Les parlementaires PS vont tenter d’engager un premier « référendum d’initiative partagée », dans l’espoir d’obtenir le rétablissement de l’impôt sur la fortune (ISF). Pour ce faire, il leur faudra notamment recueillir le soutien de plus de 4,5 millions de citoyens, via Internet. Retour sur cette procédure qui s'apparente à un véritable chemin de croix.
« Question simple : ISF pour ou contre ? » Olivier Faure, le Premier secrétaire du Parti socialiste, a annoncé mardi 18 décembre que dans l’attente « d’éventuelles nouvelles procédures participatives », promises par l’exécutif suite au mouvement des « gilets jaunes », les élus PS entendaient lancer un référendum d’initiative partagée.
Ce qui serait une première. Cet outil institutionnel, bien que techniquement opérationnel depuis 2015, n’a en effet jamais été mis en œuvre en France – notamment en raison de sa complexité. L’exercice s’annonce d’ailleurs hautement délicat pour les élus PS...
Une plateforme bientôt ouverte pour « démarcher » les parlementaires
« Les Français veulent, à une très large majorité – plus de 70 % – le rétablissement de l’ISF » a lancé mercredi la députée Laurence Dumont, lors des questions au gouvernement. « Avec ce référendum d’initiative partagée, nous voulons ouvrir une nouvelle page. Démocratie représentative et démocratie participative vont se conjuguer pour réparer une injustice. »
Cependant, pour pouvoir enclencher ce processus, les élus PS vont tout d’abord devoir réunir 185 signatures de parlementaires (députés et/ou sénateurs) sur leur proposition de loi référendaire. Le texte, dans le détail, réintroduit l’ISF, en lieu et place de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) instauré l’année dernière par la majorité LREM.
Problème : on ne compte « que » 103 parlementaires socialistes (74 sénateurs et 29 députés). « Si on prend les groupes de gauche à l'Assemblée et au Sénat, il ne nous manque qu’une trentaine de signatures », nous glisse-t-on néanmoins au Parti socialiste.
Pour aller chercher ces soutiens, le PS s’apprête à faire appel aux Français. Une plateforme doit en effet être lancée la semaine du 7 janvier, afin que chaque citoyen invite son député à co-signer la proposition de loi référendaire des socialistes. En quelques clics, il devrait être possible d’envoyer un mail (pré-écrit), ou d’interpeler un élu via les réseaux sociaux – à l’image de la campagne organisée il y a peu par Générations futures au sujet de l’interdiction du glyphosate.
Les élus PS espèrent ainsi que suffisamment de députés non-inscrits ou de l’opposition se joindront à leur initiative. À condition toutefois que ceux-ci soient membres des groupes politiques « républicains ». « Nous ne prendrons pas les signatures des parlementaires du Rassemblement national », prévient-on en ce sens au PS.
Une fois que ces 185 signatures auront été recueillies, les socialistes pourront formellement déposer leur proposition de loi référendaire (soit devant l’Assemblée nationale, soit devant le Sénat).
Contrôle préalable du Conseil constitutionnel
Deuxième étape : la proposition de loi sera automatiquement déférée au Conseil constitutionnel, qui statuera sur la conformité de chacun de ses articles aux textes fondateurs.
Les « Sages » vérifieront d’autre part que le texte remplit toutes les conditions posées par l’article 11 de la Constitution. Il est par exemple interdit de solliciter « l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an ». Certains devraient ainsi surveiller attentivement le calendrier, la suppression de l’ISF ayant été entérinée par la loi de finances 2018 (publiée au Journal officiel du 31 décembre 2017).
Une fois que le juge aura donné son feu vert, s’ouvrira une phase potentiellement encore plus délicate : recueillir le soutien d’au moins « un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales » – soit plus de 4,5 millions de Français. « Dans le contexte d’exigence sociale et démocratique que nous connaissons, je pense qu’ils ne seront pas difficiles à convaincre », a néanmoins lancé Laurence Dumont, avant-hier à l’Assemblée.
Neuf mois pour recueillir plus de 4,5 millions de signatures électroniques
L'ouverture de cette période de recueil des soutiens doit intervenir dans le « mois suivant » la publication de la décision du Conseil constitutionnel au Journal officiel. L’objectif n’est pas de permettre aux citoyens de voter « pour » ou « contre » le texte en question, mais de demander à ce que celui-ci soit examiné par le Parlement, faute de quoi l’organisation d’un référendum deviendra obligatoire.
Particularité : les signatures ne peuvent être recueillies que « sous forme électronique ». Un site Internet dédié à cette opération est d’ailleurs d’ores et déjà en place (même s’il n’a encore jamais servi à ce jour) : « www.referendum.interieur.gouv.fr ».
Pour les électeurs qui ne peuvent effectuer cette sorte de parrainage par leurs propres moyens, le législateur a toutefois prévu quelques aménagements :
- Des « points d’accès » à Internet sont censés être disponibles « au moins dans la commune la plus peuplée de chaque canton ou au niveau d'une circonscription administrative équivalente et dans les consulats ».
- Tout citoyen peut, à sa demande, « faire enregistrer électroniquement par un agent de la commune ou du consulat son soutien présenté sur papier ».
En pratique, la procédure se veut relativement simple puisqu’il n’est pas nécessaire de créer un compte ou de fournir des justificatifs. Il suffit de renseigner ses nom, prénoms, sexe, date et lieu de naissance, lieu d'inscription sur les listes électorales, numéro, date et lieu de délivrance de la carte d'identité ou du passeport, et enfin adresse électronique ou postale.
Ces informations doivent ensuite permettre au ministère de l’Intérieur, qui gère le site dédié aux référendums d’initiative partagée, de vérifier (sous cinq jours) si la personne n’a pas déjà apporté son parrainage au texte en question.
Le contrôle opéré par la Place Beauvau n’est a priori pas trop poussé, puisqu’un soutien est « réputé valide » dès lors que :
- Le contrôle de la pièce d’identité ne fait pas apparaître d’anomalie.
- L'INSEE confirme que l'électeur est bien inscrit au répertoire national d'identification des personnes physiques.
- L'électeur n'a pas déjà apporté son soutien à la proposition de loi concernée.
Lors de la parution du décret mettant en musique ce mécanisme, la CNIL s’était ainsi inquiétée du fait que certaines personnes pourraient arriver à soutenir un texte pour un autre électeur sans son consentement (par exemple suite à la perte d’une carte d’identité).
Des réclamations et recours seront toutefois possibles. Les internautes qui usurperaient l'identité d'un électeur s’exposent d’ailleurs à des peines de deux ans de prison et de 30 000 euros d'amende. Le législateur a également prévu des sanctions allant jusqu’à cinq ans de prison et 75 000 euros d'amende pour ceux qui tenteraient de pirater informatiquement le dispositif.
La validation d’un soutien impliquera la mise en ligne des nom, prénom(s) et commune de l’électeur concerné. Le ministère de l’Intérieur publiera en effet une liste, classée par ordre alphabétique, qui restera publique jusqu’à deux mois après la fin de la phase de recueil des soutiens.
Cette étape durera neuf mois. Mais même si le PS arrivait à recueillir les plus de 4,5 millions de signatures requises durant ce laps de temps, l’organisation d’un référendum ne serait pas pour autant acquise...
Un référendum loin d’être acquis
Le président n’est en effet contraint d’organiser un référendum que si la proposition de loi « n'a pas été examinée au moins une fois par chacune des deux assemblées parlementaires dans un délai de six mois » à compter de la validation des signatures des électeurs par Conseil constitutionnel. La Constitution parle d’ailleurs bien d’examen du texte, non de son rejet ou, au contraire, de son adoption.

Autant dire que pour que les électeurs soient appelés aux urnes, le « blocage » volontaire d’une des deux assemblées sera nécessaire.
Et si finalement référendum il y a, alors les citoyens pourront dire si oui ou non ils souhaitent adopter cette proposition de loi réinstaurant l’ISF. En cas de vote positif, le président de la République serait tenu de promulguer la nouvelle loi « dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats de la consultation ».
« Nous sommes très déterminés et nous irons jusqu’au bout » a promis Laurence Dumont, mercredi, face au Premier ministre. « Si l’on utilise cet instrument pour revenir sur des lois qui ont été votées par le Parlement, on peut aller très loin » a toutefois mis en garde Édouard Philippe. Le locataire de Matignon a clairement répété que LREM ne comptait pas revenir sur la suppression de l’ISF, « conforme à un engagement pris par notre majorité devant le peuple ».