Expérimentation d’un « journal de bord numérique » pour les chômeurs, octroi d’un « droit de communication » pour l’Inspection du travail (notamment sur les données de connexion), réforme des obligations d’accessibilité des sites publics... Next INpact revient sur plusieurs mesures de la dernière « loi Pénicaud », publiée hier au Journal officiel.
Définitivement adopté par le Parlement le 1er août dernier, le projet de loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » a été promulgué par Emmanuel Macron, mercredi 5 septembre.
Le texte, principalement orienté vers l’apprentissage et la formation, avait préalablement fait les frais de son passage devant le Conseil constitutionnel. Une dizaine d’articles ont en effet été retoqués par les « Sages », notamment parce qu’il s’agissait de « cavaliers législatifs » (dispositions jugées sans lien avec le projet de loi) introduits par les parlementaires.
Plusieurs de ses articles touchent néanmoins de près à la sphère numérique.
Un « tableau de bord numérique » pour les chômeurs
En dépit de vives oppositions, le législateur a souhaité que les chômeurs de plusieurs régions soient tenus, à titre expérimental, de fournir chaque mois des renseignements sur « l’état d’avancement de leur recherche d’emploi ». L’objectif ? Améliorer « le suivi et l’accompagnement » des demandeurs d’emploi, dans une optique parfois de remotiver certaines personnes.
La mise à jour de ce « journal de bord numérique » sera obligatoire (lors de l’actualisation mensuelle). Faute de quoi, le chômeur « cessera d’être inscrit sur la liste des demandeurs d’emploi », explique le gouvernement dans son étude d’impact.
Pour l’heure, cette initiative s’avère néanmoins extrêmement vague. Le chômeur devra-t-il uniquement indiquer qu’il a envoyé des candidatures spontanées ou répondu à des offres d’emploi ? Devra-t-il fournir de nombreuses précisions (dates, noms des entreprises...), voire télécharger tous les justificatifs afférents ? Il faudra attendre le décret d’application de ce dispositif pour en savoir plus.
Le texte précise simplement que cette expérimentation sera « mise en œuvre pour une durée de dix‑huit mois à compter du 1er juin 2019 ». On ne sait pas non plus combien de « régions » seront exactement désignées (par arrêté du ministre chargé de l’emploi).
Un « droit de communication » pour l’Inspection du travail
Afin de lutter contre la fraude, l’Inspection du travail se voit octroyer un précieux « droit de communication », valable notamment auprès des opérateurs téléphoniques et fournisseurs d’accès à Internet.
Dans son étude d’impact, le gouvernement rappelle que cet outil juridique permet à « un service de contrôle de demander communication et éventuellement d’obtenir copie d’un document ou d’un élément d’information utile à son enquête, auprès de la personne contrôlée mais aussi auprès de tiers (par exemple, un fournisseur de matériaux de construction, un opérateur de téléphonie ou d’internet, un loueur de véhicule, etc.) ».
Dorénavant, les agents de contrôle de l’Inspection du travail sont ainsi en mesure d’exiger « tout document, renseignement ou élément d’information » qui serait « utile » à « la recherche et la constatation des infractions constitutives de travail illégal » (ce qui inclut notamment le prêt illicite de main-d’œuvre, le travail dissimulé, l’emploi d’étrangers sans titre de travail, le cumul irrégulier d’emplois, etc.). Le secret professionnel ne peut alors leur être opposé.
La loi précise néanmoins que s’agissant des données conservées et traitées par les opérateurs et FAI, ce droit de communication ne s’applique « qu’aux seules données permettant l’identification des personnes proposant un travail, une prestation ou une activité pouvant relever des infractions constitutives de travail illégal ».
Les informations sollicitées devront quoi qu’il en soit être fournies sous trente jours aux autorités, gratuitement, sans passage devant un juge ou la moindre autorité indépendante.
Accès aux logiciels et aux données, avec « restitution en clair »
Dans le même temps, le législateur a renforcé les pouvoirs d’enquête de l’Inspection du travail dans le cadre de ses contrôles sur place. « Au cours de leurs visites », les contrôleurs pourront désormais réclamer tout « élément d’information » propre à « faciliter l’accomplissement de leur mission » de recherche et de constatation des infractions constitutives de travail illégal.
Cela inclut les documents comptables et professionnels, mais aussi l’ensemble des « données informatisées » dont ils auraient besoin. Les inspecteurs du travail peuvent ainsi « prendre copie immédiate » de ces fichiers, « par tout moyen et sur tout support ». La loi prévoit même qu’une « restitution en clair » de ces informations puisse être exigée, outre une « transcription par tout traitement approprié en des documents directement utilisables pour les besoins du contrôle ».
Travail au noir : des condamnations systématiquement mises en ligne
Toujours afin de lutter contre la fraude, le législateur a souhaité que les condamnations pour travail dissimulé (en bande organisée) soient systématiquement rendues publiques sur Internet, via le site du ministère du Travail. Un tel dispositif existe déjà depuis 2014, mais il ne s’agit que d’une peine complémentaire, non automatique.
Pendant une durée maximale d’un an, ont ainsi vocation à se retrouver en ligne : le nom de l’entreprise condamnée, son numéro de SIREN ou de SIRET, son adresse, l’identité de son représentant légal, la date et le « dispositif » de la décision (c’est-à-dire le détail des sanctions), etc.
Les juges pourront néanmoins exempter certains condamnés, « en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ». Leur décision devra alors être « spécialement motivée ».
Réforme des règles d’accessibilité des sites publics
Le gouvernement a – assez curieusement – profité du projet de loi « Avenir professionnel » pour revoir les règles relatives à l’accessibilité des sites, applications, intranets, progiciels... publics (notamment pour les personnes ayant des problèmes de vue), conformément à une directive européenne de 2016.
Il est ainsi prévu que de nouveaux organismes, à l’image des groupements d’intérêts publics, soient tenus de rendre leurs « services de communication au public en ligne » accessibles aux personnes handicapées, tel que le prévoit la « loi Handicap » de 2005.
La véritable nouveauté réside dans le fait que les administrations ne sont désormais plus tenues de se mettre en conformité avec ces règles d’accessibilité lorsque cela leur crée « une charge disproportionnée ». Le problème est que cette notion, issue de la directive, n’a pas été précisée par le législateur. Celui-ci a renvoyé la balle au gouvernement, qui devra la définir au travers d’un décret en Conseil d’État.
Si ce flou inquiétait les associations, le gouvernement faisait de son côté valoir que « le fait de clarifier les critères pour déterminer une telle charge, comme l’impose la directive, est un progrès dans la mesure où il encadre l’exercice et ses dérogations et crédibilise l’obligation d’accessibilité ».
Il n’en demeure pas moins que l’introduction de cette dérogation s’apparente pour certains à une sorte de « joker », facilement utilisable par les administrations guère pressées de rendre leurs contenus accessibles, notamment dans le contexte actuel de restrictions budgétaires. « Les acteurs, tant qu'ils peuvent déroger... Ils dérogent » nous avait ainsi expliqué Nicolas Mérille, de l’association APF France Handicap (voir notre article).
Lot de consolation : le législateur a rehaussé les sanctions encourues en cas de défaut de mise en conformité. Les administrations s’exposent désormais à des amendes administratives de 25 000 euros maximum, contre 5 000 euros jusqu'ici.
Les dispositions sur la « responsabilité sociale des plateformes » retoquées
Notons enfin que parmi les articles censurés par le Conseil constitutionnel pour défaut de lien, « même indirect », avec le texte présenté par le gouvernement, figure notamment des dispositions qui visaient à renforcer la « responsabilité sociale » des plateformes de type Uber ou Deliveroo. Le législateur souhaitait notamment que chacun de ces intermédiaires établisse une charte « définissant ses droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs avec lesquels elle est en relation ».
Autre article à avoir été retoqué : celui qui venait compléter la loi Numérique de 2016, en prévoyant que les établissements d’enseignement supérieur privés puissent dispenser, tout comme les universités publiques, des cours à distance (avec possibilité de validation).