La Direction interministérielle au numérique dans une zone de turbulences

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Droit 6 min
La Direction interministérielle au numérique dans une zone de turbulences
Crédits : Filograph/iStock

En gestation depuis des mois, la transformation de la DINSIC en Direction interministérielle au numérique (DINUM) est sur le point d’être arbitrée. La fonction d’Administrateur général des données, jusqu’ici dévolue à Henri Verdier, pourrait disparaître. En interne, la situation est très difficile pour certains agents.

Le départ du numéro un de la Direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État (DINSIC), Henri Verdier, a manifestement laissé des traces au sein de l’institution. Il faut dire que l’intéressé a été poussé vers la sortie, fin 2018, alors qu’il entretenait des relations difficiles avec le secrétaire d’État au Numérique d’alors, Mounir Mahjoubi.

La nomination de Nadi Bou Hanna à la tête de la DINSIC est surtout loin d’être bien acceptée en interne. « Tout ça s’est fait de manière assez brutale, nous confie une source. On a l'impression d'avoir quelqu'un qui n'a pas de vision, qui se voit comme un « super DSI » au service des administrations. Alors que la DINSIC avait jusqu’ici tenté de mettre en tension les administrations, sur l'Open Data notamment. »

« Le côté stratégique passe à la trappe, embraye un autre agent. Transparence, ouverture... Tout cela ne figure malheureusement plus parmi les priorités. »

Christian Quest, qui travaillait au sein de la mission Etalab (en charge, au sein de la DINSIC, de l’ouverture des données publiques), avait d’ailleurs clairement expliqué que ce changement de cap l’avait conduit à démissionner, fin février. Contributeur notoire à OpenStreetMap, promoteur du logiciel libre, l’intéressé avait alors dénoncé la « feuille de route utilitariste et court-termiste » de Nadi Bou Hanna.

Une nouvelle feuille de route qui peine à se concrétiser

En mars dernier, Nadi Bou Hanna nous avait présenté les grandes lignes de sa stratégie (voir notre interview). Qu’il a résumé de la sorte il y a peu : « Tout doit désormais être construit autour de la valeur ajoutée que l’on est capable d’apporter collectivement à l’usager, citoyen ou agent. » Le nouveau « DSI de l’État » se refusait dans le même temps à confirmer que l’institution qu’il dirigeait était appelée à évoluer, tout en renvoyant la publication de sa feuille de route à la « mi-avril ».

Le 16 avril dernier, la DINSIC annonçait le lancement de « Tech.gouv », « le nouveau programme pour accélérer la transformation numérique du service public » – sans pour autant apporter davantage d’éléments concrets quant aux chantiers à venir...

Lundi, la DINSIC a publié une interview « maison » de son numéro un, dans laquelle Nadi Bou Hanna explique que l’institution va se concentrer « sur une sélection de 35 projets prioritaires, rassemblés dans une feuille de route résolument pragmatique ». Cette dernière n’est toujours pas rendue publique, mais le successeur d’Henri Verdier assure que ces projets seront « produits dans les trois années à venir ».

Quelques exemples sont donnés : développement d’une « carte nationale d’identité électronique » (en lien avec le ministère de l’Intérieur), poursuite des travaux sur FranceConnect et Dites-le-nous une fois, etc.

« Le plus pesant, c’est le flottement », soupire l’une de nos sources. « Voilà plus de six mois que l'on traine une initiative Tech.gouv qui ne se matérialise pas... »

« Je ne vois vraiment pas à quoi vous faites référence », réagit Nadi Bou Hanna lorsqu’on l’interroge sur les tensions internes à la DINSIC. « Au contraire, rétorque-t-il, l’organisation, les objectifs, la stratégie d’accélération du numérique public Tech.gouv ont fait l’objet d’intenses et nombreux échanges au sein de la DINSIC et avec les ministères. »

Le directeur reconnait qu’il y a « quelques nostalgiques isolés », mais se montre rassuré par les « faits » : « Nous avons eu de nombreuses candidatures internes pour participer aux différents chantiers du programme Tech.gouv, les agents souhaitent pour la très grande majorité poursuivre leur activité au sein de la DINSIC, et nous n’avons aucun problème à recruter. »

Constitution d'un réseau de Directions du numérique

C’est dans cette période compliquée pour l’institution que l’exécutif a décidé de réorganiser la DINSIC. Selon nos informations, et comme l’a révélé il y a peu Acteurs publics, un projet de décret (évoqué depuis plus d’un an, et à chaque fois reporté) est en passe de transformer la DINSIC en DINUM, pour « Direction interministérielle au numérique ».

Celle-ci travaillerait en lien avec des « Directions du numérique », installées dans chacun des ministères, et dont le rôle serait d’organiser et piloter les actions relatives notamment au « développement des usages numériques », à l’innovation, à l’exploitation « du potentiel offert par les données », etc.

L’exécutif pourrait également revoir les modalités de contrôle de l’institution sur les grands projets informatiques de l’État (Louvois, etc.). Celui-ci est actuellement obligatoire si leur montant dépasse les neuf millions d’euros.

Disparition de l’Administrateur général des données, une liquidation symbolique

Ce projet de décret, qui devrait être discuté vendredi 5 juillet lors d’une réunion interministérielle, fait également disparaître la fonction d’Administrateur général des données, dont le rôle consiste actuellement à coordonner « l'action des administrations en matière d'inventaire, de gouvernance, de production, de circulation et d'exploitation des données ». Instauré en 2014, l’AGD a ainsi participé à des chantiers pour le moins variés : de l’ouverture de données publiques (au travers du « service public de la donnée ») à l’audit du fichier TES, en passant par un soutien aux start-ups d’État ou aux Entrepreneurs d’intérêt général, etc.

Bien qu’Henri Verdier reste en vertu des textes l’Administrateur général des données (en complément à ses nouvelles fonctions d’Ambassadeur de la France pour le numérique), la fonction a toujours été « distribuée » en pratique au sein de la DINSIC, et plus particulièrement de la mission Etalab (voir notre article sur le bilan de l’AGD).

Avec le projet de décret en cours de discussion, cette fonction serait « fondue » en quelque sorte au sein de la DINUM.

La constitution d’un réseau d’administrateurs ministériels des données, bien que prévue par le plan d’action de la France pour l’OGP, est elle aussi est passe de finir à la corbeille. L’exécutif renonce en ce sens à harmoniser la fonction sur le plan réglementaire. Chaque ministère pourra certes se doter d’un administrateur des données (à l’image de ceux installés aux ministères de l’Intérieur ou de l’Environnement), mais rien ne l’y obligera.

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Nadi Bou Hanna, la semaine dernière, lors d'une audition au Sénat - Crédits : Sénat

En mars dernier, Nadi Bou Hanna nous l’avait pourtant assuré : « Il est bien prévu que ce rôle [d’AGD, ndlr] soit pleinement assumé, de même que celui des administrateurs ministériels de données. »

« Les missions relatives à la circulation de la donnée sont renforcées », maintient aujourd’hui le numéro un de la DINSIC. « C’est une composante essentielle de la politique numérique de l’État, tout comme l’innovation. »

« Concernant l’AGD, nous sortons de l’hypocrisie qui consiste à donner deux casquettes au même porteur en faisant semblant qu’elles relèvent de deux logiques différentes. Ses prérogatives ont bien vocation à être assumées par le DINUM », fait valoir Nadi Bou Hanna.

« J’ai réuni les administrateurs ministériels des données la semaine dernière pour échanger sur ce rôle croissant de la donnée, poursuit-il, et cette ambition semble largement partagée : les AMD ne souhaitent pas être uniquement un symbole, sans ressource ni pouvoir, mais souhaitent au contraire que leur voix et la politique de la circulation et de l’exploitation de la donnée soient pleinement assumées par les ministères, et par ceux qui portent la politique du numérique de ces ministères : les futurs directeurs du numérique. »

Le successeur d’Henri Verdier entend ainsi « renforcer la politique de la donnée », en faisant porter cette mission « par les directions du numérique de demain ».

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