Stéphane Richard croyait dans le potentiel d'Orange Bank. Après les retards et un lancement mitigé, nous attendions de grosses évolutions du service. Mais à l'heure du bilan, le compte n'y est vraiment pas.
Demain, Orange organisera sa grand-messe annuelle au cœur du quartier de la Défense, le Show Hello. Stéphane Richard y parlera du futur de l'opérateur et de ses offres, alors que la 5G arrive à grands pas. Mais il fera aussi sans doute le bilan de l'année passée. Ce, une semaine après le lancement des nouvelles Freebox One et Delta.
Outre l'assistant Djingo réalisé en partenariat avec Deutsche Telekom, tout le monde attend des nouvelles d'Orange Bank. Lancé en grande pompe l'année dernière, le service revendique 200 000 clients, acquis à grands renforts d'offres de parrainage. Mais alors qu'il nous semblait déjà peu convaincant l'année dernière, il a peu évolué.
Après la démission du PDG fin septembre, Orange saura-t-il changer la donne et réellement passer la seconde ?
Presque aucune évolution majeure
Malgré les nombreuses promesses, aucune grande nouveauté n'a finalement été mise en place. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder l'historique des mises à jour sur l'App Store d'Apple : les premiers mois ont été consacrés à la correction de bugs et au support de l'iPhone X, avant l'arrivée des prêts personnels en mars dernier.
Ensuite, nouveau lot de correctifs, jusqu'à une révision « majeure » en juillet. Mais cette version 2.0 promettait surtout « une application plus fluide et plus réactive » avec un nouveau dispositif de connexion, le support de 3D Touch et quelques améliorations ergonomiques. Bref, surtout des coups de peinture.
Depuis cet été, des correctifs ont à nouveau été publiés. En attendant la v3 ? Résultat, la croissance des clients se tasse. 50 000 à la fin de l'année 2017, 100 000 en mars. Il a fallu attendre novembre pour que ce chiffre double. De quoi afficher un retournement de tendance. L'ouverture dans les DROM devrait renforcer les prochains chiffres.
À titre de comparaison, Boursorama banque a annoncé cet été avoir dépassé le cap des 1,5 millions de clients en France, soit 500 000 de plus que début 2017. Ils sont 500 000 chez l'allemand N26, 400 000 chez l'anglais Revolut. Les pertes d'Orange Bank annoncées au premier semestre sont de 68 millions d'euros, l'équilibre est attendu pour 2023.
L'objectif est d'atteindre les deux millions de clients d'ici dix ans, malgré un contexte concurrentiel qui va se renforcer.
Toujours assez loin d'une banque nouvelle génération
Mais cette absence d'évolutions ne découle-t-elle pas simplement d'un produit déjà bien pensé et réalisé dès le départ ? Malheureusement non, Orange Bank ayant rapidement montré l'étendue de ses défauts.
Il y a bien sûr l'offre commerciale qui n'a pas évolué d'un iota. Loin de la tarification d'une néobanque ou même d'une banque en ligne classique, Orange Bank est chère face à ses concurrentes. Surtout, ses pratiques en cas de problème tiennent plus de la banque classique que de l'offre souple, pour un public aux attentes nouvelles.
C'est un point rarement soulevé dans les tests des offres bancaires, car il n'est pas simple à mettre en place, surtout qu'il faut disposer de comptes réels pour se faire une idée. Notre procédure a ici été simple : mettre le compte à découvert et attendre de voir la réaction du service et la façon dont le contact avec le client est géré.
Les néobanques ne proposent en général pas de découvert, avec une carte bancaire à débit immédiat. Elles se montrent souvent intransigeantes, parfois trop. Dans le cas de N26, notre essai a abouti à la fermeture pure et simple du compte après plusieurs rappels (pour une dizaine d'euros). Besoin de récupérer les relevés ? Dommage.
On trouve l'exemple inverse du côté des banques en ligne avec Boursorama. La procédure est automatisée, mais en général souple et complète sur les moyens de communication : vous recevez des rappels de la situation par SMS et email (en fonction de vos préférences), parfois en amont d'un prélèvement d'une carte en débit différé important.
Une section dédiée à la régulation des incidents permet de créditer le compte par virement ou prélèvement, de communiquer avec un conseiller, etc. On regrette seulement de ne pas pouvoir créditer le compte depuis une carte bancaire comme c'est le cas pour certaines néobanques ou Fortuneo par exemple.
Exemples de messages pouvant être reçus chez Boursorama pour un compte débiteur
Puis, si le prélèvement aboutit à une situation de découvert, vos moyens de paiement peuvent être coupés. Là encore, vous êtes notifié directement. Mais dès que le virement permettant de régler la situation a été effectué, tout est rétabli, sans délai. Bien entendu, des frais peuvent être prélevés (mais pas de gestion).
Dans le cas d'Orange Bank, lors d'un test similaire effectué en début d'année (à travers la mise en découvert via une carte à débit différé), les moyens de paiement ont été coupés, des frais ont été prélevés et nous avons eu droit à la fameuse lettre d'information facturée 15 euros. Une pratique assez courante chez les banques classiques. Mais Orange Bank en a facturé trois sur la période (30 jours, 45 jours, 60 jours), soit un total de 45 euros, à ajouter à la dizaine d'euros de frais.
Une fois le compte repassé créditeur, la réactivation de la carte bancaire a été complexe. Rien n'était proposé dans l'interface et l'assistant Djingo n'était d'aucune aide (cela a rarement été le cas lors de nos différentes interactions avec le service). Il fallait donc passer par un téléconseiller.
Ce dernier nous a expliqué que la réactivation des moyens de paiement du compte ne pourrait se faire que contre un engagement d'un versement mensuel de plusieurs centaines d'euros sur le compte. Un premier versement devait être effectué comme preuve de notre bonne foi avant de pouvoir récupérer les moyens de paiement.
Après cette procédure, rien n'a changé. Le service client a dû être relancé pour que la réactivation de la carte bancaire soit effective. Certes, c'est préférable à une fermeture pure et simple du compte comme chez N26, mais c'est tout de même bien moins efficace que d'autres concurrents français.
Ce petit test montre en tous cas qu'en interne, l'historique du rachat de Groupama Banque est encore assez présent, et que les procédures sont loin de bénéficier d'une structure agile, telle que dépeinte par Orange au lancement.
Aucun gros manque n'a été comblé
Cela ne concerne d'ailleurs pas que la gestion des découverts ou de la relation client. Les fonctionnalités du service n'ont en effet presque pas bougé, hors de quelques retouches cosmétiques.
Comme évoqué précédemment, l'arrivée des prêts personnels a été annoncée en mars. Prévue dès le départ, cela n'a pas empêché le groupe d'indiquer en juin à ses clients dans un email que cette idée était née « justement en écoutant vos envies, en partageant avec vous sur vos projets ».
La carte Premium, annoncée au départ pour cet été, n'a jamais été proposée. Elle est désormais prévue pour 2019. Il en est de même pour les prêts à courte durée, permettant notamment des synergies avec Orange pour l'achat de smartphone. Idem pour les évolutions de l'application.
Elle est toujours organisée de la même manière, avec une page d'accueil affichant solde et informations sur le service. On y obtient un RIB/IBAN (via le bouton « ... »), alors que l'ensemble des documents est placé dans le profil du compte. C'est en effet là que l'on trouve les relevés, contrats, messages et paramètres de l'application.
La partie virement ne permet toujours que d'envoyer de l'argent, pas d'en demander. La procédure par SMS annoncée dès le lancement n'a jamais été implémentée. Elle est toujours présentée comme « bientôt disponible ». La partie paiement regroupe les informations sur la carte bancaire et le paiement mobile, là aussi sans nouveauté. Même la modification des plafonds continue de passer par un message à envoyer au service client.
On aurait pourtant apprécié des services comme des cartes virtuelles, à usage unique ou non, comme le propose Revolut. Une fonctionnalité utile pour une clientèle comme celle d'Orange, moins confiante et habituée au numérique. Ce n'est pas le cas. Lorsque fin juin un email est envoyé pour annoncer la gratuité des retraits d'espèce et des paiements « en Asie, en Afrique ou en Amérique du Sud », ce n'est que le temps d'un été, du 1er juillet au 31 août 2018.
Parrainages et concours avant le Show Hello
Fin août, une opération de parrainage était lancée : 50 euros par nouveau client, dans la limite de 500 euros. Une offre inférieure à ce que propose en général la concurrence. Début novembre, le montant du parrainé était doublé, sans doute pour faire gonfler un peu les chiffres avant le Show Hello : 160 euros au lieu de 80 euros.
Une semaine plus tard, un concours promettait à 365 de ceux qui utilisent leur carte bancaire de se faire rembourser une journée d'achats après un tirage au sort. Il faut dire qu'avec 30 à 40 % des clients déclarés comme très actifs (les autres lui rapportent cinq euros par mois), Orange Bank a sans doute besoin d'afficher une meilleure moyenne.
Deux communications d'Orange Bank envoyées à ses clients depuis la rentrée
Un an après, déjà le besoin d'un renouveau
On comprend mieux pourquoi André Coisne a claqué la porte. La nouvelle direction va devoir faire face à de nombreux défis, alors que des N26, Revolut, Boursorama et autres Fortuneo (pour ne citer qu'elles) grapillent, encore assez lentement, les parts de marché des banques classiques.
Sans un changement profond des applications, des services, ou même du modèle d'Orange Bank, on a bien du mal à voir comment le service pourra soutenir la comparaison et convaincre au-delà de sa base de clients actuels. Malgré les multiples avantages d'Orange (base de clients, boutiques, reconnaissance et confiance dans la marque), le parrainage et toute la communication effectuée, la machine semble déjà grippée.
Demain, Stéphane Richard devra donc faire mieux qu'un simple bilan en mode « positive attitude ». Il devra prendre acte du démarrage en partie raté d'Orange Bank et des erreurs commises depuis, pour espérer donner à son service un nouveau souffle. Il faudra ensuite tenir les promesses d'évolutions qui ne manqueront pas d'être faites.