L’an passé, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique lançait une mission sur la preuve de l’originalité en matière de droit d’auteur. Une synthèse provisoire vient d’être dressée. Elle en appelle à une réforme du Code de la propriété intellectuelle.
La question de l’originalité d’une œuvre est un point central en matière de droit d’auteur. Sans originalité, nul droit d’auteur. Seul hic, les bases textuelles sont rares. Selon l’article L112-4 du Code de la propriété intellectuelle, « le titre d'une œuvre de l'esprit, dès lors qu'il présente un caractère original, est protégé comme l'œuvre elle-même ».
Ainsi, seul le titre est pris ici en compte. La jurisprudence a toutefois nourri ce débat afin de déterminer à partir de quand un auteur jouit d’un droit exclusif sur ses créations.
Dans un arrêt de 2011, la Cour de justice de l’Union européenne a par exemple posé que les juridictions nationales doivent vérifier « dans chaque cas d’espèce », qu’une prétendue œuvre « soit une création intellectuelle de l’auteur reflétant la personnalité de ce dernier et se manifestant par les choix libres et créatifs ».
L'épineuse question des contentieux de masse
Une telle démonstration soulève des inquiétudes au sein du secteur de la création. Comme l’avait relevé le président du CSPLA, si jusqu’à présent, « les juges s’autorisaient à apprécier l’originalité en « bloc », non œuvre par œuvre », depuis une dizaine d’années, il regrette « un durcissement jurisprudentiel sur la question de la charge de la preuve de l’originalité ». Un « durcissement » en ce sens que les juridictions exigent parfois une démonstration œuvre par œuvre, « sans généralisation possible ».
On voit rapidement poindre la difficulté s’agissant des contentieux de masse où des milliers d’œuvres sont en jeu, notamment lors des actions en contrefaçon contre des sites considérés comme « pirates » par les demandeurs. « Dans le cadre de contentieux de masse portant sur plusieurs centaines, plusieurs milliers, voire plusieurs dizaines de milliers d’œuvres contrefaites, la preuve de l’originalité de chacune des œuvres devient, pour le demandeur, un obstacle insurmontable, tant matériellement qu’en termes de coûts ».
Ainsi, « paradoxalement, plus la contrefaçon est massive, moins sa sanction peut être recherchée ».
Josée-Anne Bénazéraf, avocate qui compte comme cliente régulière la SACEM, et Valérie Barthez, directrice d'une maison d'édition, ont ainsi été chargées de trouver des pistes.
Dans une synthèse, dévoilée ci-dessous, elles considèrent que dans certains cas, le débat sur la preuve de l’originalité d’une œuvre, préalable à une action en contrefaçon, « ne devrait pas bloquer l’action du demandeur ». Ces cas sont l’absence de contestation, la mauvaise foi du défendeur ou la… copie servile.
Vers une présomption d'originalité ?
Dans le rapport final, qui devait être remis fin mars 2019, les deux juristes comptent proposer une réforme du code afin d’ajouter à l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle une mention « qui permettra de sécuriser le secteur » (en gras, ci-dessous) :
Article L. 111-1 du CPI : « L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, sauf à ce qu’elle soit dépourvue d’originalité et du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ».
Une telle adjonction, estiment-elles, permettrait :
- « de ne pas faire peser la charge de la preuve sur le demandeur, de facto ;
- de ne pas considérer l’originalité comme une « formalité » au sens de la Convention de Berne ;
- de permettre un retour à la situation antérieure : lorsque la question de l’originalité se pose réellement, le débat ne doit pas être éludé ».
En somme il reviendrait à l’autre partie de démontrer qu’une œuvre est dépourvue d’originalité, non au demandeur qui bénéficiera généralement d’une présomption.
Acté par le législateur, ce renversement de la charge de la preuve pourra irriguer d’autres branches du droit comme celui de l’hébergement où les notifications adressées à l’intermédiaire n’auront jamais à démontrer à un moment quelconque que telle œuvre présente sur un serveur est bien originale. Il reviendrait de fait à l’hébergeur de démontrer le contraire. Une situation plus que confortable, pour les ayants droit.