Les travaux se poursuivent en Commission copie privée. En décembre dernier, cette instance du ministère de la Culture a ébauché son programme de travail. Surprise, un possible assujettissement des ordinateurs est sur la rampe.
2019 sera-t-elle la fin d’une exception ? La commission chargée d’ébaucher les supports et les taux de perception au titre de la redevance pour copie privée (RCP) va étudier cette fois la possibilité d’assujettir les ordinateurs. Des supports jusqu’à présent épargnés.
Sans surprise, la demande a été émise en décembre dernier par Copie France, le percepteur des sociétés de gestion collectives, dont douze représentants siègent autour de la table. Selon Idzard Van der Puyl, l’un de ces douze braves, « le collège des ayants droit souhaiterait que la commission mène une réflexion sur l’assujettissement des disques durs internes des PC ».
Pour ces bénéficiaires, « il est évident que cette question, qui a été écartée lors du précédent programme de travail pour des raisons de priorité, devrait être examinée dans le cadre de cette nouvelle mandature ». Et ceux-ci de rêver d’« une étude d’usage afin de déterminer s’il y a lieu d’assujettir ou non ces supports ».
Pour bien peser chaque mot, cela ne signifie pas que les disques durs internes tomberont bientôt dans le champ de la perception. Plus exactement, Copie France souhaite que les pratiques de copie sur ces ordinateurs soient jaugées afin de décider ensuite de l’opportunité de prévoir une telle ponction. Cette technique avait été utilisée pour assimiler les PC hybrides aux tablettes et ensuite leur infliger cette redevance depuis le 1er octobre 2018.
Les ordinateurs, et donc tous les disques durs nus
« Ces disques durs servent dans des boîtiers NAS ou dans des ordinateurs, de complément de stockage avec un certain nombre d’appareils et dont on peut estimer qu’ils servent aussi à des usages de copies privées. Cette grande famille des disques durs internes doit donc faire l’objet d’une étude d’usage » a insisté Idzard Van der Puyl.
Par ces propos, on devine facilement que ce ne sont pas que les ordinateurs qui tomberaient dans le champ de la perception, mais aussi les disques durs vendus nus, sans boîtier externe.
Ce vœu n’est pas une première. Le député Marcel Rogemont, dans son rapport de 2015 sur la copie privée, avait jugé « difficilement compréhensible que les ordinateurs échappent encore aujourd’hui à la RCP, alors que les tablettes y sont assujetties. Une mise en cohérence s’impose, dans un sens ou dans l’autre, qu’il appartiendra à la commission de trancher ».
Jusqu’à présent seuls les disques durs externes étaient frappés ou ceux associés à un appareil de reproduction (baladeur MP4, tablette, etc.), jamais les disques durs nus ou les ordinateurs. Rogemont expliquait cette exclusion par des considérations historiques. À l’origine, « il s’agissait de ne pas freiner l’achat d’ordinateurs, pour ne pas aggraver la fracture numérique. Or, ce choix politique perdure encore aujourd’hui malgré la baisse du prix des ordinateurs et le taux d’équipement maintenant sensiblement plus élevé qu’alors ».
De plus, les copies réalisées sur ces ordinateurs étaient considérées comme des copies primaires, issues du droit exclusif. Seules les copies subséquentes (sur clefs USB par exemple) relevaient alors de la copie privée et sa redevance. Un point rappelé par Marc Guez, lui aussi membre de Copie France. Avec la généralisation de l’informatique dans les foyers, « ce n’était pas, a priori, les supports sur lesquels le volume de copies privées était le plus important ».
Pour prôner un changement de doctrine, Idzar Van der Puyl regarde évidemment au-delà du Rhin, où nos voisins ont fait le choix d’un assujettissement des PC. Membre de la SACEM, David El Sayegh, l’un de ses autres collègues, a insisté pour rappeler que selon la Cour de justice de l’Union européenne, les États membres, qui ont reconnu la copie privée, ont « une obligation de résultat afin de percevoir » la redevance pour copie privée.
Les critiques des industriels
En 2001, l’idée d’une « taxe » sur les ordinateurs avait été déjà caressée par Catherine Tasca, ministre de la Culture. Suite à une levée de boucliers et une pluie de critiques, Lionel Jospin l’avait finalement enterrée. C’est le bruit provoqué par cet épisode qui suscite aujourd'hui cette prudence mêlée de discrétion de la part des sociétés de perception.
Un tel avenir inquiète néanmoins les industriels, lesquels savent qu’une envolée des étiquettes n’est jamais bonne pour leurs affaires. L’AFNUM, principale représentante en commission, a tenté de corriger cette pente dangereuse : « ce n’est pas parce qu’une étude d’usage sera menée que l’assujettissement de ces supports sera acté ».
Pour l'Alliance Française des Industries du Numérique, qui représente Apple, Dell, HP, Lenovo ou encore Sony ou Toshiba, « l’assujettissement des ordinateurs ne va pas dans le sens des travaux de la commission qui s’est efforcée de travailler au plus près du marché et des innovations ».
Les derniers relevés de l’ARCEP en témoignent : aujourd’hui « l’ordinateur ne représente que 35 % des connexions contre 45 % pour le smartphone ». Selon l’association, il serait plus judicieux de prêter attention à la question des flux de produits professionnels qui devraient être hors du spectre de la redevance, laquelle ne concerne que les personnes physiques pour un usage privé.
Des études sur les autres supports non encore assujettis
Ces arguments portés par ce représentant n’ont eu que peu de poids. Avec ses trois sièges, il ne pèse rien face aux douze dévolus aux ayants droit au sein de la Commission copie privée.
Vendredi dernier, le programme de travail a d'ailleurs été finalisé. Selon nos informations, cette année, la priorité sera accordée à l’actualisation du barème des box, et en tant que de besoin, ceux des clés USB, des cartes mémoires non dédiées, des DVD, des CD, des baladeurs MP3 et MP4 et des autoradios.
Surtout, il a bien été décidé que seront menées des études sur les fonctionnalités et caractéristiques techniques des pratiques de copie privée « concernant les autres familles de supports non encore assujetties ».
Ces dernières lignes sont suffisamment vastes pour prévoir des études d’usage sur les ordinateurs et les disques durs nus, ou pourquoi pas les consoles de jeu vidéo.
Étendue aux disques durs nus, cette redevance viendrait aussi colmater l’astuce trouvée par Free pour l’esquiver dans sa dernière box. Le FAI laisse en effet la liberté aux abonnés d’ajouter des disques nus, et donc sans RCP.
Quel montant ?
Combien rapporterait une telle extension ? Difficile à dire, mais le 1er juillet 2014, Jean-Noël Tronc, numéro un de la SACEM, avait calculé qu’en augmentant d’un point les barèmes de redevance copie privée et en l’étendant aux PC fixes, les ayants droit pourraient espérer 100 millions d’euros supplémentaires.
En 2017, Copie France a collecté près de 270 millions d’euros. Un record historique, malgré le succès du streaming (Netflix, Spotify, Deezer et les autres).