La proposition de directive sur le droit d’auteur a été votée par le Parlement européen le 12 septembre dernier. En amont, des journalistes (notamment de l’AFP) se sont portés au chevet de ce texte pour sensibiliser leurs confrères, non sans l’intervention d’un des responsables de la Scam, une société de perception et de répartition des droits.
Depuis le 12 septembre, la future directive sur le droit d’auteur entre désormais dans une phase de négociations entre le Parlement, la Commission européenne et le Conseil.
Avant le vote, sur le front des lobbies, les troupes étaient facilement caricaturées. D’un côté, un ensemble hétérogène avec Google, Facebook, et autres géants du Net, outre des partisans de la liberté d’expression. De l’autre, les sociétés de gestion collective et des patrons de presse, les premiers intéressés par les accords de licence appelés par l’article 13, les seconds par la reconnaissance d’un droit voisin pour l’exploitation des titres en ligne. Une reconnaissance accompagnée d’un droit à rémunération (article 11).
Le sujet a été jugé suffisamment sensible pour mobiliser également les journalistes, ceux-là mêmes qui ne sont pourtant pas au premier rang des bénéficiaires de cet article. Le 11 septembre, en bas du ministère de la Culture, Jean-Noël Tronc avait ainsi demandé sans pudeur à ceux venus couvrir l’évènement de rallier la cause des sociétés de gestion collective (« tous ensemble, merci ! »). L'idée était d'éviter la réplique de juillet, lorsque les eurodéputés ont rejeté une première fois le texte, en s'armant de l'ensemble des canaux disponibles.
Plus tôt cet été, Christine Buhagiar, directrice de l’AFP pour l’Europe, avait ainsi demandé à Sammy Ketz de rédiger une tribune pour, qu’en son nom, ce reporter de guerre plaide en faveur de l’article 11. Sa prose, reprise par Le Monde, l’AFP, Le Parisien ou Les Échos, fut publiée le 26 août, avec un certain effet.
Dans les coulisses de ces tractations, on peut même parler aujourd’hui d’une véritable campagne d’influence venue aussi des journalistes de ces grandes rédactions, nourrie notamment par une société de gestion collective. En témoigne un échange de mails auquel nous avons eu accès.
Quand l'AFP et d'autres médias français ont voulu « convaincre » les eurodéputés
Tout est parti d'un courrier adressé par une journaliste de l’AFP le 10 août 2018 à l’ensemble des sociétés des rédacteurs et des sociétés des journalistes français (SDR/SDJ). Sous sa plume, des arguments entendus mille fois :
« Il y a actuellement un lobbying de la part des GAFA, qui exercent de grosses pressions sur les parlementaires et ont réussi à convaincre certains groupes –comme les Verts et les libéraux- que c’était la gratuité du net qui était menacée, ce qui n'est évidemment pas le cas », explique le courrier avant d’annoncer tout de go la couleur : « Tout début septembre, l'AFP, avec d'autres médias français (dont SPQN) et européens, prévoient de publier un dossier pour convaincre les parlementaires du bien-fondé des "droits voisins" ».
Si selon sa charte, l’AFP a pour « mission est de fournir à tout instant une information exacte, impartiale et digne de confiance sur l'actualité du monde entier », ici la ligne était toute tracée : avant le vote, l’agence et des grands médias dont ceux du Syndicat de la Presse Quotidienne Nationale (SPQN) préparaient un lobbying intense en faveur du droit à rémunération des éditeurs de presse.
Jolie coïncidence : début septembre, les grands titres concernés ont publié de nombreux articles , tribunes, éditos pour prendre fait et cause en faveur du droit voisin, avec de rares exceptions notables. L’un des points d’orgue fut sans doute l’intervention le 11 septembre de Fabrice Fries, patron de l’AFP, avec une punchline bien sentie : « Comme l’industrie du luxe, nous devons lutter contre la contrefaçon, en l’espèce incarnée par les GAFA. »
La Scam et la plume
Retour aux coulisses de l’échange de mails avec les SDJ/SDR. Dans le fil, une autre intervention surprenante est à relever : celle de Stéphane Joseph. Le 27 août, le secrétaire général de l’association du prix Albert Londres a tenu à démonter les critiques adressées à la directive, en parlant également au nom… de la Scam, où il occupe le poste de directeur de la communication.
Un drôle de parasitage puisque cette société de perception et de répartition des droits n’est évidemment ni une SDJ ni une SDR.
Ce 27 août, alors que les amendements en plénière n’étaient pas intégralement connus, il a donc déroulé aux yeux des représentants des journalistes, les arguments de la société de gestion collective qui l’emploie : « La liberté d’expression, estime-t-il, ne peut servir de chiffon rouge aux acteurs dominants de l’internet qui cherchent à échapper à un devoir de bon sens : le partage de la valeur avec les créateurs. Le projet de directive tel qu’adopté par la commission des affaires juridiques du Parlement européen propose des mesures à la fois ambitieuses et proportionnées au but recherché qui recueillent plus que jamais notre soutien ».
« Il n’y a pas d’atteinte à la liberté d’expression dans l’article 13, poursuit-il. La question de la liberté d’expression serait un enjeu si ce mécanisme débouchait sur un filtrage général des contenus. Ce qui n’est pas le cas ».
Il n'a pas précisé au passage que le régime devrait entrainer une responsabilité directe des gros acteurs (bien au-delà des seuls « GAFA ») et que le filtrage qu’implique cette responsabilité pourra bien pilonner les uploads. Certes il ne sera pas, par définition, « généralisé », selon les critères déployés par la Cour de justice de l’Union européenne, mais tout de même…
Sur l’article 11, ce porte-voix assure que la liberté de lier ne sera pas remise en cause, ni même les exceptions. Rappelons cette fois que dans le texte finalement voté, la protection au titre du droit voisin ne s’appliquera « pas aux simples hyperliens accompagnés de mots isolés », sans que l’on sache exactement ce que sont des mots isolés, alors que les extraits (« snippets ») de Google News seront bien l’une des cibles du dispositif.
Un cordon ombilical avec les plateformes
De même, le représentant de la Scam a oublié d’évoquer les arguments portés par le Spiil, dont est membre Next INpact, à savoir que cette mécanique du droit voisin va surtout accélérer l’interdépendance des médias avec les grandes plateformes, avec pour cordon ombilical ce droit à rémunération. Cette rente « ne ferait que renforcer l’uniformisation des contenus et la course à l’audience qui fait déjà tant de mal à l’information, et mène à un affaiblissement de la qualité ainsi qu’à un manque de diversité croissant ».
Selon le texte finalement voté, les journalistes bénéficieront seulement « d’une partie appropriée des nouvelles recettes supplémentaires que les prestataires de services de la société de l’information versent aux éditeurs de presse », sans que cette « partie appropriée » n’ait été définie par le législateur. Et pour cause, les journalistes disposent seulement d’un droit d’auteur, sûrement pas d’un droit voisin.