C’est le 25 juillet, en plein cœur des vacances d’été, que les députés examineront en session extraordinaire la proposition de loi visant à introduire dans notre législation un droit voisin au profit des éditeurs et agences de presse. Le premier texte de transposition de la directive sur le droit d’auteur.
La proposition de loi fut déposée par le sénateur David Assouline (PS), très exactement le 5 septembre 2018. Soit de longs mois avant la publication de la directive au Journal officiel de l’Union européenne le 17 mai dernier. L’enjeu, clairement assumé dès le départ, fut d’anticiper au plus tôt le texte en préparation en Europe, à charge d’adapter la loi en gestation à la directive finale.
Ce travail d’adaptation a été réalisé entre le premier vote au Sénat le 24 janvier 2019 et celui de l’Assemblée nationale le 9 mai 2019. La proposition de loi est revenue en seconde lecture au Palais du Luxembourg le 3 juillet pour subir quelques modifications à la marge. La deuxième lecture à l’Assemblée nationale est programmée pour le 25 juillet.
Sauf surprise, on se dirige vers une adaptation conforme. La mécanique de cette proposition de loi reste intacte : le législateur entend soumettre les diffusions en ligne d’articles de presse à un régime d’autorisation préalable.
Le champ étant très large puisqu’il suffit qu’existe une « communication au public » d'un contenu de presse. Sites, réseaux sociaux et autres moteurs de recherches sont donc concernés. L’idée première est que les retombées dont bénéficient ces intermédiaires soient partagées ou reversées aux éditeurs et agences de presse. Elle n’est donc pas vraiment d’interdire ces partages, mais plutôt de soumettre des pans entiers d’Internet à contribution... sous peine d’action en contrefaçon.
Une rémunération, sauf en cas de très courts extraits ou mots isolés
La proposition de loi autorise en ce sens les éditeurs et agences à confier la défense de leurs intérêts à une société de gestion collective. Ils toucheront ainsi une « rémunération », de fait une compensation, « assise sur les recettes de l’exploitation de toute nature, directes ou indirectes ou, à défaut, évaluée forfaitairement ».
Le diable est évidemment dans les détails. La proposition de loi autorise l’utilisation libre « de mots isolés ou de très courts extraits d’une publication de presse ». Un combat judiciaire est donc attendu pour déterminer la frontière entre mots isolés et phrases, entre « très courts extraits » et ceux qui ne le sont plus.
Dans cet arbitrage, et pour donner un avantage certain aux éditeurs et agences, il a été prévu que cette exception ne puisse « affecter l’efficacité » de leurs droits. Et leurs droits seront affectés notamment « lorsque l’utilisation de très courts extraits se substitue à la publication de presse elle-même ou dispense le lecteur de s’y référer. »
En clair, un éditeur pourra réclamer une rémunération de Google News même pour de très petits extraits issus de ses publications dans la mesure où ils seront suffisamment bavards pour fournir l'information principale. Et puisqu’on n’imagine pas l’utilité d’extraits sans intérêt, il est fort à parier que l’éditeur et l’agence remportent systématiquement le bras de fer...
Comment sera fixée cette rémunération ? Elle tiendra compte de divers éléments « tels que les investissements humains, matériels et financiers réalisés par les éditeurs et les agences de presse, la contribution des publications de presse à l’information politique et générale et l’importance de l’utilisation des publications de presse par les services de communication au public en ligne ».
Des critères non limitatifs (« tels que ») qui laisseront aux bénéficiaires de ces sommes la liberté de trouver d’autres justifications à leur appétit rémunératoire.
Le texte n’obligera pas seulement les sites et services en ligne à payer éditeurs et agences. Ils seront en amont tenus de leur fournir « tous les éléments d’information relatifs aux utilisations des publications de presse par leurs usagers ainsi que tous les autres éléments d’information nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération ».
Une part « appropriée et équitable » pour les journalistes
De leur côté, les journalistes toucheront une quote-part. La directive est plutôt floue puisque son article 15 demande simplement aux États membres de leur réserver « une part appropriée des revenus que les éditeurs de presse perçoivent des fournisseurs de services de la société de l'information pour l'utilisation de leurs publications de presse ».
Il revient ainsi à chacun de ces pays de définir les modalités de partage des sommes perçues par les éditeurs et les agences avec les journalistes, auteurs des articles, vidéos, photos, etc.
Comment cette mesure sera-t-elle transposée en France ? Dans la dernière version de la proposition de loi Assouline, les journalistes auront droit à « une part appropriée et équitable » de ces flux rémunératoires. L’adjectif « équitable » est censé éviter que ces auteurs ne perçoivent que des atomes de poussière de miettes.
Ce sont des accords d’entreprise ou de branche qui viendront préciser les parts exactes. À défaut, une commission administrative fixera la fameuse « part appropriée ».
Les journalistes professionnels ou assimilés recevront en tout cas au moins une fois par an, « des informations actualisées, pertinentes et complètes sur les modalités de calcul de la part appropriée et équitable de rémunération qui leur est due ». C’est un décret en Conseil d’État qui en précisera les modalités concrètes.
Une affaire pendante devant la CJUE
La mise à jour de la législation européenne intervient alors qu’une affaire est pendante devant la Cour de justice de l’Union européenne. Dans ce dossier, l’éditeur VG Média s’oppose justement à Google sur fond de législation allemande sur les droits voisins en matière de presse. Selon nos informations, l’arrêt devrait être rendu le 12 septembre prochain.
Si cet arrêt concerne un droit introduit et adopté bien avant la directive sur le droit d’auteur, il est susceptible d’impacter la nouvelle législation en vigueur en Europe, notamment dans la mesure où le droit allemand prévoit justement une exception au profit des « mots isolés » ou des « très courts extraits » d’articles de presse.