Le tribunal administratif de Paris vient de rejeter notre requête concernant l’Open Data « par défaut », au motif que nous aurions dû saisir une seconde fois la CADA avant d’engager un tel contentieux. Ce jugement souligne l’absurdité de la législation en vigueur, qui, dans ces conditions, devrait rester largement ignorée des administrations.
Il y a près d’un an, constatant que de nombreux acteurs publics rechignaient à respecter leurs nouvelles obligations de diffusion de documents administratifs prévues par la loi pour une République numérique, Next INpact décidait de se tourner vers la justice, au nom du droit à l’information.
Cette initiative juridictionnelle – une première pour notre journal – n'avait qu'un but : mettre un coup de projecteur sur cette inertie administrative, préjudiciable selon nous à l’intérêt général. Cette attitude est d’autant plus regrettable que la France s’est officiellement engagée à « faciliter et faire appliquer » ce principe d’ouverture dit « par défaut ».
Une obligation de mettre en ligne les documents issus des « demandes CADA »
Pour bien comprendre, il faut se replonger dans l’article L312-1-1 du Code des relations entre le public et l’administration, introduit par la « loi Lemaire » de 2016. Dorénavant, les administrations d'au moins 50 agents (ministères, villes, universités...) sont tenues de mettre à la disposition de tous, sur Internet, les documents administratifs qu'elles viennent de communiquer individuellement, par email, à des personnes en ayant fait la demande sur le fondement de la « loi CADA ».
Cela concerne aussi bien les rapports que les statistiques, les codes sources, les menus de cantine scolaire... À condition bien entendu qu’il n’y ait pas de risque d’atteinte à la vie privée (données personnelles), au secret défense ou au secret des affaires.
Plus de deux ans de procédure, en ne saisissant la CADA qu'une seule fois !
Pour lancer notre procédure, nous nous sommes appuyés sur l’une de nos nombreuses « demandes CADA », initiée il y a plus de deux ans. En avril 2017, après avoir dû batailler jusque devant la Commission d’accès aux documents administratifs, le ministère de l’Intérieur nous avait communiqué un rapport d’évaluation relatif aux caméras-piétons (portés par certains policiers et gendarmes).
Sauf que ce même ministère n’a jamais mis en ligne ce fameux rapport, contrairement à ce que prévoit la loi pour République numérique. C’est ce que nous avons tenté de contester devant le juge administratif.
Mais plutôt que de diffuser ce PDF de quatre pages (environ 1 Mo), la Place Beauvau a assumé son inertie à l’appui d’un volumineux mémoire en défense. Ses arguments ? Différents vices de forme, une absence d’intérêt à agir de notre part, etc. Les services du « premier flic de France » estimaient tout particulièrement que nous contestions un refus de « publication » (et non plus de « communication »), nécessitant dès lors un nouveau passage devant la CADA.
Et pour cause, l’article L342-1 du Code des relations entre le public et l’administration rend la saisine de la CADA « obligatoire » avant l’exercice de tout « recours contentieux ». Ce même article précise que l’autorité indépendante peut être sollicitée par celui « à qui est opposé un refus de communication ou un refus de publication d'un document administratif ». Rien n’est cependant expressément indiqué pour le citoyen ayant successivement essuyé un refus de communication puis de publication...
Le 14 novembre dernier, le tribunal administratif de Paris a néanmoins tranché – donnant gain de cause au ministère de l’Intérieur. « La circonstance que la communication du rapport à laquelle il a été procédé ait fait suite à une première consultation de la Commission d’accès aux documents administratifs ne dispensait pas le requérant de solliciter (...) l’avis de la commission consécutivement au refus de publication en ligne de ce rapport », retiennent les juges.
Suivant le rapporteur public, le tribunal a clairement enfoncé le clou. L’obligation de saisine préalable de la CADA « vaut notamment en cas de refus de mise en ligne d’un document administratif, y compris lorsque la communication de ce dernier avait été précédemment obtenue après consultation de ladite commission ».
Cette seconde saisine de la CADA n’ayant pas été accomplie par nos soins, les magistrats n’ont pas cherché à examiner le dossier plus en détail. Notre requête a été purement et simplement jugée irrecevable.
Un angle-mort juridique ?
Même si cette issue est décevante, elle présente le mérite de démontrer que cette obligation d’Open Data « par défaut » est horriblement complexe à mettre en œuvre, faute de bonne volonté de la part des administrations.
Dans cette affaire nous opposant au ministère de l’Intérieur, cela signifie en effet que nous aurions dû suivre la procédure ci-dessous.
Bref, un véritable parcours du combattant, terriblement long et fastidieux...
Mais surtout : quel citoyen irait réclamer la mise en ligne d’un document qu’il a déjà pu obtenir individuellement ? A priori, personne. C’était justement l’intérêt de ce dispositif : faire tout simplement en sorte qu’un fichier « ouvert » une première fois soit également mis en ligne, afin qu’il profite au plus grand nombre, automatiquement... Ce qui devait dans le même temps simplifier la vie des acteurs publics, puisqu’un document administratif disponible sur Internet n’a plus à être communiqué individuellement en cas de nouvelle demande.
Alors imaginez si, pour faire valoir ses droits, il faut saisir deux fois la CADA (sachant que les délais de traitement des dossiers par la commission avoisinent bien souvent les six mois) !
Le législateur, qui a concentré ses débats sur les autres obligations d’Open Data « par défaut » introduites par la loi Numérique, n’avait peut-être pas remarqué cette sorte d’angle-mort juridique. Espérons que certains parlementaires voudront prochainement rouvrir ce dossier, faute de quoi ce dispositif semble voué à rester inappliqué.
Ce qui serait particulièrement dommageable, puisqu’il s’agit d’un des rares outils de nature à assurer une transparence sur les documents administratifs qui intéressent réellement les citoyens (puisqu’ils découlent d’une demande, non d’un choix de l’administration de proposer tel ou tel jeu de données).