Exclusif. Alors que le Royaume-Uni a décidé de reporter son contrôle d’accès aux sites pornos, en France, les grandes manœuvres se préparent. Une charte est sur la rampe. Mais c’est surtout dans la proposition de loi Avia qu’une disposition va permettre d’imposer des restrictions d’accès beaucoup plus rugueuses... Sous l’œil du CSA.
Outre-Manche, le contrôle d’âge à la porte-grille des sites pornographiques a été repoussé de six mois. Selon le secrétaire d’État à la Culture, Jeremy Wright, le texte souffre d’une faille juridique : faute visiblement d’avoir été notifié dans sa dernière version à la Commission européenne, il ne peut être applicable, comme initialement prévu, au 15 juillet.
En France, le sujet inspire également. En 2011, le député Christian Vanneste (LR) souhaitait dans une proposition de loi bloquer par défaut l’ensemble des sites pornos listés par une autorité administrative. Jacques Bompard (non inscrit) voulait pour sa part habiliter le ministre de l’Intérieur « à interdire la diffusion de revues à caractère pornographique quel qu’en soit le public, et à fermer l’accès aux sites internet pornographiques, à faire poursuivre les hébergeurs et diffuseurs de tels sites ou revues ».
En mai 2014, le député Daniel Goldberg militait pour l’instauration d’une signalétique sur chaque site, à l’instar des logos -10, -12, -16 ou -18 qu’on trouve sur les écrans de télévisions. En septembre 2015, Jean-Jacques Candelier (GDR) plaidait pour l'instauration d'un code d’accès aux sites pornos.
Le sujet phosphore également au sein de l’exécutif. Début 2017, Laurence Rossignol, alors ministre de la Famille sous le règne de François Hollande, avait évoqué plusieurs pistes dont encore le blocage des sites, voire le contrôle parental activé par défaut sur tous les écrans. Au sein d’un groupe de travail, d’autres idées furent échangées comme le scan de la carte d’identité, voire un croisement avec le fichier TES sur les titres sécurisés, histoire de vérifier l’âge de la personne souhaitant consulter ces contenus pour adultes.
Ces travaux étaient restés en plan, avec la présidentielle. Plus près de nous, en novembre 2017, Emmanuel Macron avait relancé le sujet, regrettant l’absence de régulation de « l'accès aux jeux vidéo, aux contenus sur Internet, aux contenus pornographiques de plus en plus diffusés ». Et le chef de l’État d’ajouter qu’« unissant monde virtuel, stéréotypes, domination et violence, la pornographie a trouvé, grâce aux outils numériques un droit de cité dans nos écoles ».
Une charte attendue fin 2018, dévoilée en 2019
C’est dans ce contexte que le 2 mars 2018, à l'occasion de la journée nationale de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants, la ministre des Solidarités et de la Santé mettait en place un groupe de travail interministériel.
Sa mission ? « Rendre effective l'interdiction d'accès des mineurs à la pornographie sur internet ainsi que la signature d'une charte d'engagements avec les professionnels du numérique pour une meilleure protection des enfants sur internet et le renforcement du soutien à la parentalité numérique ».
La charte d'engagements devait être présentée puis signée avant la fin de l'année 2018 avec les associations familiales et de protection de l'enfance et les professionnels du numérique (opérateurs, fournisseurs d'accès à internet, moteurs de recherche, éditeurs, plates-formes).
Après plusieurs mois de retard, cette charte vient d’être adressée pour signature à l’ensemble des parties prenantes. Que prévoit ce document révélé dans nos colonnes ?
Une série d'engagements à destination des opérateurs et des moteurs
Elle part du constat que les jeunes sont de plus en plus exposés à des contenus pornographiques. Une « étude IFOP/OPEN de 2017 montre une forte progression de la consultation par des mineurs de sites pornographiques (51 % en 2017 contre 37 % en 2013), à un âge de plus en plus précoce (14 ans et 5 mois en moyenne) ». Ainsi, « l'essentiel de la consommation pornographique des mineurs sur Internet s’effectue désormais via des sites gratuits (96 %), sans contrôle d’âge et sans utilisation d’un mode de paiement, d’où leur facilité d’accès. »
Selon le ministère encore, « l’exposition à la pornographie « normerait » plus qu’auparavant les pratiques sexuelles, et brouillerait les frontières entre la réalité et les représentations que celle-ci véhicule ». Parmi ces « normes », il cite l’ « expression d’une domination masculine forte qui remet en cause l’égalité femmes/hommes », les « atteintes portées à la notion de consentement », l’ « encouragement au développement du sexisme », sans oublier la réification du corps.
Face à des parents considérés comme dépassés face aux évolutions techniques, des logiciels de contrôle parental trop « peu installés », le ministère a donc élaboré une charte riche d’une quinzaine de mesures.
Dans ce fil, « l'ensemble des professionnels du numérique s'engage à proposer des outils gratuits destinés à protéger les mineurs contre toute exposition à des contenus pornographiques, fonctionnant sur l'ensemble des ordinateurs, tablettes et smartphones) et activables par les parents ».
Les différentes parties, dont les opérateurs mobiles, doivent également informer les utilisateurs sur l’existence de fonctionnalités permettant « de limiter l’accès à certains contenus pornographiques ». Les moteurs, eux, prennent l’engagement d’interdire les liens sponsorisés pour ce genre de sites.
Du côté des pouvoirs publics, l’État promet de mener « une campagne grand public » relative aux risques liés à l’exposition des mineurs aux contenus porno. Une campagne destinée à informer également sur les moyens de prévenir ces expositions « en partenariat avec les partenaires institutionnels, les professionnels du numérique et les associations ». Il devrait également valoriser « les espaces sécurisés dédiés aux mineurs de sites grand public, moteurs de recherche et plates-formes ».
Dans le lot encore, des mesures visant à mieux assurer l’éducation à la sexualité « dès l’école élémentaire », et ce « afin de proposer une meilleure information en santé sexuelle et de promouvoir l’égalité entre les sexes et le respect d’autrui. »
Une fois le document signé, un comité de suivi doit se réunir une fois par an pour proposer au besoin des évolutions des engagements portés par la charte.
Le levier pénal et administratif de la proposition de loi Avia
Ces mesures volontaristes risquent de laisser sur leur faim les partisans d’une solution bien plus musclée. Ces adeptes regardent avec plus d’intérêts les textes en gestation, à commencer par la proposition de loi Avia.
Pourquoi ? Avec son amendement CL93 rectifié, adopté mercredi en commission des lois, la députée a accentué considérablement le champ des contenus manifestement illicites devant être supprimés dans les 24 heures par les plateformes.
Parmi ces contenus, outre notamment les injures à caractère racial, sont cités ceux raccrochés à l’article 227-24 du Code pénal. Cette disposition prévoit que…
« Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, soit de faire commerce d'un tel message, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur »
Ce texte prohibe donc « le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère (…) pornographique », dès lors que ce contenu est « susceptible d'être vu ou perçu par un mineur ».
L'interdiction est très vaste puisque tous les contenus pornographiques accessibles sans paiement ni inscription préalable aux majeurs sont finalement « accessibles » également aux mineurs.
Avec une telle réforme, des associations de défense vont pouvoir dénoncer des tweets pornographiques à Twitter ou des sites XXX à Google pour en exiger le blocage d’accès, le retrait ou le déréférencement. S’il n’obtempère pas ? L’intermédiaire défaillant risquera jusqu’à 1 250 000 euros d’amende.
D'un devoir de coopération à une obligation de retrait
Pour justifier cette mesure intégrée dans sa proposition de loi, la députée se retranche derrière l’avis du Conseil d’État. Celui-ci a en effet suggéré de faire correspondre le périmètre des contenus à supprimer en 24 h avec celui des infractions déjà visées par le devoir de coopération des hébergeurs, prévu par la loi sur la confiance dans l’économie numérique (mécanisme de signalement aisément accessible, obligation d’informer les autorités publiques de leurs signalements, obligation de rendre publics les moyens consacrés à la prévention de leur diffusion).
Ce n’est pas tout. Selon la « PPL », ces plateformes devront informer promptement « les autorités publiques compétentes de toutes activités contrevenant aux dispositions [précitées] qui leur seraient notifiées et qu’exerceraient les destinataires de leurs services ». En somme, elles devront signaler aux autorités les tweets et sites en contrariété avec l’article 227-24 du Code pénal.
Le CSA, autorité de contrôle
Mieux. La proposition de loi Avia met également le CSA dans la boucle. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui devient finalement autorité de contrôle des contenus en ligne, sera chargé d’adresser aux opérateurs « des recommandations, des bonnes pratiques et des lignes directrices pour la bonne application des obligations » de retrait et blocage.
Et en cas de manquement à ce nouveau devoir de coopération, le conseil pourra engager une procédure de sanction pouvant aboutir à une amende administrative de 4 % du chiffre d’affaires annuel de la plateforme.
Avec la grande loi sur l’audiovisuel, attendue en 2020, le CSA va gagner encore de nouveaux crans de compétences. Cette loi aura notamment pour objet de transposer la directive sur les services de médias audiovisuels. À cette occasion, « le champ d’application de la directive sera élargi aux plateformes de partage de vidéos et aux réseaux sociaux, ainsi qu’à la diffusion en direct (« livestreaming ») » résume le CSA. « Ces acteurs devront alors mettre en place des mesures spécifiques, notamment en matière de protection des mineurs, de lutte contre l’incitation à la haine et de lutte contre l’apologie du terrorisme ».
Pour que la ligne soit bien tracée, le texte européen prévoit tout particulièrement en son article 6bis que « les contenus les plus préjudiciables, tels que la pornographie et la violence gratuite, [feront] l'objet des mesures les plus strictes ».
Sous le contrôle du CSA, les fournisseurs de plateformes de partage de vidéos devront ainsi prendre les mesures les plus appropriées pour protéger « les mineurs des programmes, vidéos créées par l'utilisateur et communications commerciales audiovisuelles susceptibles de nuire à leur épanouissement physique, mental ou moral ».
La proposition de loi Avia sera examiné en séance début juillet, puis à l'automne au Sénat. La loi sur l'audiovisuel sera présentée à l'approche de l'hiver par le ministre de la Culture.