Loi contre les « fake news » : à peine votée, déjà attaquée devant le Conseil constitutionnel

Une atteinte à la liberté d'information ?
Droit 6 min
Loi contre les « fake news » : à peine votée, déjà attaquée devant le Conseil constitutionnel
Crédits : Marc Rees (licence CC-BY-3.0)

Les députés ont adopté le projet de loi contre les fausses informations. Après deux rejets au Sénat, le texte est donc désormais prêt à être diffusé au Journal officiel. Plus de 60 sénateurs de l’Union centriste et du groupe Les Républicains ont cependant saisi le Conseil constitutionnel. Next INpact révèle le contenu de cette saisine.

« Ce n’est pas parce que les géants du numérique sont des géants, qu’ils peuvent échapper à toute régulation » a introduit hier Franck Riester. Devant les députés, le ministre de la Culture a cité les derniers propos de Tim Cook, numéro un d’Apple, qui a plaidé pour une régulation des réseaux sociaux. Autre référence, l’expérimentation acceptée par Facebook d’ouvrir temporairement ses portes et algorithmes aux autorités françaises pour lutter contre les contenus haineux.  

De ces considérations, le locataire de la Rue de Valois déduit que « les plateformes ont pris conscience qu’elles ne pouvaient plus dorénavant se réfugier derrière le statut d’irresponsabilité qu’elles revendiquaient jusqu’à présent ». Et d’assurer que la proposition de loi contre la manipulation de l’information allait dans le même sens.

De nouvelles armes contre les « infox » en période électorale

Pour redonner confiance dans l’information et protéger les scrutins, le texte voté prévoit déjà la possibilité de saisir le juge des référés pour obtenir une décision dans les 48 heures.

Celui-ci pourra alors contraindre un hébergeur comme Facebook à supprimer « des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir ». Cette procédure ne sera ouverte que dans les trois mois précédents une élection (présidentielle, législative, européenne…). Elle supposera que les fausses informations soient « diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive » sur Internet.

De même les intermédiaires seront astreints dans cette période à diffuser de nombreuses informations sur les sources financières des campagnes d’information se rattachant à un débat d’intérêt général.

D’autres dispositions en vigueur toute l’année

Mais contrairement à ce qu’a affirmé Mounir Mahjoubi, d'autres dispositions s’appliqueront même en dehors des phases électorales. Par exemple, le CSA pourra résilier la convention d’une chaîne « si le service [concerné] porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, dont le fonctionnement régulier de ses institutions, notamment par la diffusion de fausses informations ».

Les opérateurs devront pour leur part installer des « mesures en vue de lutter contre la diffusion de fausses informations », si elles sont susceptibles de « troubler l’ordre public ». Ils auront aussi à mettre en place un dispositif de signalement afin que les utilisateurs puissent dénoncer pareilles manipulations.

Autre chose, ceux installés à l’étranger devront désigner un représentant légal « exerçant les fonctions d’interlocuteur référent sur le territoire français ». L’enjeu ? Devenir une courroie de transmission pour l’application de cette loi, mais aussi celle sur la confiance dans l'économie numérique (LCEN).

Ce n’est pas tout puisqu’ils auront à mettre en œuvre des outils complémentaires. La loi suggère la transparence des contenus, la promotion des informations issues « d’entreprises et d’agences de presse et de services de communication audiovisuelle ». Le CSA, qui gagne par la même occasion de nouvelles compétences sur Internet, pourra leur adresser des « recommandations visant à améliorer la lutte contre la diffusion de telles informations ».

Plus important encore, ces intermédiaires devront révéler pour chaque contenu « la part d’accès direct, sans recours aux algorithmes de recommandation, classement ou référencement », « les parts d’accès indirects imputables, d’une part, à l’algorithme du moteur de recherche interne de la plateforme le cas échéant et, d’autre part, aux autres algorithmes de recommandation, classement ou référencement de la plateforme qui sont intervenus dans l’accès aux contenus ».

Plus de 60 sénateurs UC et LR ont néanmoins déposé un recours devant le Conseil constitutionnel. Ce dépôt n’est guère étonnant, le Sénat ayant voté par deux fois contre cette proposition de loi. Plusieurs critiques sont adressées.

Une atteinte à la liberté d’expression et de communication

Ils considèrent déjà qu’il y a atteinte à la liberté d’expression et de communication ni nécessaire, ni adaptée et pas davantage proportionnée.  

Pas nécessaire en ce sens que l’article L.97 du Code électoral sanctionne déjà d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « le fait de surprendre ou détourner des suffrages ou encore d’avoir conduit des électeurs à s’abstenir, à l’aide "de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses" ».

La loi de 1881 ou l’article 809 du Code de procédure civile permettent en outre au président du tribunal de grande instance de prescrire en référé les mesures conservatoires qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite. Des mesures similaires existent aussi à l’encontre des hébergeurs et des FAI avec loi de 2004 sur la confiance dans l’économie numérique.

Le texte n’est pas davantage adapté : il permettrait à toute personne ayant un intérêt à agir « d’instrumentaliser ce référé à des fins dilatoires ». De plus, « comment le juge des référés pourrait-il, en 48 heures, établir a priori l’altération d’un scrutin qui n’a pas encore eu lieu ? » s’interrogent les sénateurs. Cette loi manquerait également de précision, faute d’avoir défini clairement les « mesures proportionnées » que pourrait prendre un tel juge.

Pour les auteurs de la saisine, il serait donc « attentatoire au principe de libre communication des idées de restreindre la diffusion d’allégations qui ne troublent pas ou ne sont pas susceptibles de troubler la paix publique, qui ne sont pas attentatoires ni à l’honneur, ni à la considération ni à la vie privée des personnes, qui ne causent aucun dommage, et dont l’effet sur un scrutin n’est qu’incertain ».

Disproportionné enfin en ce qu’il permettrait d‘empêcher la diffusion d’allégations « qui ne seraient que trompeuses, mais pas inexactes, alors qu’elles peuvent pourtant participer du débat démocratique ».  De même, de simples parodies ou contenus satiriques pourraient tomber dans son spectre. Il suffirait qu’ils soient repris de manière virale et de nature à altérer un scrutin à venir, puisque le critère de diffusion de mauvaise foi n’a pas été retenu.  

Atteinte à la légalité des délits et des peines

La loi viendrait également heurter un autre principe, celui de la légalité des délits et des peines. Ce constat est tiré d’une infraction introduite par le groupe LREM : sera puni d’un an d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende le fait pour une plateforme de ne pas fournir une information loyale ou de ne pas révéler l’origine des sommes versées dans la promotion « des contenus d’information se rattachant à un débat d’intérêt général ».

Ces expressions souffriraient d’une « grande incertitude sur les éléments constitutifs » de l’infraction. Et puisque ces termes sont si généraux, « l’imprécision de la notion est même susceptible de rentre applicables les dispositions à toutes les publicités concernant des acteurs économiques publics ou des entreprises fondant leur publicité commerciale sur un “contenu d’information”, ce qui porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre ».

Une fois saisi, le Conseil constitutionnel dispose d'un mois pour rendre sa décision. Cette saisine est la première connue. Aux Rencontres cinématographiques de Dijon, le sénateur PS David Assouline nous avait indiqué que son groupe suivrait cette même voie. 

Comme l’a souligné l’ASIC, l’association des services internet communautaires, d’autres soucis peuvent encore barrer la route d’une application pleine et entière de la loi. Le texte, introduisant des normes dans la société de l’information, devrait en principe l’objet d’une nouvelle notification à la Commission européenne. À défaut, il serait attaquable et même inapplicable, comme l’a déjà jugé la cour d’appel de Paris en 2012.

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