Matériel encombrant, batteries qui ne tiennent plus la charge au bout de quelques années, réactions hostiles de la part d’individus qui n’acceptent pas d’être filmés sans leur consentement... Certaines « caméras-piétons » utilisées par les forces de l’ordre n’ont pas que des avantages, de l’aveu même du directeur général de la police nationale.
Après une phase d’expérimentation enclenchée en 2012, les caméras-piétons ont été progressivement généralisées lors du précédent quinquennat. Le gouvernement de Manuel Valls mettait alors en avant « l’effet modérateur » de ces appareils portés au niveau du torse par les policiers et gendarmes : « D’une manière générale, la captation d’images et de sons tend à dissuader les mauvais comportements et les écarts de langage des personnes contrôlées. »
Depuis, le législateur a autorisé – les yeux fermés – de nombreux autres professionnels à recourir à ces yeux électroniques (qui avaient suscité différentes réserves de la part de la CNIL) : policiers municipaux, sapeurs-pompiers, surveillants de prison, agents de sûreté de la SNCF, etc.
Les évaluations relatives à ces caméras embarquées ne courent effectivement pas les rues... Next INpact en avait révélé une, en 2017 (voir notre article). Il y a quelques jours, Mediapart a en dévoilé une autre, plus récente.
Un tiers des contrôles non filmés pour des « motifs techniques »
Ce fameux document, signé du directeur général de la police nationale, Éric Morvan, vient dresser le bilan d’une expérimentation qui s’est achevée le 1er mars 2018. Pendant un an, notamment dans certains quartiers « sensibles », les forces de l’ordre furent obligées d’activer leurs caméras en cas de contrôle d’identité. Alors qu’en temps normal, policiers et gendarmes enregistrent selon leur bon vouloir, « lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident, eu égard aux circonstances de l’intervention ou au comportement des personnes concernées ».
Au fil de son rapport, le numéro un de la police nationale explique que le décret précisant les modalités de cette expérimentation « a été signé près de deux mois après le début de l’expérimentation, qui a donc démarré "en aveugle" ». Il souligne en outre que ce test voulu par le législateur a parfois été perçu « comme une mesure de défiance vis à-vis de l’action de police », étant donné qu’il s’agissait d’une alternative aux récépissés de contrôles d’identité.
« Au total, 358 caméras ont été utilisées dans le cadre de l’expérimentation », détaille ensuite Éric Morvan. Pour arriver à un tel chiffre, il a toutefois fallu que près d’une centaine de caméras provenant de territoires non concernés par l’expérimentation soient redéployées, afin de « crédibiliser » l’initiative.
Il n’en demeure pas moins que « 33 036 contrôles d’identité ont fait l’objet d’une captation audio et vidéo au cours de l’année d’expérimentation ». Les images ainsi réalisées ont permis d’ouvrir 56 procédures d’outrage ou de rébellion. « Une seule extraction des images a été réalisée dans le cadre d’une procédure mettant en cause un policier », précise en outre le rapport.
Ce qui frappe, surtout, c’est le nombre de contrôles d’identité n’ayant pas pu être réalisés « pour des motifs techniques », selon Éric Morvan. « Ce nombre élevé atteste des limites et de l’obsolescence du matériel en dotation », avance le directeur général de la police nationale.
La liste des problèmes entourant les caméras Exavision de l’époque s’avère aussi longue que sérieusement embêtante. Ce matériel est jugé « encombrant, fragile, peu performant, obsolète (batteries qui ne tiennent plus la charge) et difficile à utiliser en situation opérationnelle »... « Indépendamment du matériel, poursuit Éric Morvan, le temps consacré au transfert des données sur le support de stockage est vécu par les policiers comme une contrainte, d’autant plus qu’il intervient en fin de vacation. »
Des policiers qui se sentent davantage « protégés »
Les policiers ont néanmoins confirmé que les caméras-piétons avaient un effet dissuasif. « Lors des situations difficiles, la caméra permet de contrôler certains individus qui, se sachant filmés, maîtrisent leurs actes et leurs propos. »
Les images réalisées par les forces de l’ordre apparaissent en outre comme un « moyen objectif de preuve : dans les situations complexes rencontrées sur la voie publique, les conditions de l’intervention apparaissent clairement ». Les policiers auraient ainsi eu « le sentiment d‘être mieux « protégés » lors de la confrontation des différentes versions rapportées par les fonctionnaires, les victimes et les mis en cause ».
La population, de son côté, n’aurait « globalement » pas montré de « défiance particulière » aux caméras-piétons, « même si elle s’interroge sur le droit à l'image ». Pour mémoire, les forces de l’ordre peuvent filmer en tous lieux, y compris au sein de domiciles privés.
Le directeur général de la police nationale reconnait surtout que les caméras-piétons sont loin d’apaiser systématiquement les tensions. « Dans les quartiers les plus difficiles, de nombreux individus ont du mal à accepter le fait d'être filmés sans leur consentement, entraînant des réactions d’hostilité pouvant conduire à des prises à partie ou à des comportements visant à se dissimuler le visage ou à fuir le contrôle. Par ailleurs, l’utilisation de la caméra suscite fréquemment une forme de réciprocité qui se traduit par l’utilisation des téléphones portables par les individus qui entourent l’intervention pour filmer les policiers. »
En guise de conclusion, le numéro un de la police nationale soutient que « la systématisation de l’enregistrement vidéo des contrôles d’identité contribuerait à garantir la traçabilité (localisation et fréquence), l’objectivité et les conditions de déroulement de ces contrôles ». Éric Morvan souligne en outre qu’une telle réforme rejoindrait « l’objectif gouvernemental de renforcer les liens de confiance entre la police et la population », dans le cadre de la « police de sécurité du quotidien » voulue par Emmanuel Macron.
L’intéressé termine néanmoins en laissant entendre que l’objectif du législateur n’en serait pas pour autant atteint. Il fait valoir en ce sens que l’enregistrement vidéo « ne constitue pas un moyen de vérifier si le contrôle sur la personne est abusif : il ne permet notamment pas de vérifier si cette personne a fait l’objet de contrôles répétés et son enregistrement étant en pratique déclenché une fois la décision du contrôle prise, il rend plus difficile le contrôle de son fondement ».
Un matériel qui « ne peut être réparé en cas de panne »
Le rapport précise enfin que les caméras utilisées pour l’expérimentation relèvent d’un marché d’acquisition et de maintenance désormais clos. « Ce matériel est donc vieillissant et ne peut être réparé en cas de panne. » En 2016, au travers d’une étude d’impact, le gouvernement indiquait que le coût d’une caméra était de 1 200 euros, « avec des tarifs préférentiels en cas de commande de masse ».
Le ministère de l’Intérieur a depuis changé de fournisseur, puisqu’il a conclu l’année dernière un contrat à 2,4 millions d’euros avec une entreprise angevine, Allwan, pour plus de 10 000 caméras-piétons. « Le matériel de base, d'origine chinoise, a été enrichi par la PME d'un logiciel d'exploitation des données vidéos capturées lors d'un contrôle. De même, l'ergonomie des caméras a été adaptée aux besoins des forces de l'ordre françaises », expliquait alors BFM Business. Les livraisons devaient débuter l’été dernier et se poursuivre jusque dans le courant de l’année 2019.