Le gouvernement a annoncé hier que la France allait interdire la destruction de tous les produits invendus (vêtements, téléphones, ordinateurs, électroménager, livres, etc.) « au plus tard fin 2023 ». La mesure est pourtant loin de convaincre totalement les associations de défense de l’environnement.
D’après le Premier ministre, Édouard Philippe, il s’agit d’une « première mondiale ». Le projet de loi sur l’économie circulaire, qui devrait être présenté le mois prochain en Conseil des ministres, introduira une « interdiction de l’élimination des invendus – des invendus neufs ou des invendus en général ».
« Nous avons décidé (...) d’avancer très rapidement en la matière » a déclaré le chef du gouvernement, ajoutant que cette réforme faisait suite aux revendications émises par les Français dans le cadre du « grand débat » national.
Brune Poirson, la secrétaire d’État en charge de la Transition écologique, avait néanmoins laissé entrevoir une telle réforme dès le mois de janvier, en réaction à un reportage de Capital consacré à Amazon. Un journaliste, embauché en tant que manutentionnaire dans l’un des entrepôts français du géant de la vente en ligne, avait réussi à filmer de gros conteneurs remplis d’objets neufs, mais destinés à la destruction : couches, machines à café, téléviseurs, jouets, etc.
650 millions euros de produits neufs jetés chaque année en France
« Ce gaspillage choque », a souligné Édouard Philippe, hier, depuis les locaux du Français Cdiscount. D’après l’exécutif, ce sont près de 650 millions d’euros de produits non alimentaires, neufs et invendus, qui seraient jetés chaque année en France. Or ceux-ci s’avèrent encore utilisables : shampoings, livres, couches pour bébé, serviettes hygiéniques, fournitures scolaires, etc.
Le Premier ministre souhaite ainsi pousser les professionnels à « faire en sorte que tout ce qui est invendu ne soit pas éliminé mais bien donné, afin de favoriser le développement de l’économie sociale et solidaire, [ou] transformé en pièces détachées, de façon à pouvoir recomposer des objets et accroître leur durée de vie ».
Plus concrètement, les producteurs, importateurs et distributeurs de produits non alimentaires neufs seraient tenus de donner, de réutiliser ou de recycler leurs invendus. Des exceptions pourraient malgré tout être fixées, par décret, par exemple pour les biens ayant une date limite de consommation ou ceux qui ne sont pas recyclables.
Brune Poirson a précisé hier soir sur RTL que cette réforme prendrait effet « fin 2021 au plus tard » pour « tous les produits où il y a une filière de recyclage qui existe déjà » (papier, déchets électroniques, etc.). Elle s’appliquera « au plus tard fin 2023 » pour tous les autres secteurs.
Entrée en vigueur progressive entre 2021 et 2023
« Notre idée, ce n’est pas de contraindre ou d’imposer. C’est de faire en sorte d’accompagner les entreprises dans la gestion de leurs stocks, de leur production, dans le recyclage de leurs produits. Bref, que nous passions à une étape nouvelle (...) pour économiser les matières et éviter ce gaspillage insupportable », a martelé le Premier ministre. Avant d’insister :
« Il ne s’agit pas de faire payer, de taxer. Il s’agit de faire en sorte que tous les acteurs économiques, les producteurs, les consommateurs, perçoivent l’intérêt collectif qu’il y a à éviter le gaspillage et à favoriser le recyclage et l’économie circulaire. »
Des sanctions seront quoi qu’il en soit prévues. « Nous les déterminerons ensemble au cours du débat parlementaire », a déclaré hier Brune Poirson, à l’Assemblée, lors des questions au gouvernement. Sur RTL, la secrétaire d’État a néanmoins promis des sanctions financières et même « pénales », sans s’avancer sur le moindre montant.
Un dispositif de « name & shame », visant à rendre public le nom des entreprises en infraction, pourrait également être envisagé. « Je n'hésiterai pas à dénoncer celles qui ne sont pas vertueuses », a d’ailleurs avancé Brune Poirson.
« Ce texte risque d'être inopérant »
Pour l’avocat Émile Meunier, qui défend notamment l’association Halte à l’obsolescence programmée, la mesure annoncée par le gouvernement pourrait toutefois se révéler « inopérante ». À l’appui d’une fuite d’avant-projet de loi, ce spécialiste du droit de l’environnement nous explique que « le texte a le mérite de poser le principe de l’interdiction des invendus neufs ».
Le problème ? « La rédaction actuelle rate la cible. » Cette ébauche offre en effet une échappatoire aux entreprises qui finissent par « recycler » leurs invendus.
« Ainsi, les entreprises qui passent leurs invendus au broyage pour les envoyer vers des filières de recyclage ne sont pas concernées par cette interdiction. Dans la mesure où il existe des filières de recyclage pour les meubles, les appareils électriques et électroniques ou le textile, dans les faits, ce texte risque d’être inopérant », prévient l’avocat.
L'association Les amis de la Terre est sur la même longueur d'onde, au motif que le recyclage « reste de la destruction ».
🗣@alma_dufour des @amisdelaterre sur la destruction d'invendus, interdit en France :
— La Matinale LCI (@LaMatinaleLCI) June 5, 2019
"On se se félicite de cette mesure, mais on pourra encore envoyer ces invendus au recyclage, or aujourd'hui, le recyclage, ça reste de la destruction"
📺 #LaMatinaleLCI pic.twitter.com/KbomXR2fTf
Pour que la future réforme soit véritablement « efficace », Maître Meunier estime que « comme pour les dons alimentaires, il faut que les fabricants et distributeurs de produits non alimentaires, ainsi que les plateformes d’intermédiation, soient obligés de passer des conventions avec des associations afin de donner leurs invendus ». Il invite également le législateur à « interdire la possibilité de déduire la TVA lorsque les entreprises détruisent leurs invendus, ce qui est autorisé actuellement ».