Comme anticipé, la proposition de loi contre la « cyberhaine » va consacrer de nouveaux pouvoirs entre les mains du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Celui-ci interviendra déjà au niveau des sanctions qu’encourront les plateformes accusées de ne pas être assez réactives.
La proposition de loi portée par Laetitia Avia sera bientôt déposée à l’Assemblée nationale. Le texte censé combattre le racisme et l’antisémitisme ciblera les réseaux sociaux, mais également les moteurs de recherche, explique le Journal du Dimanche.
Les grandes lignes sont déjà connues. Emmanuel Macron a ainsi annoncé la mise en œuvre d’une interdiction de réseaux sociaux pour les internautes condamnés pour cyberhaine.
Surtout, le texte va prévoir une obligation de retrait rapide pour les hébergeurs. Les plateformes, destinataires d’un signalement, auront en effet 24 heures pour éradiquer les contenus dénoncés par les internautes. À défaut ? Elles feront face à une lourde sanction.
Le CSA en capacité d’infliger de très lourdes amendes
Cette sanction ne sera pas infligée par un juge, mais par une autorité administrative. Selon le JDD, c’est le Conseil supérieur de l’Audiovisuel qui aurait compétence de sanctionner les réfractaires. La sanction encourue pourrait atteindre 4 % du chiffre d’affaires mondial et annuel de chaque plateforme. Un niveau inspiré du règlement général pour la protection des données personnelles.
Ce n’est pas tout. Le même CSA ausculterait chaque année les politiques de modération des contenus en exigeant la connaissance des « moyens mis en œuvre par les plateformes pour atteindre les objectifs légaux », dixit nos confrères. L’idée avait déjà été annoncée par Mounir Mahjioubi, avant sa candidature à la mairie de Paris.
Toutes les plateformes ne seraient pas concernées. Seules le seraient celles dépassant un seuil de connexion mensuel fixé par décret. Laetitia Avia plaide pour un palier de 2 millions de visiteurs.
La compatibilité de ce régime avec la directive de 2000
La question fondamentale repose sur la compatibilité de ce futur régime avec la directive de 2000 sur le commerce électronique. L’article 14 de ce texte régissant le droit de l’hébergement autorise les États membres à armer une juridiction ou une autorité administrative, du pouvoir « d'exiger du prestataire qu'il mette un terme à une violation ou qu'il prévienne une violation ».
Les États membres ont également la possibilité « d'instaurer des procédures régissant le retrait de ces informations ou les actions pour en rendre l'accès impossible ».
Interprétant la loi de transposition (loi sur la confiance dans l’économie numérique), le Conseil constitutionnel a estimé que ce régime de responsabilité des intermédiaires techniques ne pouvait concerner que les informations manifestement illicites ou celles dont le retrait a été ordonné par un juge.
Avec la proposition de loi Avia, les hébergeurs, sous le contrôle du CSA, auraient ainsi à juger dans un délai très court l’illicéité manifeste d’un contenu, le tout sous le risque d’une sanction monstre s’ils décident de le laisser en ligne. Mounir Mahjoubi a même indiqué qu’un système de mise en quarantaine pourrait être introduit à l’encontre des contenus simplement illicites.
Dans tous les cas, la crainte est évidemment celle d’une réaction épidermique, d’une surcensure des contenus chez les intermédiaires qui voudraient échapper aux foudres de l’autorité indépendante.
Miroir, mon beau miroir
Ces hébergeurs se verraient également astreints à mettre en place un bouton de signalement, commun et unique. Dailymotion, Instagram, Facebook, Twittter, YouTube, etc. devraient donc tous revoir leur architecture pour implanter ce dispositif uniformisé.
Ils auraient en tout cas à répondre à chacun des signalements dans un délai maximum de 7 jours. Les contrevenants risqueraient cette fois jusqu’à 1 million d’euros d’amende.
Dans la proposition de loi Avia, un autre mécanisme important va être introduit. L’idée ? Pouvoir réagir rapidement à la remise en ligne d’un site une première fois bloqué par le juge judiciaire. « Nous voulons qu’après une première décision judiciaire, une autorité administrative indépendante puisse directement demander aux FAI de faire barrage aux sites miroirs » explique la députée LREM au JDD.
Le nom du CSA n’est pas mentionné, mais on imagine mal que ce pouvoir puisse être transmis à une autre autorité, créée pour l’occasion ou préexistante.
La question des sites miroirs est complexe puisqu’avant de pouvoir administrativement ordonner au FAI le blocage d’accès, encore faut-il s’assurer que le site soit plus ou moins identique. Le CSA pourra certes frapper un site bloqué accessible depuis une nouvelle adresse, mais quid si le contenu est simplement similaire ?
Le Conseil Supérieur de l’Internet
Avec ce texte, l’autorité née pour gérer les ressources rares dans l’audiovisuel, les fameuses fréquences hertziennes, retrouve de nouvelles raisons de survivre dans l’océan numérique. Une étendue où l’écran de télévision est relégué à une simple fenêtre.
Déjà, la directive sur les services de média audiovisuel à la demande vient d’augmenter ses compétences : outre les services linéaires (les chaînes de TV), les services non linéaires (MyTF1, 6Play, Netflix, Amazon Prime Vidéos, CanalPlay etc.), il intègre dans son périmètre « les plateformes de partage de vidéos, les réseaux sociaux et les plateformes de vidéos de direct ». Y sont intégrés YouTube, Dailymotion, ou Facebook par exemple.
Comme l’explique le CSA, ces plateformes devront « mettre en place des mesures spécifiques, notamment en matière de protection des mineurs, de lutte contre l’incitation à la haine et de lutte contre l’apologie du terrorisme ».
Si en décembre 2016 la même autorité avait pu s'attaquer aux Recettes Pompettes, une chaîne professionnelle diffusée sur YouTube, il ne pouvait rien contre les autres contenus mis en ligne par de simples particuliers. La directive SMA comblera donc cette impossibilité. Le grand projet de loi sur l’audiovisuel assurera sa transposition. Le texte est promis par Franck Riester dans quelques mois.
Le retour de l'amendement Fillon ?
D’autres textes ont consacré de nouveaux pouvoirs au même conseil. L’an passé, la loi contre la manipulation de l’information (« fake news ») a autorisé par exemple l’autorité administrative à adresser aux plateformes des « recommandations visant à améliorer la lutte contre la diffusion de telles [fausses] informations ».
Le mouvement qui s’organise ici consacrant le CSA en autorité de contrôle des contenus haineux, en parallèle à l’institution judiciaire nous renvoie directement dans le passé, celui de l’amendement Fillon. En 1996, celui-ci rêvait de faire du Comité supérieur de la Télématique, une excroissance du conseil, une autorité de contrôle des contenus en ligne.
Selon les débats parlementaires, le dispositif imaginé visait « non à introduire une censure sur le réseau Internet, mais à sécuriser la situation des entreprises qui offrent des accès, tout en permettant aux usagers de se tourner vers le comité supérieur de la télématique lorsqu'ils ont le sentiment que des informations circulant sur le réseau sont en contradiction totale avec la législation française ».
À l’époque, le CST allait cependant plus loin puisqu’il aurait pu édicter des règles très générales et déontologiques dont la violation aurait entraîné des conséquences pénales pour les intermédiaires techniques. Un dispositif jugé contraire à l’article 34 de la Constitution par les neuf Sages de la rue de Montpensier.