Alors que la formation des enseignants en matière de numérique est souvent pointée du doigt, le Sénat vient d’adopter un amendement inscrivant notamment « la maîtrise des outils et ressources numériques » au programme des écoles professorales.
« Il est grand temps aujourd’hui de nous attaquer à la racine du problème », a lancé la présidente de la commission de la culture du Sénat, Catherine Morin-Desailly : « la formation des formateurs ». Au fil d’un épais rapport présenté l’année dernière, l’élue centriste dénonçait déjà le peu d’heures consacrées à la maîtrise des outils numériques en écoles supérieures du professorat et de l’éducation (« ÉSPÉ », ex-« IUFM »).
Ces établissements chargés de former les professeurs des écoles, de collège et de lycée ne consacrent que 20 heures à cette thématique en master 1 (sur 300 à 500 heures au total), et 15 heures en master 2 (sur 250 à 300 heures). La sénatrice déplorait en outre le caractère « trop théorique » de cette formation, « alors qu'elle devrait reposer sur un apprentissage par projet afin d'amener les futurs enseignants à développer des compétences utilisables dans la pratique de leur futur métier ».
Catherine Morin-Desailly a ainsi profité de l’examen du projet de loi « pour une école de la confiance » pour déposer un amendement visant à revoir le programme de formation en ÉSPÉ, « afin que la littératie numérique devienne un axe structurant de la formation ».
Une réforme vue par l'exécutif comme « une nouvelle pierre à l'édifice »
Dans l’hémicycle du Sénat, vendredi 17 mai, la parlementaire a à nouveau insisté sur le fait que la formation des enseignants était « très insuffisante et inadaptée » en matière de numérique. « Nous constatons un effort louable, gouvernement après gouvernement, mais inachevé pour permettre aux élèves de s’intégrer dans le monde numérique » a-t-elle ajouté.
Sa proposition ? Préciser dans le Code de l’éducation que les ÉSPÉ « forment les étudiants et les enseignants à la maîtrise des outils et ressources numériques, à leur usage pédagogique ainsi qu’à la connaissance et à la compréhension des enjeux liés à l’écosystème numérique ».
Dans l’exposé des motifs de son amendement, Catherine Morin-Desailly esquisse le contenu de ces trois futurs axes de formation :
- Maîtrise des outils et ressources numériques : « prise en main, codage, maîtrise des bases algorithmiques et de leur application dans la cadre pédagogique et plus largement dans la vie du citoyen ».
- Usage pédagogique de ces outils et ressources numériques : « analyse de pratiques pédagogiques innovantes, intégration des technologies numériques dans les enseignements, notamment pour faciliter l'apprentissage et la scolarité des élèves à besoins particuliers ».
- Connaissance des cultures numériques et des usages : « fonctionnement d’Internet, connaissance et compréhension des enjeux liés à l’écosystème numérique (traitement de l’information, souveraineté des données, empreinte numérique, cyberharcèlement, etc.) ».
Le rapporteur du Sénat, Max Brisson, a appuyé l’initiative de Catherine Morin-Desailly, jugeant que le moment lui paraissait « bienvenu » : « Les maquettes des ÉSPÉ vont toutes être révisées prochainement. Comme cela vient d’être souligné, il est indispensable que celles-ci intègrent toute l’importance de la maîtrise des outils et des ressources numériques. »
Sur le banc du gouvernement, Jean-Michel Blanquer s’est lui aussi prononcé en faveur de cette réforme, vue comme « une nouvelle pierre à l’édifice » (en lien notamment avec la création, dès l’année prochaine, d’un Capes d’informatique). « Il me paraît très important de consacrer l’indispensable formation des enseignants dans le code, pour les référentiels futurs » a ajouté le ministre de l’Éducation nationale.
Rien ne permet néanmoins de savoir quel volume horaire de cours sera accordé à ces nouveaux axes de formation.
Nouveau round de débats dans le cadre du projet de loi sur la fonction publique
Ces discussions ont conduit plusieurs parlementaires à évoquer la question des logiciels libres. Différents amendements avaient en effet été déposés afin que ces programmes, que tout un chacun peut modifier ou copier, soient utilisés « en priorité » au sein des écoles et collèges. Les services de la Haute assemblée les ont toutefois jugé irrecevables, car dépourvus de lien direct avec le projet de loi « pour une école de la confiance ».
« Je trouve cela étonnant : il y a bien, me semble-t-il, un lien, certes peut-être indirect, entre l’utilisation des logiciels libres dans l’éducation nationale et la formation des futurs enseignants aux ressources numériques, qui pourrait par exemple comprendre la sensibilisation à ce type de logiciels » a fait valoir Françoise Laborde (RDSE).
L’élue fut rejointe par le communiste Pierre Ouzoulias : « Je ne comprends pas non plus que nous n’ayons pas pu débattre de manière libre – c’est le cas de le dire ! – d’un tel amendement dans notre hémicycle. Monsieur le ministre, vous le savez, au sein de votre institution, il y a eu quelques polémiques avec l’utilisation de logiciels moins libres et moins gratuits... Je pense sincèrement que la promotion d’outils libres, gratuits et dont on connaît le code source est un instrument fondamental de démocratisation et de prévention des vrais conflits d’intérêts. »
Les deux parlementaires ont même reçu le soutien de Catherine Morin-Desailly. « Encore une fois, tout est corrélé à la formation, a fait valoir la présidente de la commission de la culture. C’est la raison pour laquelle la formation de nos administrations est essentielle. »
La sénatrice a rappelé que la loi pour une République numérique de 2016 prévoyait que les administrations « encouragent l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts », tout en reconnaissant que le texte n’allait « sans doute pas assez loin ». Elle a ainsi invité ses collègues à y travailler dans le cadre du projet de loi relatif à la fonction publique, qui arrivera d’ici quelques semaines au Sénat.
« Les technologies numériques sont devenues des éléments cruciaux pour le fonctionnement de l’État et l’ensemble des politiques publiques. Mais nous constatons également trop souvent des choix par défaut de solutions commerciales les plus répandues, sans considération de la souveraineté numérique. Ces pratiques ne peuvent pas perdurer, a déclaré Catherine Morin-Desailly. Il faut avoir une certaine exigence dans le choix des solutions techniques adaptées, notamment au cœur de l’éducation nationale. »