le Centre français d'exploitation du droit de Copie (CFC) permettrait de rééquilibrer les forces. « Comment imaginer une presse forte et indépendante si les acquis de la directive Droit d’auteur viennent servir les seuls intérêts des (plus grands) groupes de presse en ignorant ceux des journalistes ? »
Cette législation pourra avoir d’autres conséquences en ce qu’elle va entretenir des liens étroits avec les réseaux sociaux. Plus leurs articles seront présents sur les plateformes comme Facebook, plus les entreprises de presse et les agences seront en droit de percevoir une rémunération importante.
En somme, au lieu d’une indépendance de la presse, le droit voisin risque surtout de générer une accoutumance, une perfusion, avec d’ailleurs une petite prime aux mérites pour les titres « putaclics », toujours très populaires sur les réseaux sociaux.