Un faux profil sur un site de rencontres peut transformer un acte sexuel consenti en viol

La ficelle était trop grosse
Droit 6 min
Un faux profil sur un site de rencontres peut transformer un acte sexuel consenti en viol
Crédits : grinvalds/iSTock

Mentir sur son profil est rarement une bonne idée. La Cour de cassation vient de le rappeler en jugeant que dissimuler sa véritable identité et ses « caractéristiques physiques », par exemple sur un site de rencontres, pouvait transformer un acte sexuel consenti en viol par surprise (tout du moins lorsqu'un stratagème est mis en place pour tromper la victime).

Ce moment devait pourtant être « magique ». Plusieurs mois après avoir rencontré sur Internet un homme se présentant comme un architecte d’intérieur de 37 ans, Mme X, 33 ans, accepte de se rendre à son domicile. Elle est alors invitée à suivre un scénario qui rappellera des choses aux lecteurs de « 50 nuances de Grey » : entrer dans l'appartement, se bander les yeux sans l'avoir vu, se mettre nue et le rejoindre dans la chambre, guidée par sa voix.

Son partenaire lui attache alors les mains au montant du lit, avant d’avoir une relation sexuelle. Mais lorsque l’homme enlève son bandeau, Mme X est sous le choc : l’individu qu’elle a en face d’elle ne correspond en rien à la photo qui lui avait été montrée sur Internet (en réalité celle d’un mannequin). Il s’agit en effet d’un homme « à la peau fripée et au ventre bedonnant »...

Mme X porte ainsi plainte pour viol, en juillet 2014. Les enquêteurs découvrent alors que l'internaute est âgé de 68 ans. Il s’avère surtout qu’il est déjà connu des services de police pour des affaires similaires, classées sans suite.

Un « stratagème » caractérisant un viol par surprise ?

En dépit d’une première garde à vue, l’homme continue de sévir sur les sites de rencontre. Une autre femme, en situation de « détresse psychologique », se retrouve ainsi dans son lit en mars 2015.

Saisi de l’affaire, un juge d’instruction ordonne la mise en examen du sexagénaire, pour « viols commis par surprise sur des victimes mises en contact avec l'auteur des faits grâce à l'utilisation d'un réseau de communication électronique ». Autrement dit, des viols avec circonstances aggravantes – dès lors passibles de vingt ans de réclusion criminelle.

En avril 2018, l’accusé obtient toutefois gain de cause auprès de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d’Aix-en-Provence, puisque sa mise en examen est annulée.

La justice reconnaît pourtant que l’internaute « a mis en place durant de nombreuses années un stratagème destiné à faire venir, à son domicile, des femmes qu'il estimait être incapable d'attirer sous sa véritable personnalité ». Un plan à la mécanique bien huilée :

  • La création d'un profil « décrivant un homme paraissant âgé d'une trentaine d'années, au physique athlétique et très avantageux, photos à l'appui, dont il s'avèrera que, récupérées sur Internet, elles correspondaient à un mannequin faisant de la publicité ».
  • « L'affirmation d'une certaine aisance financière dans le cadre d'une activité professionnelle valorisante (architecte décorateur) dans un cadre prestigieux (Monaco) ».
  • « Une prise de contact avec les femmes et la confirmation auprès d'elles qu'il est bien l'homme figurant sur les photos avec dans certains cas, l'envoi de nouvelles photographies confirmant le tableau initial ».
  • De « nombreux échanges par messages et contacts téléphoniques, destinés à mettre en confiance les femmes contactées sur le caractère « exceptionnel » de leur rencontre, femmes souvent en situation fragile (rupture, mères célibataires, veuve) ».
  • Et enfin « l'organisation d'une première rencontre « exceptionnelle » à l'image de la relation créée, au domicile du mis en examen à l'exclusion d'un endroit public, selon un scénario bien détaillé : porte entr'ouverte, pénombre dans l'appartement, mise en place d'un bandeau sur les yeux (pour éviter de voir), mains attachées (pour éviter de toucher), enfin une relation sexuelle suivie ou précédée de prise de clichés ».

La chambre de l’instruction souligne en outre « qu'à une ou deux exceptions près », les plaignantes ont découvert un « homme âgé de plus de soixante ans, perçu puis vu comme voûté, ridé, portant des lunettes, les cheveux teints et dégarnis ». Un « choc » pour les victimes, « du fait de la répulsion ressentie mais aussi du fait du sentiment d'avoir été abusé, certaines des femmes entendues faisant valoir un traumatisme durable, voire un bouleversement dans leur vie affective ».

Bien qu’ayant consenti à ces relations sexuelles, les victimes estimaient qu’il y avait viol par « surprise », du fait du stratagème mis en place par le sexagénaire. En ce sens, elles affirmaient avoir donné leur consentement à l’homme correspondant au profil du site de rencontre, non celui qui se cachait derrière. D’après l’article 222-23 du Code pénal, tout « acte de pénétration sexuelle » commis « par violence, contrainte, menace ou surprise » est effectivement un viol.

Les juges n’ont toutefois pas suivi cette ligne de défense. À leurs yeux, les plaignantes étaient « demandeuses d'une relation sexuelle », et surtout capables « d'analyser une situation pour le moins « originale » et, le cas échéant, de s'y dérober ». « Le stratagème utilisé a pu incontestablement constituer un moyen pour amener les plaignantes à se présenter au domicile de M. Z en vue d'une relation sexuelle mais dès cet instant, les conditions qui leur étaient posées pouvaient parfaitement être refusées et impliquaient en tous cas, la découverte ultérieure de leur partenaire », a ainsi retenu la chambre de l’instruction.

Avant d’enfoncer le clou : « La question de savoir ensuite si ladite découverte allait s'avérer agréable ou non, n'a pas pu échapper aux plaignantes qui en ont cependant accepté le risque réel, s'agissant d'un individu rencontré sur Internet, sur lequel elles ne disposaient d'aucun renseignement autre que ceux qu'il avait bien voulu leur fournir et dont le profil du « prince charmant » ne pouvait manquer de susciter quelques interrogations. »

En somme, les magistrats ont considéré que le sentiment de stupéfaction des victimes ne pouvait être assimilé à la « surprise » visée par le Code pénal.

Une surprise née de la dissimulation d'identité et des « caractéristiques physiques »

La chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 23 janvier dernier, a toutefois estimé que la chambre de l’instruction avait mal appliqué le droit en se prononçant ainsi, « alors qu'elle avait caractérisé l'emploi d'un stratagème ».

Pour la haute juridiction, « l'emploi d'un stratagème destiné à dissimuler l'identité et les caractéristiques physiques de son auteur pour surprendre le consentement d'une personne et obtenir d'elle un acte de pénétration sexuelle » constitue bel et bien une « surprise », au sens de l’article 222-23 du Code pénal.

L’arrêt de la chambre de l’instruction a donc été cassé et annulé. Le sexagénaire devra prochainement répondre de ses actes devant une cour d'assises.

Comme l’explique LexisNexis, la Cour de cassation a profité de cette affaire pour préciser la jurisprudence relative à la surprise par tromperie. Jusqu’ici, le défaut de consentement pouvait « résulter d'une tromperie ou d'un acte commis à l'insu des victimes dont l’exemple classique est celui d'un individu qui s'introduit dans la chambre et dans le lit d'une femme endormie, dont le mari vient de sortir ». Pouvaient également être qualifiés de « stratagèmes » ou d’« engrenages » les « cas par lesquels l'auteur des faits abuse de certaines situations ou créé des conditions de nature à tromper les victimes sur la situation exacte », tels qu’un « médecin ORL qui, à l’occasion d’examens, pratique des caresses et attouchements sexuels ».

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