Les États membres ont adopté aujourd’hui la directive sur le droit d’auteur. Le texte est désormais fin prêt pour être transposé dans chacun des pays européens dans le délai imparti. La France, à l’avant-poste, dispose déjà d’une sérieuse longueur d’avance s’agissant de la redevance frappant les sites au profit des éditeurs de presse.
Après le Parlement européen, le Conseil de l'Union européenne a validé aujourd’hui la nouvelle directive sur le droit d'auteur. Six pays ont voté contre (Italie, Finlande, Suède, Luxembourg, Pologne et Pays-Bas), trois autres se sont abstenus (Belgique, Estonie et Slovénie). La majorité l’a donc emporté avec notamment les voix allemandes ou anglaises.
Selon la Commission européenne, à son origine, ce texte « apportera des avantages concrets aux citoyens, aux secteurs de la création, à la presse, aux chercheurs, aux éducateurs et aux institutions en charge du patrimoine culturel ».
Présenté par l’autorité bruxelloise en septembre 2016, il a été adopté par le Parlement européen en mars 2019, pour la plus grande satisfaction des secteurs concernés, la presse et l’industrie culturelle, qui n’ont pas hésité à s’allier pour lobbyer en sa faveur.
Selon Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, « l'Europe aura désormais des règles claires garantissant une rémunération équitable aux créateurs, des droits renforcés pour les utilisateurs et une responsabilité accrue pour les plateformes. La réforme du droit d'auteur est la pièce manquante du puzzle pour finaliser la mise en place du marché unique numérique européen cohérent et complet. »
Les États membres disposent maintenant de 24 mois pour transposer ce texte, à compter de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne. « La cérémonie de signature officielle des nouvelles règles sur le droit d'auteur (…) aura lieu le mercredi 17 avril au Parlement européen, à Strasbourg » prévient encore la Commission. Certains pays sont cependant très en avance, en particulier la France.
Le droit voisin des éditeurs et agences de presse voté en France le 9 mai
L’article 15 de la directive (ex-article 11) instaure un droit à indemnisation au profit des éditeurs et agence de presse. Les services en ligne comme les moteurs de recherche ou les réseaux sociaux devront verser des indemnités pour l’utilisation des titres de presse, exception faite des « mots individuels » et des « très courts extraits » d’articles.
Ce droit vaudra pour une durée de deux ans. Les montants seront perçus à titre principal par les éditeurs et agences, et à titre résiduel par les journalistes.
La France dispose d’une sérieuse longueur d’avance sur le sujet. Une proposition de loi anticipative portée par David Assouline (PS) a déjà été adoptée par le Sénat en janvier dernier.
Elle sera examinée à l’Assemblée nationale, en commission des affaires culturelles, à la fin du mois. Elle passera ensuite en séance le 9 mai avec pour rapporteur Patrick Mignola (MoDem). Le texte n’aura finalement qu’à subir quelques retouches pour être finalisé.
Pour accélérer encore le tempo, le ministère de la Culture a chargé le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), qui lui est intimement lié, de proposer une série d’amendements. Ils viendront nourrir les débats à venir début mai. Inutile de souligner que la direction prise par la France sera celle d’une maximisation des perceptions, Paris ayant été parmi les principaux partisans de cette rémunération.
La bourse ou le filtrage
L’autre article phare, le 17 (ex-article 13), est plus ambitieux encore. Celui-ci vient revoir le régime de responsabilité des intermédiaires techniques fixé par une directive de 2000, dès lors qu’une question de droit d’auteur se pose.
En somme, l’Europe crée ici un régime d’exception en faveur de l’industrie culturelle. Une mécanique qui avait été là encore poussée par la France, en particulier depuis le CSPLA, organe composé d’une majorité de sociétés de gestion collective.
Comme expliqué plusieurs fois à l’aide de notre schéma, les plateformes d’hébergement qui diffusent des contenus protégés, organisés et promus à des fins lucratives, auront le choix : passer des licences ou tomber dans un régime de responsabilité beaucoup plus direct qu’antérieurement.
Les sociétés de gestion collective pourront donc dicter plus vigoureusement leurs conditions, sauf à laisser choir ces intermédiaires dans ce régime plus rigoureux. Et pour cause, selon la taille, la popularité ou l’âge des services en cause, un sandwich d’obligations s’imposera.
Sans licence, les plateformes de plus de 3 ans ou bien celles dont le chiffre d’affaires dépasse 10 millions d’euros devront rendre indisponibles les œuvres à partir des informations « pertinentes » fournies par les ayants droit. Cette obligation concernera les géants, Facebook, YouTube et les autres, comme les start-ups de plus de 1 095 jours d’âge…
De même, tous les acteurs, petits ou gros, forts de 5 millions de visiteurs uniques par mois, auront l’obligation de déployer un système de « notice and stay down ». Il s’agira cette fois d’empêcher la remise en ligne d’un contenu déjà dénoncé par les ayants droit. Une mesure qui exigera la surveillance de l'ensemble des contenus uploadés et une comparaison à la volée avec une base d'empreintes.
À tous les étages, ce sont donc des solutions de filtrage qui surgissent comme solutions évidentes. Les indélicats qui préfèreront une solution non consacrée par « les standards de haut niveau » de la profession pourront se voir condamnés pour contrefaçon, outre à dédommager les sociétés de gestion collective.
La transposition de cette disposition est cette fois attendue à partir de cet été, avec le dépôt du projet de loi sur l’audiovisuel promis par Franck Riester, ministre de la Culture. Là aussi, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique a été appelé à la rescousse avec une mission portant sur la reconnaissance des contenus, en collaboration avec la Hadopi et le Centre national du cinéma. Ses conclusions sont attendues d’ici l’automne prochain.
Selon le locataire de la Rue de Valois, cette mission permettra « de nous assurer de l’efficacité de ces outils, qui occupent une place centrale dans la protection des œuvres sur les plateformes de partage des contenus ». Elle est jugée « essentielle pour que l’article 17 de la directive (…) puisse produire tous ses effets ».
Les premières réactions
Les réactions à ce feu vert européen n’ont pas tardées. Pour l’eurodéputé Jean-Marie Cavada, favorable au filtrage, ce texte va contraindre « les GAFAM [à] partager leurs revenus avec créateurs et journalistes ! » Pour la SACD, même satisfaction : « l’adoption de cette directive est un succès pour l’Europe qui a su revendiquer sa souveraineté numérique et son ambition pour la création ».
La Computer & Communications Industry Association, lobby qui rassemble les géants du numérique, répête qu’à ses yeux, la directive entraînera des conséquences disproportionnées. Elle fait part de ses préoccupations, comme l’ont fait « des centaines d'universitaires, de citoyens, de groupes de défense des droits numériques, de représentants de consommateurs, de personnalités de l'Internet et d'associations industrielles ».
Selon sa grille de lecture, l’article 17 (ou 13) va nécessairement inciter les plateformes « à sur-filtrer et supprimer » des contenus légitimes. Elle exhorte les États membres à minimiser les conséquences du texte lors de sa mise en œuvre.
Enfin, pour Julia Reda, eurodéputée du Parti Pirate, « le lobby de l’industrie culturelle ne s’arrêtera pas ici, au cours des deux prochaines années, il poussera pour des implémentations nationales ignorant les droits fondamentaux des utilisateurs. Il sera plus que jamais important pour la société civile de maintenir la pression dans les États membres ! »
À l’approche des élections, la parlementaire appelle désormais à « voter pour les députés qui respectent nos droits numériques ».