Instauration d’un « indice de réparabilité » des produits électroniques, obligation pour les réparateurs de proposer des pièces d’occasion pour les ordinateurs, smartphones ou écrans, interdiction de détruire les invendus... Explications sur les mesures du projet de loi « anti-gaspillage » destinées à favoriser l’économie circulaire.
Régulièrement critiqué pour sa politique environnementale, le gouvernement dit vouloir « faire passer notre pays d’une économie linéaire à une économie circulaire ». Avec le projet de loi porté par Brune Poirson, la secrétaire d’État chargée de la Transition écologique, l'exécutif promet d' « accélérer la dynamique », en « proposant un équilibre entre la responsabilité des entreprises par l’élargissement du périmètre du principe pollueur-payeur et une meilleure information des consommateurs », notamment.
« L’objectif de cette loi est de prendre en considération l’ensemble du cycle de vie des produits, dès leur conception, et non plus seulement à partir de leur fin de vie », fait valoir le gouvernement, les yeux tout particulièrement rivés sur le secteur des nouvelles technologies.
À partir de 2021, un « indice de réparabilité » pour les produits électroniques
Suivant le modèle de l’étiquette « énergie » des appareils électroménagers (mention A, B, C...), le gouvernement souhaite qu’à compter du 1er janvier 2021, les consommateurs puissent se baser sur un « indice de réparabilité » des « équipements électriques et électroniques » (ordinateurs, téléphones, tablettes, frigos, télévisions, etc.). La mesure ne concernera donc pas les autres produits.
Si le projet de loi « anti-gaspillage » renvoie à un décret le soin de fixer les éléments utilisés pour le calcul de ce futur indice, l’étude d’impact du gouvernement en présente malgré tout les grandes lignes. « Cet indice sera établi, pour chaque catégorie de produit, sur la base des critères suivants :
- La disponibilité d’une documentation technique (e.g. vue éclatée et procédure de démontage/remontage, listes des outils nécessaires, liste des codes erreur)
- La facilité de démontage et remontage (e.g. démontable avec des outils génériques ou propriétaires, démontage sans outils),
- La disponibilité des pièces détachées (e.g. durée de disponibilité des pièces détachées et délais de mise à disposition),
- Le prix des pièces détachées (e.g. prix de la pièce détachée la plus chère de toutes les pièces par rapport au prix public indicatif du produit neuf)
Qui seront complétés par tout critère pertinent au regard des caractéristiques techniques de la catégorie de produits visée (e.g. présence d’un logiciel dans un lave-linge, d’un logiciel réinitialisable ou non). »
En pratique, il s’agira d’un mécanisme dit « en cascade », où les fournisseurs (fabricants ou importateurs) devront transmettre « sans frais aux vendeurs de leurs produits leur indice de réparabilité ainsi que les paramètres ayant permis de l’établir ». À charge ensuite pour les revendeurs d’afficher cet indice « de manière visible, y compris dans le cas de la vente à distance en ligne », souligne l’étude d’impact.
Seul l’indice global sera cependant présenté aux clients. Le gouvernement laisse néanmoins entendre – sans l’avoir formellement inscrit dans son projet de loi – que les consommateurs pourront demander à consulter la grille décomposant l’indice, critère par critère.
En cas de manquement, fabricants comme revendeurs s’exposeront à des amendes administratives pouvant atteindre 15 000 euros. L’objectif est d’une part de « stimuler la demande », et d’autre part d’inciter les entreprises « à intégrer dès la conception de leurs produits des critères de réparabilité, tendant ainsi vers des produits plus durables car plus robustes car « éco-conçus ». »
Avec cette réforme, le gouvernement espère passer d’ici cinq ans à 60 % de pannes de produits électriques et électroniques donnant lieu à une réparation dans le réseau de réparateurs français, « contre environ 40 % aujourd’hui ».
Cette mesure phare du projet de loi « anti-gaspillage » est cependant accueillie avec beaucoup de prudence. « En l’état, l’indice permettra simplement au consommateur de déterminer dans quelle mesure il pourra procéder lui-même à la réparation de l’appareil » avait par exemple réagi Alain Bazot, président de l’UFC-Que Choisir, à l’annonce de cette réforme.
Même son de cloche du côté de l’association Halte à l’obsolescence programmée, qui met en garde : « La transparence est essentielle : le détail de chaque critère conduisant à la note finale déclaré par les fabricants doit être accessible au consommateur final (et pas seulement au distributeur), afin d’assurer un indice fiable et vérifiable. Le prix des pièces détachées et des outils ainsi que l’obsolescence logicielle doivent également être pris en compte dans cet indice. »
L’UFC-Que Choisir et Halte à l’obsolescence programmée plaident d’ailleurs pour l’instauration d’un « indice de durabilité des produits », qui prendrait en compte tant la réparabilité que la fiabilité des produits.
Téléphonie, informatique, écrans... Une obligation de proposer des pièces d'occasion
Toujours dans l’optique de pousser à la réparation des produits électriques et électroniques (smartphones, ordinateurs, machines à laver, etc.), le gouvernement souhaite obliger les réparateurs à proposer des pièces d’occasion à leurs clients, à l’image de ce qui prévaut dans le secteur automobile depuis le 1er avril 2019.
À compter du 1er janvier 2021, tout « professionnel qui commercialise des prestations d’entretien et de réparation d’équipements électroménagers, de petits équipements informatiques et de télécommunications, d’écrans et de moniteurs », devra ainsi permettre aux consommateurs « d'opter pour l'utilisation (...) de pièces issues de l’économie circulaire », en alternative aux pièces neuves.
Tout réparateur qui « omettrait » de proposer des pièces d’occasion s’exposera à une amende administrative de 15 000 euros, sur le modèle de ce qui prévaut aujourd’hui pour les garagistes.
Cette obligation ne prévaudra cependant que « pour certaines catégories de pièces de rechange », précise le projet de loi « anti-gaspillage ». Un décret viendra en ce sens fixer une liste des pièces concernées, mais aussi les cas dans lesquels les professionnels seront dispensés de proposer ces pièces (soit « du fait de leur indisponibilité », soit pour « d'autres motifs légitimes »).
Ce même texte déterminera au passage « les modalités d’information » du consommateur, afin que celui-ci soit d’une part clairement informé de son droit à recourir à des pièces d’occasion, et qu’il puisse d’autre part effectuer son choix « en connaissance de cause (origine des pièces par exemple) ».
Des pièces détachées qui devront être fournies sous 20 jours
Avec cette réforme, le ministère de la Transition écologique entend faire émerger « un gisement de pièces détachées » provenant des nombreux téléphones, ordinateurs et autres appareils électriques mis au rebut chaque année. Outre une diminution du coût des réparations pour les Français, l’exécutif ambitionne au passage de réduire la production de déchets, tout en dopant « l’activité économique de réparation ».
Dans son étude d’impact, l’exécutif reconnait néanmoins que le bénéfice environnemental de la réparation « dépend (...) du type de produit, de son utilisation et des avancées technologiques ».
En matière de téléphones, par exemple, « il est préférable de faire réparer le smartphone plutôt que d’acheter un produit neuf, pour peu que l’utilisateur le conserve pendant au moins 4 mois, car elle évite la production d’un smartphone neuf ». Au rayon électroménager, en revanche, « réparer un réfrigérateur de 10 ans permet de réduire la consommation de ressources naturelles, mais il est préférable de changer le réfrigérateur par un réfrigérateur neuf en termes d’émissions de gaz à effet de serre et de consommation d’énergie primaire ».
Si les professionnels sont d’ores et déjà tenus d’indiquer aux consommateurs la durée de disponibilité des pièces détachées de leurs produits, le projet de loi « anti-gaspillage » prévoit que celles-ci devront à l’avenir être fournies dans un délai de vingt jours, contre deux mois aujourd’hui.
Interdiction de détruire les invendus, sans sanctions (pour l’instant)
Comme l’avait promis le Premier ministre, le texte porté par Brune Poirson interdira dans quelques années la destruction des invendus encore utilisables. Une mesure née suite à un reportage consacré à Amazon, et dans lequel un journaliste de Capital, embauché en tant que manutentionnaire dans l’un des entrepôts français du géant de la vente en ligne, avait réussi à filmer de gros conteneurs remplis d’objets destinés à être jetés ou incinérés : couches pour bébés, machines à café, téléviseurs, jouets, etc.
À partir de 2024, tous les producteurs, importateurs et distributeurs de « produits non alimentaires neufs » seront ainsi tenus de « réemployer, de réutiliser ou de recycler leurs invendus ». Cette obligation prévaudra dès 2022 pour les produits « soumis au principe de responsabilité élargie du producteur » (filières du textile, des pneumatiques, etc.).
Plusieurs exceptions sont toutefois prévues par le projet de loi :
- Pour les produits dont le réemploi, la réutilisation et le recyclage sont proscrits par les réglementations en vigueur.
- Pour les produits dont le réemploi, la réutilisation ou le recyclage « comportent un risque sérieux pour la santé ou la sécurité ».
- Pour les produits pour lesquels aucun recyclage n’est possible « de façon satisfaisante au regard des objectifs de développement durable ».
Des débats qui attendront la rentrée
Aucune sanction n’est formellement prévue pour les éventuels contrevenants. « Nous les déterminerons ensemble au cours du débat parlementaire », avait déclaré Brune Poirson, en juin dernier, allant jusqu’à laisser entrevoir des sanctions financières et même « pénales ».
Un dispositif de « name & shame », visant à rendre public le nom des entreprises en infraction, pourrait également être envisagé. « Je n'hésiterai pas à dénoncer celles qui ne sont pas vertueuses », avait d’ailleurs déclaré la secrétaire d’État en charge de la Transition écologique.
Cette réforme, présentée par l’exécutif comme une « première mondiale », est toutefois loin de susciter l’enthousiasme du côté des défenseurs de l’environnement. « Les entreprises qui passent leurs invendus au broyage pour les envoyer vers des filières de recyclage ne sont pas concernées par cette interdiction. Dans la mesure où il existe des filières de recyclage pour les meubles, les appareils électriques et électroniques ou le textile, dans les faits, ce texte risque d’être inopérant » nous avait par exemple expliqué Maître Émile Meunier, qui défend notamment l’association Halte à l’obsolescence programmée.
L'association Les amis de la Terre a elle aussi fait part de sa déception, au motif que le recyclage « reste de la destruction ».
Le projet de loi « anti-gaspillage » devrait être examiné par le Sénat, en première lecture, suite à la rentrée parlementaire.