La Cour de cassation vient de consacrer la victoire de France Télévisions contre PlayMédia, éditeur du PlayTV.fr. Le dossier n’est pas encore totalement clos, puisqu’un arrêt du Conseil d’État est attendu cette année. Il pourrait malgré tout contraindre le groupe à ouvrir ses chaînes à la start-up.
PlayTV.fr avait été reconnu comme service de distribution de chaînes de télévision par le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Ce statut lui permet dès lors de profiter du « must carry », une obligation de reprendre les chaînes de télévision publiques. C’était exactement ce que recherchait son éditeur PlayMedia : diffuser sur son service les flux de FTV.
La société s'est régulièrement présentée comme l’un des pionniers dans les technologies permettant de diffuser des flux télévisés sur Internet, en direct, de manière sécurisée et avec géolocalisation.
Seulement, l’opération n’a pas été au goût de France Télévisions, qui voyait sans doute d’un mauvais œil l’arrivée d’un acteur empiétant sur ses plates-bandes. En 2016, le groupe qui édite Pluzz avait ainsi obtenu devant la cour d’appel de Paris la condamnation de cette start-up parisienne à payer 1,5 million d’euros de dommages et intérêts, principalement pour contrefaçon.
Pour la justice, en effet, l’obligation de « must carry » doit impérieusement respecter le droit d’auteur et les droits voisins, en ce sens qu’elle n’est pas une exception à ces monopoles. Or, selon France TV, « certains ayants droit (studios américains, détenteurs de droits sportifs) imposent des interdictions concernant la reprise sur l’internet “ouvert” des diffusions autorisées sur les réseaux hertziens, ou limitent ces reprises du signal hertzien aux seuls sites Internet des diffuseurs ».
En 2017, la patate chaude gagnait un cran. Appelés l'un et l'autre sur ce dossier épineux, le Conseil d’État puis la Cour de cassation interrogèrent la Cour de justice de l’Union européenne. Le 13 décembre dernier, celle-ci répondait laconiquement que le droit européen ne s’oppose finalement pas à l’obligation de « must carry » telle que prévue par l’article 34-2 de la loi de 1986 sur la liberté de communication.
PlayMédia gagnait cette fois une manche importante, mais qui restait à être confirmée devant les juridictions nationales. De retour devant la Cour de cassation, l’affaire s’est finalement soldée au profit de France Télévisions. La haute juridiction a dénoué le 4 juillet dernier cette pelote en confrontant l’obligation de reprise avec la définition même du distributeur de services.
La Cour de cassation refuse le statut de must carry au bénéfice de PlayTV.fr
Si le « must carry » impose cette reprise en vertu de l’article 34-2, l’article 2-1 de la même loi de 1986 définit le distributeur de services comme étant : « toute personne qui établit avec des éditeurs de services des relations contractuelles en vue de constituer une offre de services de communication audiovisuelle mise à disposition auprès du public par un réseau de communications électroniques »
Or, pour la haute juridiction, la cour d’appel a correctement interprété ces dispositions : « l’existence de relations contractuelles nouées avec l’éditeur de services de communication audiovisuelle est une condition de la mise en oeuvre de l’article 34-2, indépendante de la déclaration d’activité faite par le distributeur auprès du CSA ». En clair, il aurait dû exister un contrat entre les deux parties prenantes.
Autre chose : le même article 34-2, où se niche l’obligation, oblige les distributeurs à mettre les chaines publiques à disposition de ses « abonnés ». Or, selon les pièces produites en appel, à l'époque des faits, « Playmédia ne proposait pas à l’internaute la souscription à un abonnement, mais n’exigeait qu’une simple inscription, entièrement anonyme, pour créer un compte sur son site ».
Finalement, la Cour de cassation lui a refusé le bénéfice du statut issu de la loi du 30 septembre 1986.
PlayTV.fr et le droit de l'inclusion
Ce n’est pas tout. Playmédia utilisait la technique des liens profonds et de la transclusion (ou framing) en s’abritant derrière la jurisprudence BestWater de la Cour de justice de l’Union européenne, relative à la notion de « communication au public ». Une affaire qui permet, selon les situations, d’évincer les éventuelles actions en contrefaçon.
Ce parapluie n’a pas davantage prospéré devant la Cour de cassation, qui a consacré le droit exclusif de France Télévisions d’autoriser, ou interdire, la mise à disposition de ses programmes au public. L’entreprise a en effet victorieusement « fait valoir que la jurisprudence citée par la société Playmédia n’était applicable qu’à la protection des droits d’auteur », et non comme ici aux droits voisins. Nuance.
Confusion et action en concurrence déloyale
Enfin, la haute juridiction a consacré l’arrêt de la cour d’appel qui a souverainement détecté la présence d’un acte de concurrence déloyale, en réalité d’une certaine confusion sur le site de PlayMédia.
Pourquoi ? Sur PlayTV.fr, l’internaute qui souhaite regarder un programme France Télévisions en rattrapage « doit passer successivement par plusieurs pages portant le logo « Play TV », sans qu’une référence soit faite au site « Pluzz » de la société France Télévisions, puis visionner une publicité, avant d’accéder au service de télévision de rattrapage de ce site dont le nom est inscrit en petits caractères, en bas de la fenêtre ».
L'attente de l'arrêt du Conseil d'Etat
« Il y a une loi aujourd’hui qui prévoit une obligation de reprise des chaînes, l’arrêt de la Cour de cassation montre que si l’une des deux parties ne respecte pas cette obligation, l’autre est condamnée, regrette Charles Cappart, l’un des deux cofondateurs de PlayMédia. Il ne s’agit plus d’une obligation. On ne peut donc que constater que cette décision fait jurisprudence en rendant cette loi obsolète ».
Que va-t-il se passer maintenant ? « Nous attendons la position du Conseil d’État, relative à la mise en demeure adressée à France Télévisions leur demandant de ne pas s’opposer à la reprise des chaînes » poursuit le cofondateur, contacté par Next INpact.
En effet, un autre arrêt est attendu de la haute juridiction cette fois administrative. En juillet 2015, le Conseil supérieur de l’audiovisuel avait enjoint le groupe public de respecter le must carry de PlayMédia, mise en demeure attaquée sur le champ par France Télévisions.
Le dossier est pour le moins épineux puisque dans un avis du 20 avril 2015, le même conseil a estimé que désormais, l’offre de PlayMédia s’adresse bien à des « abonnés », une des conditions principales du must carry : « En effet, écrivait l'autorité, les utilisateurs de cette offre souscrivent, pour y accéder, à un engagement de nature contractuelle matérialisé à tout le moins par l’acceptation de conditions générales d’utilisation et par le renseignement de plusieurs informations personnelles telles que leur adresse email, leur date de naissance et leur sexe. »
PlayMédia attend désormais cette nouvelle décision pour se déterminer. La jeune entreprise innovante (JEI) avait été placée en redressement suite à sa condamnation. Elle a fait depuis l’objet d’un plan de continuation.