CJUE : huit annonces ne suffisent pas à faire d’un vendeur un « professionnel »

CJUE : huit annonces ne suffisent pas à faire d’un vendeur un « professionnel »

Les pro et les contre

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Xavier Berne

Publié dans

Droit

05/10/2018 6 minutes
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CJUE : huit annonces ne suffisent pas à faire d’un vendeur un « professionnel »

Aux yeux de la Cour de justice de l’Union européenne, le fait de vendre simultanément différents biens neufs et d’occasion sur Internet ne suffit pas à qualifier automatiquement le vendeur de « professionnel ». L'institution estime qu’il appartient en ce sens aux juridictions nationales d’en juger, au cas par cas.

Une personne qui vend de nombreux biens via Internet doit-elle être considérée comme un « professionnel », dès lors astreint à différentes obligations en lien avec le droit commercial (respect du droit de rétractation, etc.) ? La Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée hier sur cette question, qui intéressera probablement certains utilisateurs de sites tels que Leboncoin ou eBay.

Le litige, né en Bulgarie en 2014, opposait une utilisatrice du site OLX à une personne lui avait acheté par ce biais une montre de luxe. Estimant que le produit ne correspondait pas aux caractéristiques décrites dans l’annonce, l’acquéreur avait souhaité le retourner afin d’en obtenir le remboursement. Ce qu’avait refusé la vendeuse.

L’affaire s’est de ce fait poursuivie jusque devant la Commission bulgare de protection des consommateurs (CPC), qui a fini par transmettre une question préjudicielle à la CJUE, afin que cette dernière l’aide à interpréter le droit européen.

La notion de « professionnel » se révèle « particulièrement large », note la CJUE

La juridiction bulgare souhaitait savoir si le fait de publier « simultanément » huit annonces « offrant à la vente divers produits » permettait d’assimiler les activités du vendeur à des « pratiques commerciales », susceptibles d’entrer dans le champ de la directive 2005/29/CE sur les pratiques commerciales déloyales.

Réponse de la CJUE : la personne « qui publie sur un site Internet, simultanément, un certain nombre d’annonces offrant à la vente des biens neufs et d’occasion, telle que la [vendeuse mise en cause], ne saurait être qualifiée de « professionnel » ». Ouf ? Pas forcément.

Si les magistrats restent relativement vagues sur le nombre et le type d’annonces qui permettent de changer la qualification de certaines activités de revente, c’est parce qu’il appartient selon eux aux juridictions nationales de statuer sur ce point « au cas par cas ».

La Cour explique en ce sens que « le législateur de l’Union a consacré une conception particulièrement large de la notion de « professionnel », laquelle vise « toute personne physique ou morale » dès lors qu’elle exerce une activité rémunérée ». Le droit européen n’exclut d’ailleurs de son champ d’application « ni les entités poursuivant une mission d’intérêt général ni celles qui revêtent un statut de droit public ».

Renvoi aux juridictions nationales

Pour être considérée comme un « professionnel » au sens de la législation européenne, poursuivent les juges, « la personne physique ou morale en cause doit agir à des « fins qui entrent dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale » ou au nom ou pour le compte d’un professionnel ».

Dès lors, la justice bulgare devra examiner, « sur la base de tous les éléments de fait dont elle dispose », si la personne mise en cause dans cette affaire agissait dans le cadre d’une « activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale », ou « au nom ou pour le compte d’un professionnel ».

Pour guider les juges nationaux, la CJUE explique que ceux-ci pourront en particulier vérifier :

  • « Si la vente sur la plateforme en ligne a été réalisée de manière organisée, si cette vente a un but lucratif »
  • « Si le vendeur dispose d’informations et de compétences techniques relatives aux produits qu’il propose à la vente dont le consommateur ne dispose pas nécessairement »
  • « Si le vendeur a un statut juridique qui lui permet de réaliser des actes de commerce, et dans quelle mesure la vente en ligne est liée à l’activité commerciale ou professionnelle du vendeur »
  • « Si le vendeur est assujetti à la TVA »
  • « Si le vendeur, agissant au nom d’un professionnel déterminé ou pour son compte ou par l’intermédiaire d’une autre personne agissant en son nom et pour son compte, a perçu une rémunération ou un intéressement »
  • « Si le vendeur achète des biens nouveaux ou d’occasion en vue de les revendre, conférant ainsi à cette activité un caractère de régularité, une fréquence et/ou une simultanéité par rapport à son activité commerciale ou professionnelle »
  • « Si les produits en vente sont tous du même type ou de la même valeur, en particulier, si l’offre est concentrée sur un nombre restreint de produits »

L’arrêt souligne néanmoins que ces critères « ne sont ni exhaustifs ni exclusifs ». Résultat, « le fait de remplir un ou plusieurs de ces critères ne détermine pas, à lui seul, la qualification à retenir à l’égard du vendeur en ligne au regard de la notion de « professionnel » ».

Et en France ?

En France, l’article L121-1 du Code du commerce prévient que « sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle ». L’article L110-1 dresse une liste non exhaustive de ces actes, dont le fait d’acheter un bien pour le revendre.

Le ministère de l’Économie et des finances explique de son côté que les ventes « occasionnelles et réalisées dans le cadre de la gestion du patrimoine privé » (poussette d’occasion, etc.) ne relèvent pas d’une activité professionnelle, tandis que le fait d’acheter par exemple des bijoux pour les revendre présente en principe un caractère professionnel.

Il revient toutefois aux juges d’apprécier les critères fixés par le Code du commerce, dont celui de l’habitude. Aucun seuil n’est donné par la loi, mais vendre trois livres ou trois maisons chaque année ne sera normalement pas apprécié de la même façon.

Écrit par Xavier Berne

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Sommaire de l'article

Introduction

La notion de « professionnel » se révèle « particulièrement large », note la CJUE

Renvoi aux juridictions nationales

Et en France ?

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Commentaires (13)




Estimant que le produit ne correspondait pas aux caractéristiques décrites dans l’annonce, l’acquéreur avait souhaité le retourner afin d’en obtenir le remboursement. Ce qu’avait refusé la vendeuse.



Je m’étonne de l’aspect porté devant la CJUE : en quoi le caractère professionnel du vendeur est-il pertinent ? Je veux dire, si l’annonce ne correspond pas à l’objet, il est logique d’annuler la vente, quelles que soient les parties, non ? Autant je peux comprendre qu’un consommateur soit mieux protégé face à un professionnel, autant je ne comprends pas pourquoi ce n’est pas sur l’exactitude de la description de l’objet que le débat porte. Qu’est-ce qui m’échappe ?


Avant de décider la cour a demandé à la CJUE s’il fallait considérer le vendeur comme un pro ou comme un particulier.

Ca ma paraît assez sain : si je vends une voiture d’occasion, en tant que particulier, de profession informaticien, je n’ai aucune compétence pour détecter un problème sur la voiture. Donc si l’acheteur me dit “il y a une durite qui a pété 2 semaines après l’achat”, ben, trop tard. Si je suis un professionnel, là, je suis supposé le savoir, donc je dois prévenir le client pour qu’il achète en connaissance de cause (ou n’achète pas, ou je répare avant de lui vendre)

On ne sait pas plus que “le produit ne correspond pas aux caractéristiques” mais il y a plein de “ne correspond pas” que moi, particulier, je ne suis pas capable de détecter. (si ma soeur vend un disque “sur port USB”, le décrit tel quel, et qu’en fait, c’est un USB3 et que l’acheteur n’a pas d’USB3… il peut rien faire, ma soeur elle est pas informaticienne, elle ne sait pas faire la différence…


Probablement qu’en Bulgarie la loi ne permet pas de se retourner contre un vendeur particulier, quel que soit le motif. Et donc la requalification du vendeur en professionnel était le seul angle d’attaque qu’avait la victime.








tipaul a écrit :



Ca ma paraît assez sain : si je vends une voiture d’occasion, en tant que particulier, de profession informaticien, je n’ai aucune compétence pour détecter un problème sur la voiture. Donc si l’acheteur me dit “il y a une durite qui a pété 2 semaines après l’achat”, ben, trop tard. Si je suis un professionnel, là, je suis supposé le savoir, donc je dois prévenir le client pour qu’il achète en connaissance de cause (ou n’achète pas, ou je répare avant de lui vendre)







Et bien non ^^

En tant que particulier, si la voiture que tu as vendu tombe en panne dans les deux ans à cause d’un problème qui existait avant la vente (et que tu sois au courant de ce souci ou pas), cela s’appelle un vice caché et tu en est responsable. La procédure (qui se règle au final souvent à l’amiable) implique le remboursement total ou partiel du véhicule.



source : trust me j’ai créé une boite qui fourni des produits d’inspections pour pro et pour particulier pour les voitures d’occasion pour justement éviter d’acheter/vendre une voiture avec des vices cachés :)



Xavier tu peux ajouter qu’en France, outre les critères énoncés, la qualité de professionnel doit s’apprécier in concreto.



Aussi, un professionnel qui à titre personnel vend un bien qu’il vend habituellement dans son activité professionnelle, sera reconnu comme un professionnel  et non comme un particulier (profane).

(classiquement, le gérant d’un petit garage qui se dit qu’il va vendre à titre perso une bagnole qu’il sent pas pour éviter les obligations du Code de la conso. C’est naturellement également applicable si la vente se fait par internet via le boncoin par exemple).








Toorist a écrit :



Et bien non ^^ En tant que particulier, si la voiture que tu as vendu tombe en panne dans les deux ans à cause d’un problème qui existait avant la vente (et que tu sois au courant de ce souci ou pas), cela s’appelle un vice caché et tu en est responsable. La procédure (qui se règle au final souvent à l’amiable) implique le remboursement total ou partiel du véhicule.





Si demain un mécanicien met un pc portable en vente et qu’au bout d’un an le disque dur tombe en rade, c’est considéré aussi comme un vice caché ?



Par contre ce que j’ai du mal à saisir c’est la finalité, c’est une question d’argent en gros ? Si demain je vend 10 cartes postale à 1€ trouvé au fond d’un carton, je suis considéré comme un pro ? Ou alors c’est à partir de 100 cartes ? Et si je vend 9 carte à 500€ et le reste en un lot à 10€, je suis un pro ?



Si demain je fabrique une table pour mon salon et que je la met en vente 1000€ , puis que j’en fabrique une autre, ect, mais qui seront toujours d’occasion car utilisée, je suis un pro ? Et si j’en fait quelques une sans les utiliser ?



Encore une question de taxe non ?









Sans intérêt a écrit :



Je m’étonne de l’aspect porté devant la CJUE : en quoi le caractère professionnel du vendeur est-il pertinent ? Je veux dire, si l’annonce ne correspond pas à l’objet, il est logique d’annuler la vente, quelles que soient les parties, non ? Autant je peux comprendre qu’un consommateur soit mieux protégé face à un professionnel, autant je ne comprends pas pourquoi ce n’est pas sur l’exactitude de la description de l’objet que le débat porte. Qu’est-ce qui m’échappe ?





Pour deux raisons; la charge de la preuve d’un défaut de conformité, et le délai de rétractation de la vente à distance à destination d’un consommateur.





  1. Toute difficulté apparaissant dans les 24 mois pour un bien neuf et 6 mois pour un bien d’occasion vendu par un professionnel, est présumée de la responsabilité du vendeur (heureusement en pratique il faut que le consommateur rende au moins vraisemblable l’existence de la difficulté). A charge pour le vendeur de démontrer qu’il n’est pas en cause (faute de l’acheteur, défaut d’entretien etc…).



  2. la vente en ligne dans un rapport professionnel/ consommateur, offre un droit de rétraction sans avoir à justifier de rien pendant à minima 14 jours (30 en Allemagne).



    Je passe sur le fait qu’en matière de vice caché le professionnel est responsable du prix mais encore des dommages intérêts (là où un profane particulier, ne répondra que du prix sauf à démontrer qu’il avait connaissance du vice et l’a caché au moment de la vente).



    (En réalité, j’en passe car les obligations pesant sur le professionnel font des kilomètres).









skankhunt42 a écrit :



Si demain un mécanicien met un pc portable en vente et qu’au bout d’un an le disque dur tombe en rade, c’est considéré aussi comme un vice caché ?





Si tu es dans un rapport professionnel/consommateur, oui.



Ou plus exactement tu peux viser le défaut de conformité au sens du Code de la consommation (pas pareil que le défaut de délivrance conforme au sens du Code civil) et la notion de vice caché (le Code de la conso te permettant de viser les deux qui sont des notions différentes).









skankhunt42 a écrit :



Si demain un mécanicien met un pc portable en vente et qu’au bout d’un an le disque dur tombe en rade, c’est considéré aussi comme un vice caché ?





Oui et non.

Ce n’est pas le fait que le disque dur tombe en rade qui est un vice caché. C’est le fait qu’il était déjà en train de tomber en rade avant la vente qui est un vice caché.

Et d’ailleurs, il faut noter que c’est à l’acheteur de prouver que le défaut est antérieur à l’achat et pas au vendeur de prouver qu’il n’existait pas avant.









Toorist a écrit :



Et bien non ^^

En tant que particulier, si la voiture que tu as vendu tombe en panne dans les deux ans à cause d’un problème qui existait avant la vente (et que tu sois au courant de ce souci ou pas), cela s’appelle un vice caché et tu en est responsable. La procédure (qui se règle au final souvent à l’amiable) implique le remboursement total ou partiel du véhicule.



source : trust me j’ai créé une boite qui fourni des produits d’inspections pour pro et pour particulier pour les voitures d’occasion pour justement éviter d’acheter/vendre une voiture avec des vices cachés :)







Il faut prouver le vice caché (assez facile avec un rapport d’expertise) mais également le fait qu’il ai été antérieur à la vente et donc renverser la présemption de bonne foi du vendeur particulier. C’est chaud quand même.









Toorist a écrit :



Oui et non.

Ce n’est pas le fait que le disque dur tombe en rade qui est un vice caché. C’est le fait qu’il était déjà en train de tomber en rade avant la vente qui est un vice caché.

Et d’ailleurs, il faut noter que c’est à l’acheteur de prouver que le défaut est antérieur à l’achat et pas au vendeur de prouver qu’il n’existait pas avant.









Toorist a écrit :



Oui et non.

Ce n’est pas le fait que le disque dur tombe en rade qui est un vice caché. C’est le fait qu’il était déjà en train de tomber en rade avant la vente qui est un vice caché.

Et d’ailleurs, il faut noter que c’est à l’acheteur de prouver que le défaut est antérieur à l’achat et pas au vendeur de prouver qu’il n’existait pas avant.









Toorist a écrit :



Oui et non.

Ce n’est pas le fait que le disque dur tombe en rade qui est un vice caché. C’est le fait qu’il était déjà en train de tomber en rade avant la vente qui est un vice caché.

Et d’ailleurs, il faut noter que c’est à l’acheteur de prouver que le défaut est antérieur à l’achat et pas au vendeur de prouver qu’il n’existait pas avant.





D où l intérêt de viser le défaut de conformité tel que défini par le code de la conso , si le matos était neuf pendant 24mois, si d occas alos pendant 6mois, le vendeur pro est présumé responsable, renversant la charge de la preuve sur le vendeur



C’est pas une question d’argent c’est une question de savoir si c’est une source de revenu régulière.


La question du vice caché se pose par rapport à la présomption de la connaissance du vice et son incidence sur la charge de la preuve:



- si tu es un particulier et qu'il y a vice caché, l'acheteur doit prouver par tous moyens que le vendeur profane connaissait le vice caché      

- si tu es un professionnel: il y a une présomption irréfragable de mauvaise foi contre le vendeur professionnel et donc le consommateur n'a pas obligatoirement à prouver le vice caché. Le vendeur professionnel est toujours présumé connaître le vice caché.






Tout est question de sur qui pèse la charge de la preuve.      






La décision est intéressante pour un lambda en France qui vend pas mal sur ebay ou le bon coin et qui pourra se servir de la décision pour repousser la requalification en commerçant par l'administration. Très bonne décision pour les e-vendeurs.