Les chaînes gratuites doivent rester gratuites. C’est à cette évidence qu’est arrivé hier le tribunal de commerce de Paris comme révélé par Satellifax. Molotov, la télé réinventée chère à Pierre Lescure et Jean-David Blanc, n’en a cependant pas terminé : le groupe M6 a décidé de faire appel. Next Inpact diffuse en exclusivité ce jugement obtenu du greffe.
Comment dans le monde feutré de la télévision en ligne est-on arrivé à une telle décision rendue ce 11 février par la juridiction consulaire ? Retour en juin 2015, lorsque Molotov signe avec le groupe M6 un contrat de distribution expérimental, portant sur les chaînes gratuites (M6, W9 et 6TER) et plusieurs chaînes thématiques (M6 Boutique, Paris Première, Teva, M6 Music et Girondins TV).
Rien de neuf : Molotov repose sur un modèle « freemium » où l’utilisateur peut regarder gratuitement, via une application, l’ensemble des chaînes de la TNT. Il dispose en outre de la possibilité de s’abonner à des chaînes payantes.
Le 31 décembre 2017, le groupe M6 lui indique cependant que l’accord définitif à venir devrait respecter les nouvelles conditions générales de distribution. La clause de « paywall » fait son apparition.
Le groupe demande en effet à la plateforme de signer pour un bouquet de chaînes payantes et gratuites. Une politique de tout ou rien destinée à faire exploser le taux de transformation alors que 7 300 des 4 millions d’utilisateurs de Molotov avaient souscrit un abonnement payant aux chaines thématiques de M6, soit 0,15 %.
La clause de « paywall »
Les deux partenaires entrent en négociations, mais le groupe M6 refuse finalement toute médiation conventionnelle, exigeant même la fin de la distribution de ses chaînes. En mars 2018, mois d’entrée en vigueur du nouveau contrat, il réitère sa demande : Molotov doit payer pour ce bouquet garni mélangeant TV payantes et gratuites. Mieux encore, la plateforme doit désormais faire payer ses abonnés pour cet accès à l’ensemble de ces chaînes.
On comprend assez vite le nœud du problème : par le jeu de cette clause, M6 allait faire vaciller le modèle de cet acteur OTT (over-the-top) en transformant la TV gratuite de la TNT en une TV payante en ligne. Si les parties ont pu s’entendre sur les chaînes thématiques, la situation s’est bloquée sur ce volet. Rapidement, la clause de « paywall » s’est donc retrouvée devant le tribunal de commerce de Paris à la demande de Molotov.
Une affaire pendante en contrefaçon devant le TGI
Les débats ont d’abord été procéduriers. M6 aurait voulu que le tribunal de commerce se dessaisisse au profit du tribunal de grande instance (TGI) de Paris. Pourquoi ? Car une action en parasitisme et contrefaçon de droits voisins et des marques a été lancée par lui contre Molotov, postérieurement.
Il est reproché au service de diffuser les chaînes sans autorisation tout en les utilisant comme produit d’appel. Opposition de la plateforme, pour qui ce renvoi ne ferait que retarder la décision, alors que le groupe M6 a annoncé son engagement dans Salto, plateforme qui doit concurrencer Molotov.
Guère étonnant que le tribunal ait refusé un tel renvoi : l’affaire devant le TGI, si elle concerne les mêmes parties, repose sur des fondements différents. De plus, décider d’un report pourrait menacer l’avenir de la plateforme.
Une clause illicite et discriminatoire
Sur le fond, Molotov a porté différents arguments. Cette clause de « paywall » est, à ses yeux, illicite car elle constitue une immixtion dans sa stratégie de distribution. Pour le tribunal, cette clause vient plus exactement fragiliser « la pertinence » et « la pérennité » de son modèle. Il l’a même jugée discriminatoire en ce qu’elle ne respecte pas le principe de neutralité technologique prôné par la loi du 30 septembre 1986. Autant de faits qui tombent dans l’interdiction posée par l’article L.442-6 du Code de commerce.
Molotov a finalement obtenu 100 000 euros en réparation de son préjudice moral puisqu’il a finalement pâti de la rupture des négociations avec le groupe M6. Le service a obtenu 50 000 euros au titre cette fois des frais de justice.
Le Groupe M6 a d’ores et déjà décidé de faire appel de la décision. Contactée, la direction de Molotov se refuse à tout commentaire, se disant soucieuse de respecter la procédure en cours. Si ce jugement est validé en appel, il viendra conforter son modèle, à savoir que la télévision gratuite doit rester gratuite, peu importe son canal de diffusion, TNT ou IP.
Devant la cour d'appel, M6 devrait se retrouver face à Altice France, laquelle est entrée en négociations exclusives pour devenir actionnaire majoritaire de Molotov.