Alors que la loi Numérique fête ses deux ans, Next INpact revient sur ses (nombreux) articles toujours en attente d’un décret d’application.
Le 7 octobre 2016, après plusieurs mois de débats parlementaires, François Hollande promulguait la loi pour une République numérique. Comme bien souvent, de nombreux décrets étaient prévus – une cinquantaine au total – afin que le texte puisse pleinement s’appliquer.
Si la plupart de ces décrets ont aujourd’hui été publiés, près d’une dizaine manquent encore à l’appel. Certains d’entre eux sont même suspendus, en raison notamment des premiers détricotages de la loi Lemaire.
Dites-le-nous une fois, « mort numérique »...
Plusieurs de ces décrets peuvent paraître accessoires. C’est par exemple le cas de celui relatif à la création d’un groupement d’opérateurs, appelés à mutualiser les coûts liés aux nouveaux services de traduction téléphonique destinés notamment aux personnes sourdes et malentendantes.
D’autres sont en revanche bien plus attendus, tel celui censé énumérer les pièces justificatives entrant dans le périmètre du programme « Dites-le-nous une fois » pour les particuliers. L’enjeu ? Ne plus avoir à fournir des informations dès lors qu’une administration les détient déjà.
Le cabinet de Gérald Darmanin, le ministre de l’Action et des comptes publics, nous avait expliqué que ce décret avait été transmis au Conseil d’État « début mai », en vue d’une publication au Journal officiel dans les « semaines » suivantes.
« Ce sont des textes assez complexes, qui nécessitaient l'accord de près de dix ministères », se justifiait alors Bercy pour expliquer les retards à répétition sur ce dossier (voir notre article).
Autre réforme en suspens : la loi Lemaire prévoit que les internautes puissent définir des « directives » relatives au devenir de leurs données personnelles, après leur décès. En l’absence de telles consignes, les héritiers sont censés pouvoir « accéder aux traitements de données à caractère personnel » concernant le défunt (par exemple pour fermer son compte Facebook).
Un décret fixant certaines modalités de mise en œuvre de cette réforme est toujours attendu. En mai 2017, le gouvernement affirmait pourtant que la CNIL avait rendu un avis sur un projet de décret le 23 mars 2017. D’après un rapport sénatorial publié en mai dernier, le texte est curieusement toujours « en cours de finalisation ».
Difficultés techniques, luttes entre administrations...
La « base nationale des vitesses maximales autorisées » sur les routes françaises, prévue par l’article 22 de la loi Numérique, n’a toujours pas vu le jour. Le législateur espérait pourtant contraindre les gestionnaires du domaine public routier – sociétés d’autoroute, départements, etc. – à transmettre au ministère de l’Intérieur les vitesses à ne pas dépasser sur leurs réseaux respectifs.
L’idée ? Aider les fabricants de GPS et autres développeurs d’applications (de type Waze) à actualiser plus facilement leurs cartes, afin d’éviter que leurs utilisateurs ne soient induits en erreur par un système d’aide à la navigation « périmé ».
« Les travaux de conception et de fonctionnement (alimentation, gestion, mise à disposition des données) de la future base de données nationale des vitesses maximales autorisées sur le domaine public routier ont pris plus de temps que prévu », nous avait expliqué le ministère de l’Intérieur en avril dernier. La Place Beauvau précisait que de ce fait, aucun décret ne sortirait avant « l’automne 2018 ».
Sur le volet Open Data de la loi Numérique, il manque encore et toujours le décret censé fixer une « liste des catégories de documents » contenant des données personnelles, mais pouvant malgré tout être rendus publics sans anonymisation (par exemple pour certaines nominations officielles).
D’après le rapport sénatorial évoqué précédemment, un projet de décret avait déjà « reçu un avis favorable du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) le 12 janvier 2017 et de la Cada le 26 janvier 2017 ». La CNIL aurait également été sollicitée « à la même époque ». Pourtant, des « réunions de travail » avaient encore lieu « au cours du mois de janvier 2018 ».
Choix politique de suspendre certains décrets
Les décrets prévoyant la mise en Open Data des décisions de justice se font également désirer. Il y a quelques mois, la Cour de cassation a publiquement invité l’exécutif à les publier « sans plus attendre ».
Bien que le précédent gouvernement ait installé une mission de préfiguration de cette réforme, dont les conclusions ont été présentées à la ministre de la Justice fin 2017, la Chancellerie semble désormais vouloir attendre que son projet de loi de réforme de la Justice soit définitivement adopté par le Parlement. Ce qui n’interviendra pas avant début 2019, dans le meilleur des cas.
Même cas de figure pour un décret prévu en matière de location sur des sites de type Airbnb. Le projet de loi « Elan », qui sera entériné par le législateur d’ici quelques jours, vient réécrire certaines dispositions de la loi Numérique. Le gouvernement devrait donc en profiter pour sortir un décret directement adapté aux nouvelles mesures applicables.
Idem pour les décrets relatifs à l’accessibilité des sites publics aux personnes handicapées (notamment déficientes visuelles) – des textes appelés à fixer notamment le montant de l’amende encourue par les administrations ne respectant pas leurs obligations de mise en conformité.
La loi « Avenir professionnel » est venue modifier certaines des dispositions de la loi Numérique, ce qui devrait conduire le gouvernement à prendre les décrets « actualisés » prochainement.
« C'est comme ça qu'on rend crédible la loi »
Le secrétaire d’État au Numérique, Mounir Mahjoubi, nous avait enfin confirmé l’année dernière que le décret relatif à l’exception de « text & data mining » était « suspendu », en raison des débats menés au niveau européen dans le cadre de la directive sur le droit d’auteur (voir notre article).
Un choix contesté notamment par le rapport Villani sur l’intelligence artificelle : « Les chercheurs doivent pouvoir bénéficier de cette exception sans avoir à accuser un retard supplémentaire. D’autant qu’une fois entrés en vigueur, les textes européens en question devront faire l’objet d’une transposition en droit national, ce qui pourrait encore allonger ce délai », regrettait le député LREM.
Difficile au regard de ce panorama de ne pas exhumer cette déclaration de Manuel Valls, qui affirmait, en octobre 2016 : « J'ai donné, comme chef du gouvernement, la consigne [que ces décrets] soient tous publiés au plus tard d'ici au printemps [2017]. Parce que c'est comme ça qu'on rend crédible la loi », avait souligné l’ancien Premier ministre.