Le Département du Commerce extérieur vient d’ouvrir une enquête sur la « taxe GAFA » voulue par la France. L'administration Trump cherche à savoir si ce mécanisme nuira aux entreprises américaines. Le cas échéant, elle menace la France de mesures de rétorsion.
Aujourd’hui, le Sénat français examine le projet de loi relatif à la taxe sur les services numériques.
Dans ses grandes lignes, le texte entend frapper deux activités en France. D'une part, les services d'intermédiation – à savoir la mise à disposition d'une interface numérique permettant aux utilisateurs d'entrer en contact avec d'autres utilisateurs, notamment en vue de la livraison de biens ou de la fourniture de services. D'autre part, la publicité ciblée et la vente de données à des fins publicitaires.
Modifié à la marge en commission mixte paritaire, le projet prévoit d’assujettir toutes les entreprises excédant deux seuils : 750 millions d’euros de chiffre d’affaires à l’échelle mondiale, 25 millions au titre des services fournis en France. La taxe sera alors de 3 %, à proportion des sommes encaissées en France.
Selon les estimations, le mécanisme frapperait vingt-neuf groupes non français, et un seul groupe hexagonal. Les entreprises seront en effet assujetties peu importe leur lieu d’établissement, puisque le critère retenu est celui de la fourniture en France d’un service entrant dans son champ d’application.
« Dès lors qu'une interface est consultée par un utilisateur au moyen d'un terminal situé en France, l'utilisateur est considéré comme localisé en France » résume le Sénat dans un rapport intermédiaire. C’est l’adresse IP qui serait le principal levier de détermination et, à défaut, tout autre moyen.
De l’autre côté de l’Atlantique, les autorités voient cependant d’un très mauvais œil cet édifice fiscal. Le département du Commerce extérieur a décidé d’ouvrir une enquête en s’appuyant sur la Section 301 du Trade Act de 1974.
Une fiscalité possiblement discriminatoire pour les intérêts américains
Cette disposition autorise le Représentant au Commerce extérieur à prendre les dispositions nécessaires pour faire tomber les barrières chatouillant d’un peu trop près les intérêts américains. Cette fameuse Section 301 permet de détecter les pratiques « déraisonnables » ou « discriminatoires » qui pourraient peser sur les intérêts de l’Oncle Sam, avant de possibles représailles.
Évidemment, les seuils du projet de loi suscitent déjà les inquiétudes de l’exécutif américain. « Ils ont pour effet de soumettre les grandes entreprises à la taxe sur les services numériques, des acteurs qui dans le secteur concerné ont tendance à être américains, tout en exemptant les plus petits, en particulier ceux qui opèrent uniquement en France ».
La rétroactivité de cette fiscalité au 1er janvier 2019 est également critiquée, puisque les redevables n’auront pu anticiper un texte qui n’existait pas encore. « Une politique fiscale non raisonnable » dénonce encore l'administration Trump, le doigt pointé sur l’extraterritorialité de cette taxe, le fait qu’elle frappe le chiffre d’affaires et, comble du comble, vient pénaliser des sociétés « en raison de leur succès commercial ».
D’ici le 12 août, quiconque pourra solliciter une audition publique devant le représentant du commerce extérieur à Washington. Les commentaires écrits seront également possibles et au besoin confidentiels
Amazon, eBay, Facebook et Google applaudissent, via leur lobby
Les services couverts par cette fiscalité « sont ceux où les entreprises américaines sont des leaders mondiaux », insiste encore le Commerce extérieur américain dans un communiqué. « La configuration de cette taxe et les déclarations des responsables suggèrent que la France réserve cette fiscalité à certains acteurs des nouvelles technologies basés aux États-Unis ».
« Nous sommes très préoccupés » insiste Robert Lighthizer, le représentant américain du Commerce extérieur, avant d’expliquer que c’est Donald Trump lui-même qui « a ordonné que nous examinions ses effets et déterminions si cette taxe est discriminatoire ou déraisonnable, et représente un fardeau ou une restriction pour le commerce américain ».
La Computer and Communications Industry Association applaudit non sans rappeler avoir plusieurs fois averti que de tels impôts constitueraient « une violation des engagements commerciaux internationaux ». L’Europe avait d'ailleurs envisagé un temps un tel mécanisme, avant finalement de l’abandonner.
Pour Matt Schruers, l’un des responsables de ce lobby représentant Amazon, eBay, Facebook ou encore Google, cette enquête Section 301 est « une étape cruciale dans la prévention des taxes protectionnistes touchant au commerce mondial. La proposition française ne laissait guère de choix au Commerce extérieur américain d'ouvrir une enquête pour discrimination des entreprises américaines et nous nous félicitons de cette réponse rapide. »