Ces dernières semaines, la communauté Bitcoin Cash s'est écharpée autour de l'avenir de la cryptomonnaie. Si bien que deux camps diamétralement opposés, séparés par une aile neutre, ont fini par donner naissance à deux monnaies distinctes, Bitcoin ABC, qui a finalement gardé le nom de Bitcoin Cash et Bitcoin SV.
Dans le milieu des cryptomonnaies, il n'est pas seulement question d'argent, mais également de pouvoir. Par nature, leur gouvernance décentralisée est une source de conflits, puisque pour faire appliquer une décision visant à modifier le protocole de fonctionnement, il est nécessaire d'obtenir un consensus avec l'ensemble des parties prenantes.
Quand aucun compromis ne peut être trouvé, on assiste à un « fork », c'est-à-dire la division d'une chaîne en deux sous-chaines avec une base technique et un historique communs, mais des règles distinctes. Le poids entre l'ancienne chaine et la nouvelle dépend de la quantité de mineurs qui restent ou basculent sur l'autre.

C'est précisément ce qui s'est passé le 15 novembre dernier sur la blockchain de Bitcoin Cash, elle-même déjà issue d'un fork précédent avec Bitcoin. Deux chaînes distinctes se sont formées avec d'un côté les partisans d'une évolution lente de Bitcoin Cash (Bitcoin ABC) et de l'autre, ceux qui souhaitent des changements radicaux afin de se rapprocher de ce qu'ils considèrent être la « vision de Satoshi » (Bitcoin SV).
Bitcoin ABC : une branche plutôt conservatrice
La branche la plus suivie pour le moment est celle prônée par Bitcoin ABC. Elle apporte des changements significatifs, tels que l'ajout d'un nouvel opcode (OP_CHECKDATASIG) qui permet la validation de messages provenant de sources tierces à la blockchain. De quoi envisager de nouveaux usages comme les contrats « cross-chain » .
Autre avantage, l'introduction d'une nouvelle méthode de construction des blocs (canonical transaction ordering). Celle-ci doit poser les bases pour de futures améliorations du protocole, afin qu'il puisse accepter un plus grand nombre de transactions simultanément.
Au moment où nous rédigeons cette actualité, 70 % des nœuds de feu Bitcoin Cash ont déclaré volontairement leur allégeance à ce protocole. Les noeuds n'ayant choisi ni Cash, ni SV ont eux disparu des radars. Bitcoin ABC revendique donc le droit de continuer à s'appeler Bitcoin Cash. Au niveau de la puissance de calcul déployé par les membres de son réseau, cette branche a totalisé 31 % de preuves de travail de plus que Bitcoin SV. Cependant, à certains moments la puissance de calcul brute délivrée par Bitcoin SV pouvait être nettement supérieure.
Parmi les soutiens de Bitcoin ABC, on retrouve de grands noms, tels que Bitmain, le principal fabricant de puces spécialisées dans le minage, Coinbase, l'une des plateformes d'échange les plus importantes au monde et Bitcoin.com, un site d'information qui n'est autre que l'organe de propagande des promoteurs de Bitcoin Cash.
Bitcoin SV (Satoshi’s Vision) : l’aile libérale
Dans le camp opposé, on retrouve Bitcoin SV (pour Satoshi's Vision). L'objectif de cette branche créée par la société nChain est de « restaurer le protocole originel développé par Satoshi Nakamoto ».
Cela passe par plusieurs changements immédiats au protocole. Le plus visible est l'augmentation de la taille maximale des blocs, qui passe ainsi de 8 Mo sur Bitcoin Cash à 128 Mo pour Bitcoin SV. Cette modification reste néanmoins d'un intérêt très anecdotique pour le moment, puisque la taille effective des blocs de Bitcoin SV dépasse rarement... 50 ko.
Autre correctif notable : la suppression de la limite de 201 instructions par transactions, de quoi favoriser l'envoi simultané de davantage de transactions, et d'essayer de justifier l'augmentation de la taille des blocs. Enfin, quatre instructions issues de la publication originale de Satoshi Nakamoto OP_MUL, OP_LSHIFT, OP_RSHIFT et OP_INVERT font leur retour dans le protocole.
Parmi les figures emblématiques derrière ce projet, on retrouve un certain Craig Wright, plus connu dans la communauté Bitcoin sous le sobriquet de « Fake Satoshi ». C'est en effet lui qui en décembre 2015 a tenté de se faire passer pour Satoshi Nakamoto (le pseudonyme du véritable créateur de Bitcoin) auprès de plusieurs journaux... en n'apportant que des preuves bancales.

Le site d'information CoinGeek est le principal soutien de cette chaîne dissidente, dont il fait activement la promotion. Sa coopérative de minage (ou mining pool) a d'ailleurs représenté pendant un temps plus de 60 % de la puissance de calcul totale sur la chaîne. Un seuil dangereux puisqu'à lui seul, ce regroupement de mineurs pouvait s'il le souhaitait forger de fausses transactions et les faire valider.
Depuis, les mineurs se sont organisés sur un autre pool nouvellement formé : SVPool qui grandit dangereusement. Si bien qu'il représentait près de 50 % de la puissance de calcul totale sur le réseau le 28 novembre, avant de revenir à une part plus raisonnable d'environ 16 % au moment où nous rédigeons ces lignes.
Malgré un hashrate conséquent, Bitcoin SV ne remporte pas les faveurs d'un grand nombre des nœuds formant l'ancien écosystème de Bitcoin Cash. Seuls 20 % d'entre eux ont choisi de suivre ce chemin, qui s'annonce plus tortueux.
Bitcoin Unlimited : le camp neutre
Au milieu de cet affrontement fratricide, on retrouve une aile neutre menée par Andrew Clifford : Bitcoin Unlimited. Ses membres souhaitent tout simplement se ranger autour de la proposition qui obtient le soutien le plus large de la part de l'écosystème , en l'occurrence Bitcoin ABC. Bitcoin Unlimited n'est d'ailleurs pas composé que de mineurs, élargissant ainsi le débat.
Pour les partisans de Bitcoin Unlimited, les votes liés à la gouvernance de la blockchain doivent provenir de ses utilisateurs et de ceux qui la font vivre, c'est-à-dire les plateformes d'échange, les prestataires de paiement, les entreprises et particuliers l'utilisant ainsi que les mineurs. De son côté, Bitcoin SV milite au contraire pour que seule la puissance de calcul déployée fasse foi, partant du principe que ce sont les mineurs qui assurent la sécurité du réseau et donc qu'eux seuls ont voix au chapitre.
Un bilan mitigé pour toutes les parties
Quel résultat est ressorti de ce joyeux bazar ? Si l'on se fie aux avis des concernés, ils ont tous gagné. « Nous ne voulons plus du nom Bitcoin Cash. Pour nous, Bitcoin SV est le véritable Bitcoin et non le Bitcoin Cash original (qu'importe ce que cela puisse signifier) », déclare ainsi Calvin Ayre chez Coingeek. « Nous comprenons que pour ABC, le fait d'avoir à se battre avec nChain autour des roadmaps était leur principal problème. nChain me dit qu'ils sont heureux de laisser ABC dans leur coin. C'est très pratique puisque la définition de la victoire est très différente des deux côtés de la barrière, tout le monde est donc gagnant » poursuit-il.
Ironiquement, on apprend aujourd'hui que les fameuses instructions OP_MUL, OP_LSHIFT, OP_RSHIFT et OP_INVERT autour desquelles les deux communautés se sont déchirées, sont désormais envisagées dans la feuille de route de Bitcoin Cash (ABC) pour 2019... À terme, il ne restera plus donc qu'un schisme autour de questions de gouvernance , et d'infimes divergences techniques. Dommage, donc, de déclencher un fork pour retrouver sur des approches si semblables quelques semaines plus tard.
Sur le plan financier, le cours du Bitcoin Cash s'est effondré, passant de 422 dollars le 15 novembre au moment du fork à seulement 187 dollars aujourd'hui. L'ensemble des détenteurs de Bitcoin Cash au moment de la scission dispose également d'une quantité équivalente en Bitcoin SV.