Le sampling en procès devant la justice européenne

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Droit 5 min
Le sampling en procès devant la justice européenne
Crédits : KraftwerkRAH210617-16, par Raph_PH, licence CC BY 2.0

Le 12 décembre dernier, l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne a rendu son analyse de la question du « sampling » dans les compositions musicales. Sous quelles conditions peut-on prélever un échantillon dans une œuvre musicale pour le réintégrer dans une autre ?

Le sujet n’est pas vraiment neuf, mais c’est la première fois où la Cour européenne est invitée à trancher les questions de droit autour de cette problématique. « Le sampling constitue un véritable enjeu juridique, notamment à partir du moment où le hip-hop a quitté les rues du Bronx pour entrer dans le mainstream et devenir une source de revenus non négligeables pour ses auteurs, ses exécutants et ses producteurs » explique l’avocat général Maciej Szpunar.

L’affaire sur la rampe de la CJUE oppose le groupe Kraftwerk aux producteurs de « Nur mir », chanson interprétée par Sabrina Setlur. Le groupe allemand estime que celle-ci a samplé sans droit deux petites secondes de leur production de 1977, « Metall auf Metall ». Deux petites secondes dupliquées en boucle tout le long du titre publié en 1997. Kraftwerk a réclamé devant les juridictions allemandes la cessation de l’infraction, des dommages et intérêts, outre la remise des phonogrammes aux fins de leur destruction.

Le dossier a gravi les échelons juridictionnels pour se retrouver devant la CJUE, à qui plusieurs questions spécifiques ont été posées. Ce sont ces interrogations qui ont donné lieu à l’avis de l’avocat général. Déjà, il ne fait aucun doute que le sampling est par définition une atteinte au droit exclusif du producteur d’autoriser ou d’interdire ces reprises. Reste à savoir s’il est possible d’en retrouver une justification dans les différents outils juridiques disponibles.

Le sampling autorisé en dessous d'un certain seuil ?

C’est ainsi que les États membres sont intervenus directement dans cette affaire pour rappeler que le droit des producteurs des phonogrammes (ici Kraftwerk) est calibré pour protéger leurs investissements financiers. En toute logique, une reprise très courte ne devrait pas être suffisante pour représenter une quelconque menace sur cet investissement. Une action en contrefaçon exigerait donc le dépassement d’un seuil à définir. L’atteinte ne serait sanctionnée qu’au-delà de ce seuil.

Pour l’avocat général, si cette analyse peut s’envisager pour des mots, elle ne vaut pas ici. « Le phonogramme ne se compose pas de petites particules non protégeables : il est protégé comme un tout indivisible ». La définition du seuil soulèverait en outre des questions complexes : « devrait-il être uniquement quantitatif (durée de l’extrait reproduit) ou bien également qualitatif (importance de l’extrait pour l’œuvre en question) ? ». Et les réponses apportées par chaque État membre seraient nécessairement à mille lieues de l’idéal de marché unique.  

Pour le même Maciej Szpunar, l’incorporation d’un sample dans un phonogramme n’en est pas pourtant autant une vile copie, un piratage pour atteinte au droit de distribution. Pourquoi ? Parce que contrairement à la circulation de copie contrefaite, « le sampling sert non pas à produire un phonogramme qui se substitue au phonogramme original, mais à créer une œuvre nouvelle et indépendante de ce phonogramme ».

Le sample, une exception de courte citation ? 

Néanmoins, il refuse d’abriter ces reprises sous le parapluie des exceptions et des limitations aux droits exclusifs. L’article 5 de la directive sur le droit d’auteur « ne contient pas d’exception générale, permettant l’utilisation d’une œuvre d’autrui aux fins de la création d’une œuvre nouvelle ». Ainsi, les États membres ne peuvent pas prévoir une telle exception dans leur droit interne.

Les producteurs du titre de Sabrina Setlur peuvent-ils trouver meilleur salut au titre du droit de courte citation ? La directive de 2001 autorise ces atteintes au monopole « par exemple, à des fins de critique ou de revue ». La liste n’est pas limitative. Si elle s’applique généralement aux œuvres écrites, elle peut théoriquement valoir pour les autres secteurs, dont celui des phonogrammes. Néanmoins, l’exception doit répondre à plusieurs conditions.

« La formulation de la disposition en question indique à mon avis clairement que la citation doit servir à entrer dans une sorte de dialogue avec l’œuvre citée » relativise déjà l’avocat général. Ainsi, « que ce soit en confrontation ou en hommage, ou encore d’une autre manière, une interaction entre l’œuvre citante et l’œuvre citée est nécessaire ».

De même, l’œuvre citée ne doit pas être altérée. Il doit toujours être possible de la distinguer. En effet, « comment l’œuvre citante pourrait-elle entrer en dialogue ou se confronter avec l’œuvre citée si celle-ci se confondait complètement avec celle-là ? ».

Le sampling issu d’un morceau de Kraftwerk ne répond pas à ces conditions, d’après lui. Ces deux secondes ont la fonction d’une matière première, mélangée « dans les nouvelles œuvres pour en former des parties intégrantes et non reconnaissables ». « C’est donc non pas une forme d’interaction, mais une forme d’appropriation ». 

Enfin, il faut que l’origine de l’œuvre soit citée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Le sample, protégé par la Charte des droits fondamentaux  ?

Une autre question posée par les juridictions allemandes revient à savoir si le sampling ne pourrait pas être protégé en tant que tel par la prise en compte des droits fondamentaux consacrés par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en particulier la liberté des arts (article 13).

Là, encore, il conclut par la négative. Déjà prévoir un régime particulier qui puisse bénéficier à un seul type de musique, ici le rap, serait contraire au principe d’égalité. De plus, et surtout, il ne voit aucune atteinte dans le fait de devoir obtenir une licence pour une telle réutilisation. Cette obligation « ne restreint pas, à mon avis, la liberté des arts dans une mesure qui dépasserait les contraintes normales du marché, d’autant plus que ces œuvres nouvelles apportent souvent à leurs auteurs et à leurs producteurs des revenus non négligeables ».

Surtout, si l’obtention d’une telle licence est impossible, cet état ne peut garantir la possibilité pour chacun le droit « d’utiliser librement tout ce qu’il veut aux fins de sa démarche créative ».

Cet avis sert à éclairer la cour dans son arrêt attendu dans plusieurs semaines. Elle n’est pas liée par ses conclusions et pourra donc opter pour une solution diamétralement opposée, même si généralement elle reste fidèle.

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