À Dijon, genèse et avenir de l’article 13 de la directive Droit d'auteur

À Dijon, genèse et avenir de l’article 13 de la directive Droit d’auteur

Cœur de Rogard

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Marc Rees

Publié dans

Droit

09/11/2018 7 minutes
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À Dijon, genèse et avenir de l’article 13 de la directive Droit d'auteur

Lors des rencontres cinématographiques de Dijon (RCD), plusieurs intervenants sont revenus sur l’article 13 du projet de directive sur le droit d’auteur, de ses origines à son avenir. Un texte qui « prévoit une responsabilité des plateformes lorsqu’elles diffusent des œuvres », a résumé Pascal Rogard, directeur général de la SACD.

Le projet de directive, dans ses trois versions (Commission, Conseil et Parlement européen) est actuellement dans une phase cruciale. Celle du trilogue. Une étape en principe secrète, sans publicité, où les institutions tentent de trouver un compromis acceptable.

Dans sa dernière version, ce texte organise une responsabilité directe des hébergeurs dès lors que ceux-ci stockent et mettent à disposition des œuvres, si du moins ils les hiérarchisent, optimisent ou leur assignent des balises (« tags »).

Le dispositif est donc aux antipodes du droit actuellement en vigueur, issu de la directive e-commerce, qui veut qu’un tel intermédiaire ne soit responsable que s’il conserve un contenu manifestement illicite ayant fait l’objet d’une notification. Il sait qu’il y a un gros souci, mais en conscience choisit de conserver la vidéo, la photo, la musique, le texte. Il en assume donc la responsabilité.

Hier, lors des rencontres de Dijon, la députée Émilie Cariou est revenue sur la genèse de cette directive. Une épopée longue de trois années « d’aventure ».

Trois années d'aventure et d'influences françaises

« Nous sommes partis de très loin, s’est souvenue celle qui s’occupait alors de ce dossier au ministère de la Culture, auprès de Fleur Pellerin puis d’Audrey Azoulay. À la base, la volonté de la Commission européenne fut de mettre fin à la territorialité du droit d’auteur. »

La France est cependant intervenue pour disséquer ce plan, expliquant que les droits se négocient territorialement et qu’un tel chantier était quelque peu difficile. Dans le même temps, Paris a préféré pousser d’autres sujets sur la table, avec en tête de liste, la défense du droit d’auteur, de la création, de la rémunération…

« Je suis beaucoup allée à Bruxelles la dernière année. J’ai fait le tour des États membres pour comprendre leurs motivations », puis « on a tenté de négocier en trouvant le consensus le plus large possible ».

L’une des cibles fut donc le statut d’hébergeur, dont profitent les plateformes comme YouTube ou Facebook . Des acteurs qui n’existaient pas lors de sa consécration en 2000. « Ce statut a été créé à une période où les hébergeurs faisaient du B2B. Aujourd’hui, ils font du B2C, ils éditorialisent et filtrent ce qui est proposé », annonce sans nuance la députée LREM.

Émilie Cariou admet qu’ « on a fait travailler le professeur Sirinelli sur le sujet », celui de l’inadaptation du droit des intermédiaires à ces nouveaux entrants. L’enseignant est l’un des piliers du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique où, sur demande, il a démultiplié les travaux pour trouver une solution, celle donnant naissance à un troisième statut entre éditeur et hébergeur.

Comment ? « Il était difficile de travailler sur le sujet, car personne n’a voulu rouvrir la directive e-commerce. On est donc passé par la directive sur le droit d’auteur ou celle sur les services de médias audiovisuels, à l’égard de la diffusion des contenus violents, notamment ».

Comme expliqué ci-dessous, alors que la directive e-commerce organise une responsabilité conditionnelle des hébergeurs, l’article 13 injecte en Europe une responsabilité directe, immédiate, dès lors que certaines conditions sont remplies : l’intermédiaire héberge des œuvres illicites, ces œuvres sont rendues disponibles au public, et elles font l’objet d’un traitement (classement, tags, hiérarchisation…).

En somme, la France est parvenue à faire passer l’idée que ces simples traitements équivalent à la connaissance de l’illicéité des contenus. S’ils portent sur une vidéo enfreignant le droit d’auteur, la plateforme devient condamnable au même titre que l’internaute, ce dès le premier octet illicite.

On s’en souvient, après un rejet en juillet dernier, le Parlement européen a finalement adopté « sa » version de la directive le 12 septembre 2018 (voir notre analyse), donnant mandat à une délégation pour négocier avec le Conseil et la Commission.

L'industrie du cinéma appelle à un front commun avec les éditeurs de presse

Jusqu’à la veille, « personne ne s’attendait à ce que le vote soit renversé » se remémore l’eurodéputée Pervenche Berès, qui n’a pas manqué de dénoncer l’intense lobbying des géants du Net. « Ca a dépassé tout ce qu’on a pu voir (…) Les moteurs de spams ont marché de manière incroyable ! », en référence à la pluie de mails reçus par les parlementaires.

Elle a néanmoins présenté ce vote comme une étape, appelant de ses vœux la mobilisation du secteur. Face aux méchants lobbyistes américains, elle a distillé aux professionnels du cinéma un chaleureux conseil : « si vous ne vous battez que pour l’article 13, vous n’aurez plus le soutien de ceux qui se battent sur l’article 11 », celui qui reconnaît un droit voisin pour les éditeurs de presse. « Je vous demande de faire front commun [avec la presse], sinon le trilogue risque de détricoter les choses ».

En somme l’industrie culturelle est invitée sans nuance à s’associer encore et toujours aux éditeurs de presse pour soutenir le vote du projet de directive, les premiers pour la responsabilité des intermédiaires techniques ou encore la rémunération proportionnelle des auteurs (article 14), les seconds au chevet du droit à rémunération sur les plateformes diffusant des articles  (comme sur Google News ou Facebook).

Ce mariage fut d’une efficacité redoutable à l’approche du vote du 12 septembre, profitant du tremplin médiatique et du cruel manque de contre-argumentaire.

Un agenda serré 

Si cette mobilisation est appelée de ses vœux, c’est que le temps presse. « Si le trilogue n’aboutit pas avant mars 2019, tout tombe » a soutenu Pascal Rogard, numéro un de la SACD. Des propos quelque peu nuancés par Manuel Mateo Goyet, conseiller de la Commissaire européenne à l’économie et à la société numériques, lui aussi présent à Dijon.

Avec l’approche des élections européennes l’année prochaine, la dernière réunion plénière au Parlement aura lieu le 18 avril. Pour espérer un vote final dans cette enceinte, il faudra donc trouver un accord trois ou quatre mois avant.

Pourquoi un tel délai ? Tout simplement parce que les négociations se font en anglais. Or, les textes doivent être traduits ensuite juridiquement dans toutes les langues des États membres. Un travail très technique qui prend du temps, puisque chaque mot et chaque expression auront des conséquences considérables sur l’économie de la création ou du numérique. « Cela nous ramène donc à la fin de l’année, ou peut-être à janvier pour être tranquille » a exposé le représentant de la commission.

Que se passera-t-il si le texte n’était pas adopté dans les temps ? « Tout ne sera pas fini. Le nouveau Parlement européen pourrait décider de continuer la poursuite des négociations. » Mais avec le renouvellement de la Commission européenne en novembre 2019, autant dire qu’une année sera perdue.

Écrit par Marc Rees

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Trois années d'aventure et d'influences françaises

L'industrie du cinéma appelle à un front commun avec les éditeurs de presse

Un agenda serré 

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Commentaires (9)


La mayonnaise va tourner avec leur connerie.<img data-src=" /><img data-src=" />


Le raisonnement fait par les nayantsdroits est très simple: tenter de prétendre que l’hébergeur n’est pas un intermédiaire technique, mais un responsable de publication, ceci en allant chercher le (faux) prétexte de la hiérarchisation automatique des données hébergées.



La manœuvre est grossière mais pourtant on se dirige bien vers ça, en assurant que non cela ne va pas tuer les hébergeurs, alors que bien évidemment seules des entités comme Youtube auront la possibilité de négocier des accords avec les nayantsdroits, tous les autres se trouvant de facto dans l’illégalité.



Et il faut bien comprendre que ce raisonnement, va aussi s’appliquer aux bénéfices de certains grands groupent de presse du fait du tout nouveau droit voisin. Là encore qui sera en mesure de s’aligner sur les propositions de FB ou Google pour diffuser des extraits, résumés etc… d’articles de presse ? Personne naturellement.



In fine, c’est la mort programmée de tout acteur d’hébergement n’ayant pas les moyens financiers et techniques des géants du net.



Le tableau est édifiant: nayantdroits, grands groupes de presse et GAFAs main dans la main pour diffuser la culture et l’information.&nbsp;


Je me demande si dans les faits ces paquets de lois seront aussi impitoyables avec les éditeurs de canard qu’il se veut clairement viser les plateformes du type Youtube. Ce ne serait pas la première fois qu’un journal se permet de reprendre une photo qui ne lui appartient pas et de mentionner ‘DR’.



&nbsp;A vouloir taxer les gros ça fini par ne plus être vivable pour les plus petits tant ça leur complique la vie.



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crocodudule a écrit :



seules des entités comme Youtube auront la possibilité de négocier des accords avec les nayantsdroits, tous les autres se trouvant de facto dans l’illégalité.&nbsp;





&nbsp; Et ils ont d’autres moyens. En Espagne Google a carrément fermé ses “news”. Du coups les sites de journaleux ne font plus un radis.

&nbsp;









TexMex a écrit :



&nbsp; Et ils ont d’autres moyens. En Espagne Google a carrément fermé ses “news”. Du coups les sites de journaleux ne font plus un radis.

&nbsp;





Ca serait une possibilité qui pourrait bloquer la machine, néanmoins je crains que le souhait pour les GAFAs de proposer du contenu l’emporte.



Au contraire, Youtube prépare le terrain pour l’arrivée de cette loi en passant le robot de contrôle en “mode Nazi” (je cite les différentes vidéos vues sur le sujet). Maintenant la moindre seconde d’utilisation d’une musique soumise au droit d’auteur entraîne le transfert de l’intégralité des revenus vers l’ayant droit.



Si la loi passe sans allègement, ce principe s’étendra à l’apparition même partielle d’une marque ne serait-ce que sur une frame de la vidéo.



Tout cela risque de tuer une bonne partie de l’internet que nous connaissons aujourd’hui&nbsp;&nbsp;&nbsp;<img data-src=" />








KBO Zoreil a écrit :



Au contraire, Youtube prépare le terrain pour l’arrivée de cette loi en passant le robot de contrôle en “mode Nazi” (je cite les différentes vidéos vues sur le sujet). Maintenant la moindre seconde d’utilisation d’une musique soumise au droit d’auteur entraîne le transfert de l’intégralité des revenus vers l’ayant droit.




Si la loi passe sans allègement, ce principe s'étendra à l'apparition même partielle d'une marque ne serait-ce que sur une frame de la vidéo.      






Tout cela risque de tuer une bonne partie de l'internet que nous connaissons aujourd'hui&nbsp;&nbsp;&nbsp;<img data-src=">








Ah j'avais pas eu d'écho sur la façon dont google voulait réellement traiter la question.     





De même, j’ai rien vu sur la question de la marque, je vais regarder plus en détail ce foutoir!



Merki&nbsp;<img data-src=" />



Et après ça chouinera sous prétexte qu’aucun géant du net ne vient de l’UE…


Et du coup, avec notre droit à la parodie, ça se passe comment avec leur bouse ?