Droit voisin des éditeurs de presse : les points oubliés par Sammy Ketz

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Droit voisin des éditeurs de presse : les points oubliés par Sammy Ketz

Une nouvelle fois, Sammy Ketz, grand reporter de l’AFP, a repris sa belle plume pour défendre avec vigueur l’article 11 de la directive sur le droit d’auteur. Le texte instaure un droit voisin pour les éditeurs de presse en raison de la diffusion par les plateformes de leurs articles.

À deux jours du cinquième trilogue entre Commission, Conseil et Parlement européen, une partie de la presse revient au chevet du droit d’auteur. L’article 11 de la proposition de directive sur le droit d’auteur sera arbitré jeudi par les trois institutions. Le texte vient créer un droit à rémunération au profit des éditeurs de presse pour l’usage des extraits d’articles diffusés par les plateformes, souvent à l’initiative des internautes.

Un texte très vigoureux a été adopté le 12 septembre dernier par le Parlement européen. « Ce vote historique (…) a été rendu possible grâce à la mobilisation inédite des journalistes et au courage des députés européens malgré une pression intense et sans précédent des grandes plateformes », salue  Sammy Ketz.

Un droit voisin, même sur de courts extraits

Ce grand reporter de l’AFP, qui avait déjà défendu ce dispositif à la demande d’une des chefs de l’agence, ne décolère pas. Les intermédiaires « cherchent à faire exclure du dispositif ce que l’on appelle les « courts extraits », « factuels » ou encore « snippets », à écarter les agences de presse, la presse spécialisée et à réduire la durée de protection du droit voisin » explique-t-il dans une tribune publiée en chœur par des médias européens italiens, espagnols, polonais, slovènes, autrichiens, belges, anglais, maltais, « Et en France par Le Monde, Le Figaro, Le Parisien, Les Échos, L’Humanité [et] le JDD ». Pas moins.

Selon lui, seule une rémunération visant aussi les courts extraits permettra d’embaucher plus de journalistes, de publier des articles de fond et lutter contre ces fichues « fake news ». L’ASIC, l’association des services internautes communautaires, qui rassemble en France Google, Facebook et les autres géants, suggère au contraire l’instauration d’un seuil d’activation de 250 caractères.

Une horreur pour Ketz : « Si les courts extraits sont hors du champ du droit voisin, le pillage des contenus continuera. Pour une raison très simple : ce que lisent massivement les internautes, ce qui génère des millions d’interactions sur les sites et donc des revenus considérables pour les plateformes, ce sont précisément ces courts extraits. »

Celui qui plaide pour une durée de protection et de rémunération de 20 ans (!) n’explique cependant pas toute la beauté ou l’horreur, une question d’angle, de ce mécanisme.

Un lien incestueux entre éditeurs et réseaux sociaux

D’un, instaurer un droit voisin au profit des éditeurs de presse va conduire ses bénéficiaires à maximiser leurs présences sur les réseaux sociaux. Un tel cordon ombilical aura nécessairement une influence sur le contenu même des articles puisque les plus partagés seront ceux qui justifieront, du côté de l’éditeur, une rémunération plus élevée. La course à l'audience restera la règle.

Entre un article analysant l’évolution du PIB français sous l’ère macronienne et celui relatant le détournement d'argent par des bonnes sœurs pour une virée à Las Vegas, quel sera le plus partagé ? 

De deux, penser que le journalisme va gagner en liberté grâce au droit voisin – un argument qui a pu être entendu – est un leurre. Voté en l’état, le texte va créer un lien étroit, à peu près identique à celui généré par les subventions distribuées par le ministère de la Culture. Camés par ce droit voisin, ces titres seront tels des wagons accrochés solidement à la locomotive Facebook.

Des données personnelles drainées vers les États-Unis

De trois, en maximisant leurs présences sur les réseaux sociaux, pour accentuer leurs retombées financières, les grands éditeurs poursuivront le drainage des données personnelles de leurs lecteurs vers ces estomacs de traitement (voir ce billet publié par le Journal du Net).

Quand on sait que la CNIL et ses homologues européens enquêtent aujourd’hui dans ces tréfonds, la démarche est dangereuse pour ne pas dire kamikaze. Plutôt qu’opter pour la salubrité, la plupart des grands titres démultiplient encore aujourd’hui cookies et autres traceurs pour étrangler leur lectorat dans des cordons asservis par ces puissantes entités. L’article 11, future gueule de bois de l’après-RGPD ?

Un droit à rémunération, même pour la coupe de 1998

De quatre, justifier un droit à rémunération pour une durée de 20 ans est d’une gourmandise sans nom.

Cela signifierait que les intermédiaires aient à payer forfaitairement parce que des internautes, sur ces 7 300 derniers jours, ont parlé de la sortie imminente du film Titanic, de l’inauguration du Stade de France, de l’assassinat du préfet Erignac, de Zidane contre le Brésil lors du championnat du monde ou bien de la parité franc et euro.

Autant d’actualités remontant à 1998, merci Wikipédia

Les miettes des journalistes et la prudence française

De cinq, croire que les journalistes vont percevoir les fruits de cette récolte n’est pas d’une assurance absolue. Dans les trois versions de l’article 11, celle du Parlement prévoit certes qu’ils bénéficieront « d’une partie appropriée des nouvelles recettes supplémentaires que les prestataires de services de la société de l’information versent aux éditeurs de presse ».

Cependant, dans une « instruction en vue de la réunion du groupe propriété intellectuelle du 15 novembre 2018 » que nous avons pu lire, la délégation française a abordé le sujet. Cette émanation du gouvernement à Bruxelles a expliqué simplement qu’elle se « félicite » que l’association éditeurs-journalistes soit abordée à l’occasion du premier trilogue.

Seulement, elle s’est montrée très prudente à la défendre sans « consultation interne des professionnels (comprendre des éditeurs, NDLR) dont l‘avis est déterminant sur ce point ». Problème : on a beau chercher, les gros éditeurs ont été silencieux sur la quote-part que toucheraient leurs journalistes du ruissellement de Google, Facebook, Twitter et des autres.

Les charmes d’une commission administrative

De six, l’instauration d’un droit voisin imposera sans aucun doute en France celle d’une commission administrative, comme ce fut déjà tenté en France. Une instance où seront négociés les montants des perceptions à reverser à chaque éditeur.

Au Sénat, un risque avait été épinglé par une élue LREM. Fabienne Colboc s’était en effet interrogée sur « l’articulation de ce nouveau droit avec la lutte contre les fausses informations ». Sa crainte ? Que cette source de revenus « vienne créer une source de financement supplémentaire pour les entreprises de presse diffusant de fausses informations ». Le sénateur Patrick Mignola (MODEM) avait tenté de la rassurer : « Un tel système de gestion collective (…) est constitué d’éditeurs connus qui, statutairement, s’acceptent les uns les autres ».

De sept, quand Sammy Ketz dénonce le lobbying de Google, il oublie d’évoquer cette publication de Corporate Europe qui montre que les principaux lobbystes sur le terrain du droit d’auteur sont issus... de l’industrie culturelle et des médias.

En somme, un droit sur des articles jusqu’à 20 ans d’âge, qui accentue la dépendance avec les grandes plateformes US, pour y drainer des camions de données personnelles, qui risque d’abaisser la qualité des articles, sur lequel des journalistes n’auront peut-être que des miettes et qui sera orchestré entre éditeurs amis.

Voilà l’autre réalité de l’article 11 oubliée par Sammy Ketz.

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