Les revenus générés à partir de 2019 sur des sites tels qu’Uber, eBay ou Airbnb seront automatiquement déclarés au fisc, par les plateformes en question. Next INpact revient sur cette réforme attendue de longue date, à l’aune de son arrêté d’application, publié hier au Journal officiel.
Votée sous la précédente majorité, complètement réécrite il y a quelques mois, la « déclaration automatisée des revenus issus des plateformes » s’apprête à prendre son envol. L’objectif : contraindre les sites dits d’économie collaborative à systématiquement communiquer à Bercy les sommes gagnées par leurs utilisateurs, afin d’inciter ces derniers à les déclarer comme il se doit.
Quelles sont les plateformes concernées ?
Cette nouvelle obligation s’impose aux plateformes qui mettent en relation des personnes « en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un bien ou d'un service ». Toute « entreprise, quel que soit son lieu d'établissement », est tenue de procéder à cette déclaration automatisée, pour tous ses utilisateurs qui résident en France ou qui réalisent des ventes ou des prestations de service en France.
Autant dire que la liste des sites visés par ces dispositions est longue : Leboncoin, Blablacar, Airbnb, eBay, Zilok, Drivy, Rakuten, etc.
Cela signifie que toutes les ventes que je réalise via Leboncoin ou eBay seront automatiquement connues du fisc ?
Pour Leboncoin, il y a très peu de chances. Certes, le site de petites annonces met en relation des personnes en vue de la vente de biens d’occasion, mais sans forcément connaître quel a été le prix finalement payé par l’acheteur.
Or la déclaration automatisée des revenus ne prévaut que si la plateforme a « connaissance » des transactions réalisées par son intermédiaire. En clair, si Leboncoin ne sait pas que vous avez vendu votre vieux canapé 20 euros, il ne peut par voie de conséquence déclarer cette somme à qui que ce soit.
Pour eBay, les remarques sont inversées. Le site américain sait le prix final de l’enchère, d’autant plus que la transaction peut être finalisée via un versement sur PayPal, entité dans le giron d’eBay. Leboncoin proposant depuis peu un système de paiement en ligne, certains échanges effectués par son intermédiaire pourraient néanmoins entrer dans le champ de la déclaration automatisée des revenus.
Quel que soit le site, il faut garder en tête que toutes les transactions ne seront pas déclarées à Bercy. Le législateur a introduit en effet une dérogation destinée aux particuliers recourant à des plateformes de manière occasionnelle.
Qu’est-il prévu pour les particuliers effectuant des transactions occasionnelles ?
Une « dispense » de déclaration automatisée a été introduite pour les biens vendus d’occasion entre particuliers, ainsi qu’en cas de service « sans objectif lucratif et avec partage de frais avec les bénéficiaires » (de type covoiturage).
Cette dérogation ne s’applique cependant qu’à condition de ne pas dépasser certains seuils d’activité. Concrètement, il ne faut pas qu’un utilisateur réalise, sur une même plateforme et au cours de la même année :
- Plus de 3 000 euros de transaction(s)
- Plus de 19 transactions
Autrement dit, si vous vendez un objet de collection 4 000 euros via une plateforme, cette dernière devra le déclarer au fisc. Et ce même s’il s’agit de votre seule vente de l’année.
Il en va de même si vous réalisez 20 transactions via un site de co-voiturage, pour un montant total inférieur à 3 000 euros (150 euros par exemple).
Quels seront les éléments transmis à l'administration fiscale ?
Pour chaque utilisateur, la plateforme devra adresser un récapitulatif annuel comportant :
- Ses propres « éléments d'identification » (raison sociale, lieu d’établissement, numéro de TVA...).
- Les « éléments d'identification » de l'utilisateur, c’est-à-dire ses nom, prénom, adresse de résidence, numéro de téléphone, adresse email et date de naissance.
- Le statut de particulier ou de professionnel, tel qu’indiqué par l'utilisateur.
- Le nombre et le « montant total brut » des transactions réalisées par l'utilisateur au cours de l'année civile précédente.
- Les coordonnées du compte bancaire sur lequel les revenus ont été versés, « si elles sont connues de l'opérateur ». Ces informations seront d’ailleurs « réputées connues » de la plateforme dès lors que cette dernière « procède directement au versement des sommes auprès de l'utilisateur, ou lorsqu'elle a recours, à cette fin, à un prestataire de services ».
Autant dire que les revenus générés sur des sites tels qu'eBay ou Airbnb (qui font l'interface financière entre leurs utilisateurs) seront bien plus facilement « transmissibles » au fisc que ceux réalisés via Leboncoin.
Il est enfin à noter que les plateformes devront vérifier l’identité de leurs utilisateurs dont le montant total brut des transactions sera supérieur ou égal à 1 000 euros par an. Ce contrôle pourra se faire « notamment sur présentation par l'utilisateur d'une copie d'une pièce d'identité ».
Concrètement, comment cela va-t-il se passer ?
Chaque plateforme devra transmettre ces informations à Bercy (mais aussi aux utilisateurs concernés) « au plus tard le 31 janvier de chaque année », par voie électronique. Cela signifie que les premières déclarations automatisées seront envoyées début 2020, pour les transactions effectuées en 2019.
Quelles conséquences cela aura-t-il sur mes impôts ?
Même si vous dépassez les seuils relatifs à la « dérogation » destinée aux particuliers, les sommes correspondantes ne seront pas forcément imposables. Lors des débats parlementaires, le ministre de l’Action et des comptes publics, Gérald Darmanin, avait ainsi insisté sur le fait qu’il ne s’agissait aucunement de « fiscaliser ce qui relèverait de la brocante ou d’échanges ne donnant lieu à aucune plus-value ».
Déclaration automatisée au fisc ou pas, les sommes perçues pour du co-voiturage n'ont pas à être déclarées au titre de vos revenus (tant que vous restez dans le cadre du partage des frais, comme le détaille Bercy).
En revanche, si vous achetez des biens pour les revendre, cette activité est considérée comme relevant d’un acte de commerce, quels que soient les montants qu’elle génère. Vous devez donc procéder aux déclarations de rigueur, et payer en principe les cotisations sociales afférentes (voir ici). Il en va de même si vous louez une chambre ou un appartement meublé sur un site tel qu’Airbnb.
Avec ces déclarations automatisées, le fisc pourra surtout repérer plus facilement de potentiels fraudeurs. Les données qui en découleront, taillées pour nourir des algorithmes, permettront de faire ressortir les « gros poissons » (ceux qui effectuent par exemple de nombreux actes d'achat/revente sur Internet). La DGFiP aura alors tout le loisir de diligenter des enquêtes, en vue d'éventuels redressements.
Et ce d’autant que Bercy prévoit de scruter à partir de l’année prochaine les éléments rendus publics par les Français sur les réseaux sociaux, afin de trouver des « indices qui, croisés avec d’autres données, peuvent conduire l’administration à ouvrir un contrôle ».
Les pouvoirs publics envoient dans le même temps un message clair aux fraudeurs : il va devenir plus difficile de passer entre les mailles du filet.
Dans l’étude d’impact du projet de loi de lutte contre la fraude, le gouvernement expliquait à cet égard vouloir « fiscaliser des revenus dont certains sont aujourd’hui soustraits à l'impôt ». Les recettes supplémentaires étaient néanmoins présentées comme « non chiffrables ».
La réforme ne sera pourtant pas indolore pour le Trésor public, puisque Bercy prévoit d'y consacrer au moins 220 000 euros rien que pour l’année prochaine (voir ci-dessous).