Leur longue procédure contre les trois principales taxes affectées au CNC, et derrière au cinéma et à l’audiovisuel français, s’est effondrée devant le Conseil d’État. Le 12 avril dernier, Carrefour et la FNAC ont vu leur demande rejetée. Pour le CNC, c’est le soulagement et même la satisfaction.
Carrefour et la Fnac ont vainement tenté de récupérer la taxe sur les ventes et locations de vidéogrammes pour les années 2008 et 2009 s’agissant de la première, et 2009 à 2011 pour la seconde. Dans cette procédure, le Conseil d’État avait d’abord saisi la Cour de justice de l’Union européenne.
En septembre 2016, les deux enseignes avaient pu obtenir cette voie européenne devant le Conseil d’État. Pour comprendre les origines de ce bras de fer, il faut souligner que les aides accordées par les États sont interdites si elles faussent la concurrence en favorisant certains secteurs.
Des exceptions sont néanmoins prévues, mais la Commission européenne doit être impérativement prévenue en temps utile « pour présenter ses observations » de tout projet « tendant à instituer ou à modifier des aides ». C’est la procédure de notification.
Une explosion des taxes versées au CNC
En 2004, les aides accordées au cinéma avaient bien été notifiées à Bruxelles. En 2006, elles furent même déclarées compatibles temporairement. Dans le même temps, Carrefour et la Fnac estimaient toutefois que le régime français avait subi des modifications trop importantes pour échapper à une nouvelle notification.
Ces distributeurs dénonçaient une « importante augmentation entre 2007 et 2011 du produit global de la taxe sur les billets de cinéma, de la taxe sur les services de télévision et de la taxe sur les ventes et locations de vidéogrammes », selon le résumé dressé par le Conseil d’État.
Ces montants, trois ressources essentielles du CNC, ont ainsi explosé de 46,3 % et même 60 % entre 2007 et 2011, notamment en raison d’une modification de l’assiette de perception. La taxe sur les services de télévision est ainsi passée de 362 millions d'euros en 2007 à 631 millions d'euros en 2011.
Certes la France avait alerté Bruxelles d’une possible hausse, mais aux 16,5 millions par an anticipés, les 67 millions entre 2007 et 2011 réalisés ont consacré un beau plantage français pour le plus grand bien de l’industrie culturelle.
En principe, selon le droit européen, une hausse de plus de 20 % d’un budget initial d’un régime d’aide constitue une modification et doit alors faire l’objet d’une notification. Seulement le Conseil d’État, incapable de déterminer la façon d’apprécier cette hausse (par aide ou par ensemble d’aides ?), avait saisi la CJUE.
De l'arrêt de la CJUE à celui du Conseil d’État
Le 20 septembre 2018, la CJUE a expliqué en substance que le seuil des 20 % devait s’apprécier « par rapport aux recettes affectées aux régimes d’aides concernés et non pas par rapport aux aides effectivement allouées ».
Dans son arrêt du 12 février 2019, le Conseil d’État a analysé ces flux à la lumière de cette décision européenne, en tenant compte notamment d’un point juridiquement fondamental : l’affectation des aides distribuées par le CNC à partir de ces trois taxes est déterminée librement.
Or, il a constaté l’absence d’un lien contraignant entre les trois taxes et le régime d’aides au cinéma et à l’audiovisuel. De ces flux, des sommes ont en outre été soustraites par des mises en réserve et un prélèvement de l’État. Certes, les produits ont évolué à des taux ravageurs, mais beaucoup moins que les aides effectivement accordées.
Dès lors, l’augmentation de plus de 20 % du budget du régime d’aides au cinéma et à l’audiovisuel n’avait pas à faire l’objet d’une nouvelle notification, contrairement à ce que soutenaient Carrefour et la Fnac.
Soulagement du CNC
Au CNC, c’est un sourire ponctué d’applaudissements. « Cette décision est une grande victoire pour la création. Le Conseil d’État, après la Cour de justice de l’Union européenne, vient de rejeter définitivement l’attaque contentieuse menée par quelques diffuseurs contre le système de financement de la création française, qui est au cœur de notre exception culturelle » soutient le Centre du cinéma, dans un communiqué.
D'après les calculs internes, les montants en jeu représentaient plusieurs centaines de millions d'euros, « l’équivalent de plus d’un an du budget total des aides à la création » note Frédérique Bredin, qui voyait là « une menace très grave sur le soutien apporté à tous les créateurs de l’audiovisuel et du cinéma. »
Toujours selon le CNC, « cette décision consacre toute la solidité de notre système de financement de la création. Elle va permettre à tous les partenaires de l’exception culturelle de travailler ensemble, sereinement, à la fiscalité du futur qui assurera l’égalité de traitement, dans un esprit de neutralité technologique, entre tous les diffuseurs : acteurs historiques et plateformes numériques ».