Ces derniers mois, Groupe LDLC connait une situation complexe en bourse. En l'espace d'un an, le titre a perdu les deux tiers de sa valeur, alors que l'entreprise a remis à plus tard ses objectifs pour 2021 et que ses dernières acquisitions n'ont pas eu l'effet escompté sur la croissance.
Le groupe LDLC a publié récemment son chiffre d'affaires pour le troisième trimestre de son exercice 2018-2019. Ce dernier apparaît en hausse de 3,3 % pour s'établir à 145,7 millions d'euros. Une croissance nettement plus basse que lors des deux précédents trimestres, où elle était comprise entre 8,2 et 9,4 %, mais également à celle observée il y a quelques années, avant l'acquisition de Materiel.net.
Cette situation commence à faire perdre patience aux investisseurs de l'entreprise, à en juger par la chute de 67 % du cours de l'action LDLC observée ces douze derniers mois. À la lecture des compte-rendus financiers fournis par l'entreprise, on pourrait penser que le sort s'acharne sur elle, que ce soit à cause de l'envolée des prix de la RAM, ou même des Gilets Jaunes.
L'occasion de faire le point sur la stratégie du groupe, ses déboires et espoirs.
Quand la RAM éternue, LDLC s'enrhume ?
Sur le podium des éléments mis en avant par l'entreprise, on retrouve en tête... le prix de la mémoire vive, notamment celui de la DDR4. Aux yeux du revendeur, la flambée des prix observée en 2017 puis 2018 aurait incité nombre de clients à repousser le montage d'une nouvelle machine et ainsi influé négativement sur ses revenus.
L'arrivée tardive des GeForce RTX et les soucis de production d'Intel ne sont peut être aussi pas pour rien dans de tels choix, mais la gamme de NVIDIA est désormais entièrement lancée et AMD propose de bonnes alternatives côté CPU. L'excuse de la mémoire vive ne pouvant plus non plus tenir depuis le redoux observé sur les tarifs ces derniers mois, LDLC trouve des circonstances atténuantes ailleurs.
Évolution du prix des kits de 4 x 4 Go de DDR4-2400 en dollars - Source PCPartPicker
Pour justifier la croissance molle du dernier trimestre, le revendeur évoque « un environnement de marché complexe à l’occasion des fêtes de fin d’année, marquées par le mouvement des Gilets Jaunes, et sans effet de report notable des achats physiques en magasin vers Internet ». Tout en indiquant que « les ventes du week-end du Black Friday qui concentre les premiers achats de Noël ont été records ». Les Gilets Jaunes étaient alors déjà de sortie.
Dans les faits, cette théorie tient tout de même la route. LDLC pointe une croissance annuelle de 11,1 % des revenus tirés de son réseau de boutiques, à 17,3 millions d'euros, mais sur le même laps de temps, le nombre d'échoppes est passé de 27 à 41. Le chiffre d'affaires moyen passe ainsi d'environ 580 000 euros par boutique à 420 000 (-27 %). Si cette moyenne était restée stable, LDLC aurait pu compter sur 6,5 millions d'euros de recettes supplémentaires.
Une croissance portée par les rachats
Dans ses communications financières, le groupe LDLC met régulièrement en avant son chiffre d'affaires en hausse. On peut néanmoins le voir sous un autre angle : celui des acquisitions.
Si avant mars 2016 (noté Q4 2015-2016 sur le graphique ci-dessous) la progression était principalement le fruit du succès de LDLC.com, la suite s'est gâtée. Le bond observé sur l'exercice 2016-2017 est ainsi attribuable à l'intégration de Domysis (Materiel.net) dans les résultats de l'entreprise.
S'en suit une période creuse d'un an où les revenus s'effritent, avant que la croissance ne revienne au début de l'exercice 2018-2019... grâce à l'acquisition d'Olys. Mais à périmètre constant, les activités de LDLC connaissent un certain ralentissement, surtout du côté du B2C, où les revenus ont chuté de 15 % en un an (-9,3 % en intégrant Olys).
Ce, contrairement au B2B qui enregistre une croissance organique de 9,1 % (+44,4 % avec Olys).
Une stratégie B2C complexe à comprendre
L'un des problèmes du Groupe LDLC s'appelle... Materiel.net. Lors du rachat de Domysis, LDLC expliquait qu'il permettrait aux deux entreprises de profiter de leurs « fortes complémentarités » pour se faire une place dans l'e-commerce en France.
Trois ans et une fusion (opérée cet été) plus tard... Materiel.net arbore certes un design très proche de celui de LDLC, mais leurs catalogues et leurs services ne se différencient en rien. Les promotions d'un site sont même répliquées sur l'autre, tandis que les comptes des deux enseignes sont encore distincts.
Bref, l'un a une entête rouge et arbore un petit logo French Tech en pied de page, l'autre se pare de bleu. Ajoutez à cela la boutique Hardware.fr lancée quelques années après le rachat, mais qui affiche des tarifs presque toujours moins élevés, et vous aurez bien du mal à comprendre le message que le groupe veut envoyer à ses clients.
Surtout que chaque entité ne semble pas montrer d'élément véritablement distinctif, hormi les prix bas pour HFR. Quel est donc l'intérêt pour le groupe de garder une deuxième enseigne qui ne se distingue absolument pas de son vaisseau amiral, si ce n'est de devoir doubler les efforts de communication pour faire parler des deux marques ?
Objectifs revus à la baisse
LDLC avait déclaré il y a trois mois renoncer à ses objectifs pour 2021, qui étaient d'atteindre un milliard d'euros de chiffre d'affaires annuel, avec un réseau d'une centaine de boutiques.
Si pour l'instant le rythme d'ouverture des locaux reste sur la bonne voie, du côté des revenus, la croissance molle enregistrée ces deux dernières années a semble-t-il fait prendre du retard au plan. Les acquisitions et le B2B permettent pour le moment à l'ensemble de tenir, notamment avec le développement actif en cours de la marque LDLC Pro. Mais il ne faudrait pas que ces activités viennent elles aussi à ralentir.
« Si les ambitions ne sont pas remises en question de manière globale, la dynamique pour les atteindre et les délais nécessaires sont eux difficiles à estimer aujourd'hui de manière fiable », commente sobrement l'entreprise dans son dernier rapport semestriel. Il aurait en effet fallu vendre énormément de sabres laser pour arriver au bon compte.
Pendant ce temps, le cours de l'action LDLC continue de dégringoler. Depuis début 2017, il a en effet perdu 82,5 % de sa valeur (-45 % en 2017, puis - 68 % depuis début 2018) en passant d'environ 36,30 euros, à 6,2 euros hier.
Marc Prieur, fondateur de Hardware.fr et membre du directoire, a ainsi pu racheter 11 550 actions le 10 décembre à un prix moyen de 6,40 euros selon une notification faite à l'AMF, après en avoir vendu 10 000 quelques mois plus tôt à 20 euros l'unité. On peut y voir un signe de confiance, indiquant que les affaires reprendront de plus belle en 2019.
Quels signes pour les mois à venir ?
Justement, LDLC affirme que les effets des synergies entre les différentes enseignes du groupe commencent à montrer leurs effets bénéfiques, mais seulement en arrière-boutique. Ainsi, la fusion des plateformes logistiques et l'harmonisation technique des sites web permettraient environ 1,8 million d'euros d'économies par an.
D'autres gains sont attendus du côté de la communication et de la publicité « avec l’objectif de réaliser rapidement des économies de l’ordre de 1,2 million d'euros par an ». Aucun indice sur la méthode employée n'est toutefois donné.
La vente des murs de l'entrepôt de Nantes a quant à elle fait rentrer 6 millions d'euros de liquidités pour désendetter le groupe. Un autre entrepôt a par contre été ouvert en région parisienne, afin de réduire les délais de livraison dans le secteur, pour les clients particuliers comme pour les professionnels.
Le siège social « Campus » de Limonest, qui accueille l'école LDLC fait aussi partie de cette volonté de désengagement au profit du bilan financier. Dans ses résultats publiés fin 2018, le groupe précise ainsi que « le désengagement du siège social actuellement en crédit-bail permettra également une réduction de la dette de 22 millions d'euros ».
Car sur le plan de la dette, les nouvelles ne sont pas toutes bonnes. À la fin du premier semestre, LDLC indiquait avoir « obtenu de la part de son pool bancaire une dérogation suite au bris de l’un de ses covenants ». En clair, l'entreprise s'était engagée à respecter certains critères économiques afin d'obtenir un ou plusieurs emprunts à un taux donné, et elle a enfreint une ou plusieurs de ces conditions. Un signal souvent mal perçu par les investisseurs.
Diversification tous azimuts
Comme nous l'avons indiqué dans une précédente analyse sur INpact Hardware, l'une des pistes de la croissance de LDLC pour les années à venir pourrait venir de son activité de conception de produits. Une bonne manière de se différencier de la concurrence, notamment de géants mondiaux comme Amazon.
L'embauche de Samuel « Doc TB » Demeulemeester, ancien rédacteur en chef de Canard PC Hardware, en tant que bidouilleur intransigeant en chef, montre la volonté du groupe de faire les choses bien, avec un regard critique sur son fonctionnement, ses procédures, ses produits en poussant vers plus de qualité.
Dans le même temps, Textorm est devenu Nemeio pour accueillir tout le travail effectué autour du clavier e-ink qui vient d'être annoncé au CES de Las Vegas. Il doit être financé dans quelques mois à travers une campagne participative. Une méthode déjà utilisée pour le sabre WAAN de Solaari, financé à plus de 100 000 euros par 400 contributeurs.
Des produits qui visent une clientèle capable de dépenser quelques centaines d'euros, permettant de monter en gamme en évitant les intermédiaires du fait de la conception maison. Ce qui n'empêche pas le groupe de proposer, à l'inverse, un nombre croissant de produits pour bidouilleurs comme des micro PC Raspberry Pi/Banana Pi.
Bref, le groupe est désormais dans une phase charnière. Sa stratégie de développement, malgré la montée en puissance des franchises, semble avoir montré ses limites sur le B2C, et doit désormais porter ses fruits. Tout comme la montée en gamme, les produits maison, et les efforts portés vers le marché professionnel.
Les mois à venir et les prochaines décisions nous diront si les paris de ces dernières années auront été payants ou non. Car si le cours de la société continuait de baisser, elle pourrait devenir une proie facile pour la concurrence. Les prochains résultats du groupe LDLC sont attendus pour le 25 avril 2019, après bourse.