Le Sénat vient de rejeter par 288 voix contre 31 la proposition de loi contre les fausses informations (ou « fake news »). Après avoir déversé une pluie de critiques contre le texte soutenu par le gouvernement.
Atteinte à la liberté d’expression, atteinte à la liberté du commerce, texte mal ficelé, « bancal », source importante de contentieux… L’accueil de la proposition de loi (PPL) contre les « fake news » a été une nouvelle fois glacial au Sénat. Aucune surprise, puisque ce vote est la réplique d’un premier rejet en juillet dernier.
Aujourd’hui Christophe-André Frassa, rapporteur pour avis, a regretté l’absence d’évaluation des éventuelles lacunes de notre législation actuelle, jugeant pour sa part les textes en vigueur déjà suffisants. « L’arsenal existant a-t-il été mobilisé [lors des précédentes élections] ? Pas à ma connaissance. Pourquoi ? »
Même analyse de David Assouline (PS) qui a vu dans cette PPL, préparée Rue de Valois, une loi dangereuse et inefficace. Au fil des prises de paroles, il a estimé que des allégations, même simplement satiriques, pourraient être épinglées par un juge des référés, dès lors que ces propos portent sur « un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir ».
Juge de la vérité, juge de l'aléa
Tous les intervenants ont rappelé la difficulté de cette fameuse procédure qui permettra à ce juge de l’urgence d’exiger d’une plateforme « toutes mesures proportionnées et nécessaires pour faire cesser » la diffusion d’une fausse information de nature à altérer la sincérité d’un scrutin à venir.
Pour Mireille Jouve (RDSE), par exemple, « un juge de référé ne peut être en mesure d’apprécier en 48 heures si les informations sont fausses et si d’autre part elles ont été diffusées de manière automatisée ou artificielle ». Surtout, le magistrat aura à anticiper les effets de ces propos sur un scrutin futur. Un exercice périlleux.
Le sénateur LREM André Gattolin a, lui, déploré que les sénateurs n’aient pas joué le jeu parlementaire en déposant des amendements destinés à améliorer un texte jugé si perfectible. Mais pour Pierre Ouzoulias (PCF), « il y a toujours péril à intervenir par la loi sur des matières qui sont le fondement de notre démocratie ». Et le parlementaire de rappeler les critiques adressées par le Conseil d‘État, sur le flou de plusieurs notions du texte.
La France, leader ou isolée en Europe
« Nous n’avons pas la prétention de répondre à toutes les questions, mais on peut se saisir d’une partie des problématiques » a tenté de défendre Franck Riester, nouveau ministre de la Culture, qui, alors député, n’avait pas pris part au vote. « Les contenus satiriques ne seront pas concernés […] c’est le juge qui prendra la décision », a-t-il tenu à préciser.
Aux sénateurs qui ont considéré que ce dossier devrait être géré avant tout au niveau européen, le nouveau locataire de la Rue de Valois n’a pu s’empêcher de rappeler l’épisode de la loi Hadopi, une institution franco-française. Une manière de démontrer qu’avec cette future loi contre les fausses informations, la France n’avait pas à rougir d’être leader ou pionnière en Europe.
Une présentation démontée en quelques instants par Philippe Bas (LR) : « cette idée saugrenue de légiférer sur les fausses nouvelles n’est venue à aucun des autres pays européens. Nous ne serons pas leaders, nous serons isolés ».
Pour le président de la commission des lois, l’important serait avant tout de s’attaquer à ceux qui diffusent des fausses informations. Cette proposition de loi est « inaboutie », a-t-il insisté, insistant sur les nombreuses hésitations qui ont émaillé les débats à l’Assemblée nationale. « Juridiquement, cette législation ouvre la voie à des difficultés : rien n’est fait pour coordonner le juge civil et le juge électoral qui pourrait dire que telle information n’a aucune influence sur le scrutin et donc le valider ».
Pour l’élu, « le juge des référés n’a pas à devenir le juge des élections ni trancher le vrai du faux, alors que les débats se ramènent très souvent à l’expression d’opinions divergentes ».
Le dernier mot pour les députés
Plusieurs parlementaires, comme David Assouline, ont reproché enfin que les messageries de type WhatsApp, qui relèvent de la correspondance privée, soient hors du cadre du texte, alors qu’elles deviennent un vecteur important de diffusion d’informations voire de manipulations.
Des intervenants ont également préféré porter leur attention sur la responsabilité des intermédiaires techniques, saluant le projet de résolution portée par Catherine Morin-Desailly.
Si le rejet a été massivement approuvé par les sénateurs, le texte repart désormais à l’Assemblée nationale où les députés ont le dernier mot dans la procédure législative.