Alors que les critiques à l’encontre de Bloctel ne tarissent pas, la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale vient d’adopter différentes mesures destinées à limiter les appels frauduleux et le démarchage téléphonique abusif.
Cinq mois après l’adoption de la proposition de loi du député Pierre Cordier (LR), la question du démarchage téléphonique s’invite à nouveau au Palais Bourbon. La commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a en effet examiné, mercredi 28 novembre, une nouvelle proposition de loi destinée à renforcer le dispositif d’opposition Bloctel mais aussi – et c’est là la principale différence avec le texte de Pierre Cordier – les appels frauduleux, notamment en matière de numéros surtaxés.
Le député à l’origine de cette initiative, Christophe Naegelen (UDI-Agir), a décrit sa proposition de loi comme « juste et protectrice », y compris pour les entreprises. Le centriste a clairement indiqué que contrairement à Pierre Cordier, il ne souhaitait pas instaurer un système d’opt-in (selon lequel seules les personnes ayant donné leur accord pour être démarchées auraient pu l’être).
La majorité s’était de toute manière déjà opposée à une telle réforme, notamment par crainte de menaces pour l'emploi.
Un arsenal de sanctions largement aiguisé
Sans grande surprise, les députés ont une nouvelle fois approuvé la multiplication par cinq des sanctions prévues pour les démarcheurs qui sollicitent des personnes pourtant inscrites sur Bloctel. Les entreprises s’exposeraient ainsi à des amendes administratives de 375 000 euros (contre 75 000 euros aujourd’hui).
Cette hausse prévaudrait également pour les démarcheurs qui recourent à un numéro masqué, ou bien encore pour les sociétés qui vendent des fichiers contenant les numéros de personnes s’étant enregistrées sur la liste d'opposition au démarchage téléphonique. Idem pour les entreprises qui prospectent par le biais d’automates (téléphoniques ou de courriers électroniques) sans consentement.
Christophe Naegelen a d’ailleurs souhaité compléter l’arsenal juridique en vigueur à ce sujet, afin de punir (toujours de 375 000 euros d’amende administrative) l’utilisation d’automates destinés à « vérifier la présence d’un consommateur à son domicile ou la bonne attribution du numéro appelé ». Ces appels, ayant souvent lieu durant les horaires de repas, constituent selon le député « de véritables nuisances pour les particuliers qui, lorsqu’ils décrochent, ne sont souvent mis en relation avec aucun conseiller ou opérateur ».
Toujours en matière de répression, des sanctions alourdies sont prévues pour les professionnels de la prospection qui n’expurgent pas de leurs fichiers les numéros de téléphone inscrits sur Bloctel. Cette mise en conformité devra être effectuée « au moins une fois par mois » pour les démarcheurs qui exercent « à titre habituel ». Ceux qui lancent des appels de manière occasionnelle seront quant à eux tenus de procéder à une vérification « avant toute campagne de démarchage téléphonique ».
Un rapport d’évaluation sur la délégation de service public Bloctel
Les députés ont ensuite étendu les informations que doivent délivrer les démarcheurs lorsqu’ils appellent un consommateur. En l’occurrence, ils seraient à l’avenir tenus d’informer leurs interlocuteurs qu’ils peuvent « s’inscrire gratuitement sur une liste d’opposition au démarchage téléphonique ».
La proposition de loi de Pierre Cordier allait plus loin sur ce point, puisqu’il était prévu que les auteurs d’appels indiquent « de manière explicite », au « début de la conversation » :
- Leur identité (comme aujourd’hui)
- L’identité de la personne pour le compte de laquelle l’appel est effectué (comme aujourd’hui)
- Le nom de la personne morale qui les emploie
- L’objet social de la société
- La nature commerciale de l’appel (comme aujourd'hui)
Alors que Christophe Naegelen demandait un audit de la société Opposetel (qui gère Bloctel dans le cadre d’une délégation de service public), le gouvernement a proposé de présenter en lieu et place un « rapport d’évaluation », dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la proposition de loi.
Des opérateurs tenus de suspendre certains numéros
Là où la proposition de loi Naegelen se distingue le plus de celle de Pierre Cordier, c’est sur les appels frauduleux. Dès lors qu’un opérateur aura connaissance, notamment par l’entremise de la plateforme 33700, du « comportement déloyal » de tiers à l’origine d’appels ou de SMS non désirés et redirigeant vers un numéro surtaxé, celui-ci aura désormais « la possibilité de suspendre l’accès » :
- Au numéro surtaxé en question, « sans délai »
- À « l’ensemble des numéros à valeur ajoutée affectés au fournisseur de produit ou de service à valeur ajoutée concerné », et ce « dans l’attente que ce fournisseur produise la preuve de la non-utilisation à des fins frauduleuses des autres numéros qui lui sont affectés »
Ces mesures de rétorsion pourront même devenir impératives si elles découlent d’une injonction des agents chargés de la répression des fraudes (DGCCRF). L’opérateur exploitant le numéro surtaxé devrait en effet :
- Suspendre « sans délai » l’accès au numéro en question
- Suspendre l’accès « à l’ensemble des numéros qu’il a affectés au fournisseur de produit ou de service à valeur ajoutée visé par l’injonction »
- Résilier le contrat
- Cesser « immédiatement tout reversement des sommes associées à ce produit ou à ce service à valeur ajoutée, y compris pour les appels déjà effectués et en attente de reversement »
Faute de quoi, l’opérateur serait passible d’une amende administrative pouvant atteindre 4 % de son chiffre d’affaires.
Christophe Naegelen estime que cette réforme permettra de responsabiliser les opérateurs dans la lutte contre la fraude aux numéros surtaxés « et, ainsi, de protéger au mieux le consommateur ». Telle qu’adoptée mercredi, sa proposition de loi précise d’ailleurs que les sommes non reversées aux fournisseurs de produit ou de service à valeur ajoutée devront être « remboursées au consommateur ».
Dans une optique de « name & shame », le texte prévoit enfin que toute sanction prononcée par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) soit rendue publique, sauf lorsqu’une exception particulière le justifie (risque de perturber d’autres enquêtes par exemple).
Les discussions reprendront jeudi 6 décembre, en séance publique. Le texte devra ensuite être transmis au Sénat, où la proposition de loi de Pierre Cordier n’a toujours pas été inscrite à l’ordre du jour, cinq mois après son adoption par l’Assemblée.