La proposition de loi contre la haine en ligne a été adoptée hier en commission des lois. L’ensemble des amendements de sa rapporteur, Laetitia Avia (LREM), ont été adoptés, ainsi qu’une vingtaine d’autres. Le texte est désormais programmé pour les séances des 3 et 4 juillet.
La proposition de loi Avia est passée sans embûche en commission des lois. Rien d’anormal : le groupe LREM dispose de la majorité à l’Assemblée nationale. Mieux, le texte est soutenu par Emmanuel Macron et sept ministres ont plébiscité dans une tribune ce véhicule législatif destiné à mettre « fin à l’impunité » sur le web . Parmi eux, Cédric O, secrétaire d’État chargé du numérique, Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur ou encore Nicole Belloubet, garde des Sceaux.
Ainsi, tous les amendements de la députée ont été adoptés. Ils rectifient le cœur du dispositif, en se vissant respectueusement à l’avis du Conseil d’État, lequel regorgeait de propositions, perçues visiblement comme autant d’obligations. Bien entendu, cet avis n’est en rien une garantie de constitutionnalité puisque le dernier mot reviendra aux sages de la Rue de Montpensier.
Extension du périmètre des contenus à supprimer
L’économie de la proposition est simple : les plateformes seront tenues de supprimer les messages manifestement haineux dans les 24 heures. On pourra relire notre description de l’ensemble des amendements de Laetitia Avia.
Un point à retenir : au fil des échanges, la liste des contenus que devront supprimer a été généreusement augmentées. Twitter, Facebook, YouTube, et les autres devront retirer dans ce délai… :
- Les injures et provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison de l’origine, de l’ethnie, de la nation, de la prétendue race, de la religion, du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre ou du handicap
- L’apologie des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes de réduction en esclavage ou d’exploitation d’une personne réduite en esclavage, des crimes et délits de collaboration avec l’ennemi, des crimes d’atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique, d’agression sexuelle, de vol aggravé, d’extorsion ou de destruction, dégradation ou détérioration volontaire dangereuse pour les personnes
- Le harcèlement sexuel
- La traite des êtres humains
- Le proxénétisme
- La pédopornographie
- La fabrication, le transport ou la diffusion d’un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger ainsi que le commerce d’un tel message lorsqu’il est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur
- La provocation au terrorisme ou son apologie
- L’atteinte à la dignité de la personne humaine
Ces obligations de retrait pèseront aussi bien sur les plateformes que sur les moteurs de recherche. Mieux, un amendement UDI, lui aussi adopté, oblige ces intermédiaires à substituer « au contenu illicite un message indiquant que le contenu illicite a été retiré. »
Les députés se sont inspirés d’une disposition de la loi de 1881 relative aux injures, où un tribunal peut ordonner l’affichage de sa décision. En pratique, Twitter ou les résultats de Google pourraient donc se retrouver minés de ces messages d’information.
Les hébergeurs dans un étau
Une mesure qui n’est pas sans soulever des problèmes techniques. Comment Google traitera dans ses résultats un contenu « manifestement illicite » trouvé dans une page indexée, aux côtés d’autres contenus qui ne le sont pas ?
Surtout, la liberté d’expression pourrait faire les frais de cette proposition de loi en ce sens qu’un hébergeur pourra être incité à surcensurer des contenus pour échapper aux sanctions judiciaires envisagées, à savoir jusqu’à 250 000 euros d’amende pour une personne physique ou 1 250 000 euros pour une personne morale.
Le fait est que les surcensures seront elles aussi réprimées dans le cadre de leur devoir de coopération avec le CSA. Des coups de ciseaux trop nerveux et répétés pourront alors leur faire encourir une sanction administrative infligée cette fois par l’autorité indépendante pouvant atteindre 4 % du chiffre d’affaires mondial.
En somme, les plateformes se retrouvent dans un véritable étau.
Une question épineuse devra être tôt ou tard tranchée : l’hypothèse de conditions générales d’utilisation où un intermédiaire s’autorise à supprimer des contenus qui, sans être manifestement illicites, sont à tout le moins « choquants ». Le CSA ira-t-il jusqu’à identifier ici une surcensure illégale ?
Le Conseil constitutionnel attendu
« Oui, il y aura des erreurs ». Hier, lors des 30 ans du CSA, Anton'Maria Battesti, responsable des affaires publiques de Facebook France, répondant à notre question sur le risque d’atteinte à la liberté d’expression engendré par cette future loi, a été clair. Il a reconnu qu’il y aura des faux positifs dans le traitement des infractions signalées.
Et pour cause, « il nous reviendra de prendre une décision en 24 heures sur des cas qui prennent parfois des semaines à être jugés dans les tribunaux ».
Selon le représentant du réseau social, « le manifestement illicite reste une notion difficile à appréhender ». Il cite l’une de ses jurisprudences favorites pour illustrer cette difficulté, celle relative aux propos de Mme Boutin, assimilant l’homosexualité à « une abomination ».

« En première instance, elle a été condamnée, en appel, elle a été condamnée » se souvient-il. « Spontanément ici, cette assemblée aurait répondu ‘bien sûr que c’est illégal !, il faut que la plateforme le retire’ ». Toutefois, mardi 9 janvier 2018, « la Cour de cassation a dit que ce n’était pas illégal (…). Ce n’est pas de la malice quand je dis cela. C’est souligner qu’il y a une difficulté surtout quand on nous en imposera un délai assez court » insiste le responsable des affaires publiques.
Pour l’heure, son attention se concentre sur l’intervention du Conseil constitutionnel, à l’instar de la loi sur la manipulation de l’information où les neuf sages avaient imposé de rigoureuses règles interprétatives. « Cela permet à un moment donné d’avoir un arbitre qui siffle la fin du match. J’espère que le Conseil constitutionnel sera saisi avant l’application de la loi, non des années plus tard lors d'une question prioritaire de constitutionnalité. »
« Le CSA aura un pouvoir de sanction conséquent pour assurer la crédibilité du dispositif dans son ensemble » s’est surtout félicité hier Cédric O, toujours lors de la conférence organisée pour les 30 ans du CSA. « C’est un élargissement substantiel des pouvoirs de l’autorité, qui exigera de nouveaux moyens, y compris techniques ».