Face à l’essor des dispositifs basés sur les images de vidéosurveillance (caméras-piétons, systèmes de reconnaissance faciale, etc.), la Cnil vient d’inviter le Parlement et le gouvernement – fait rare – à engager un « débat démocratique sur les nouveaux usages des caméras vidéo ».
Au travers d’un communiqué publié mercredi 19 septembre, la Cnil explique avoir « constaté ces derniers mois le développement rapide de nouveaux outils de captation et de nouvelles modalités d’exploitation de la vidéoprotection dans l’espace public : caméras-piétons, utilisation des terminaux mobiles de particuliers, systèmes de vidéo « intelligente », dispositifs de suivi et de reconnaissance d’individus à l’aide de données biométriques, reconnaissance faciale, etc. »
La Cnil plaide pour de nouveaux « garde-fous »
Si l’utilisation des caméras à des fins de « prévention ou de répression des troubles à l’ordre public » reste légitime aux yeux de la gardienne des données personnelles, cette dernière prévient qu’il est « aujourd’hui impératif que des garde-fous soient prévus ». L’objectif ? « Encadrer les finalités pour lesquelles ces dispositifs peuvent être déployés et prévenir tout mésusage des données traitées par leur biais », écrit la Cnil.
L’institution fait ainsi valoir que certains systèmes vidéo posent différentes « problématiques » vis-à-vis des « droits et libertés individuelles des citoyens », notamment lorsqu’il y a articulation « avec des technologies de big data ». On pense ici en particulier au projet marseillais du « Big Data de la Tranquillité », épinglé il y a peu par plusieurs organisations dont La Quadrature du Net.
L’autorité laisse clairement transparaître ses inquiétudes face à « l’exploitation accrue et potentiellement à grande échelle de données personnelles, pour certaines sensibles (données biométriques) », ou, plus largement, au regard de « la restriction de la liberté d’aller et de venir anonymement ».
Une révision du cadre juridique « s’impose »
À l’attention des responsables politiques, la Cnil lance que « le cadre juridique actuel, précis sur certaines technologies (caméras fixes, certains usages de caméras-piétons) et certaines finalités (visionnage « simple » d’images), n’apporte en revanche pas nécessairement de réponse appropriée à l’ensemble des techniques et usages nouveaux ».
Il suffit d’ailleurs de se replonger dans les archives parlementaires de ces dernières années pour s’apercevoir que le dossier de la vidéosurveillance est régulièrement mis sur la table. On pourra par exemple citer :
- En 2016, lors de l’examen du projet de loi sur la Justice du 21ème siècle, le gouvernement a fait adopter un amendement qui permet dorénavant à l’exécutif d’étendre par décret la liste des infractions routières « vidéo-verbalisables ». Cette dernière a encore été modifiée hier (voir notre article), notamment pour englober désormais les refus de priorité aux piétons, le port d’oreillette, etc.
- En 2016, notamment suite à l’attentat de Nice, plusieurs députés et sénateurs ont (vainement) tenté de faire adopter des propositions de loi autorisant les forces de l’ordre à recourir à des logiciels de reconnaissance faciale, analysant en temps réel des images de vidéosurveillance.
- En 2016, la loi de réforme pénale est venue encadrer l’usage des « caméras-piétons » par les policiers et gendarmes. La Cnil a cependant déploré le flou de certaines dispositions adoptées par le législateur.
- En août dernier, a été promulguée la loi qui permet aux policiers municipaux de recourir également à des caméras-piétons. Des expérimentations sont au passage prévues pour les sapeurs-pompiers et les surveillants de prison.
- Ces derniers mois, l’Assemblée a rejeté plusieurs amendements visant à rendre obligatoire l’installation de caméras de surveillance dans les abattoirs.
- La question de l’utilisation des images réalisées par les drones (y compris ceux des forces de l’ordre) a également été évoquée au Parlement à plusieurs reprises, notamment en 2016.
Pour la Cnil, un « réexamen d’ensemble » du droit français (et notamment du Code de la sécurité intérieure) « s’impose » – de surcroît « à la lumière des nouvelles règles européennes » : l’entrée en application du RGPD le 25 mai dernier, ainsi que la transposition à venir de la directive dite « police justice » du 27 avril 2016.
L’autorité appelle ainsi « d’urgence » à ce que « le législateur puis le pouvoir réglementaire se saisissent de ces questions afin que soient définis les encadrements appropriés, en recherchant le juste équilibre entre les impératifs de sécurisation, notamment des espaces publics, et la préservation des droits et libertés de chacun ».
Ce débat, s’il a lieu, pourrait raviver les critiques portant sur l’efficacité de la vidéosurveillance, rapportée notamment à son coût. « Les caméras n’aident à élucider que 1 % à 3 % des infractions commises sur la voie publique », rappelait par exemple Le Monde il y a quelques mois, à partir des travaux du sociologue Laurent Mucchielli, directeur de recherches au CNRS.