Le ministère de l’Intérieur s’est décidé à donner suite à notre requête devant le juge administratif. Alors que le gouvernement d’Édouard Philippe s’est engagé il y a peu à appliquer l’Open Data « par défaut », la Place Beauvau déploie de son côté les arguments pour ne pas s’y plier...
En décembre 2017, constatant que de nombreuses administrations rechignaient à respecter leurs nouvelles obligations de diffusion de documents administratifs prévues par la loi Numérique, Next INpact avait décidé de lancer deux recours – symboliques – devant le Conseil d’État, au nom du droit à l'information.
Après des mois d’attente (justifiés en partie par un réaiguillage devant le tribunal administratif de Paris), nous avons reçu la semaine dernière un dossier de près de quatre cents pages. L'image est forte. Et elle en dit long : plutôt que de mettre en ligne un simple PDF de quatre pages, le ministère de l’Intérieur a préféré concocter un épais mémoire dit « en défense », affublé de volumineuses pièces jointes.

Sur le papier, notre requête visait à obtenir la mise en ligne d’un rapport d’évaluation des « caméras-piétons » portés par certains policiers. Un document qui nous avait déjà été transmis par le ministère de l'Intérieur (et que nous avons d'ailleurs publié sur notre site) après saisine de la Commission d'accès aux documents administratifs, mais que l'administration n'avait jamais diffusé sur Internet. En pratique, cette initiative juridictionnelle – une première pour Next INpact – n'avait qu'un but : mettre la lumière sur les nouvelles obligations nées de la loi Numérique, afin qu'elles ne restent pas lettre morte.
Un recours en justice pour que l’Open Data « par défaut » ne reste pas lettre morte
Depuis le 7 avril 2017, les administrations d'au moins 50 agents (ministères, autorités administratives indépendantes, hôpitaux, écoles...) sont tenues de mettre à la disposition de tous, sur Internet, les documents administratifs qu'elles viennent de communiquer individuellement, par email, à des personnes en ayant fait la demande sur le fondement de la « loi Cada ». Il peut s'agir aussi bien de rapports que de statistiques, de codes sources, de délibérations, etc.
Le problème est que très rares sont les acteurs publics à se conformer à ce nouveau principe dit d’Open Data « par défaut », issu de la loi Numérique.
Or ce dispositif pourrait se révéler particulièrement précieux pour l’intérêt général. Tout d’abord parce qu’il vise à assurer une transparence sur les documents administratifs qui intéressent réellement les citoyens (puisqu’ils découlent d’une demande, non d’un choix d’un acteur public de proposer tel ou tel rapport qui l’arrange). Et d’autre part parce que la loi impose aux administrations de diffuser ensuite les « mises à jour » de ces fichiers – ce qui devrait être particulièrement intéressant pour les statistiques ou codes sources notamment.
Un argumentaire qui tranche avec les engagements du plan OGP
Alors que l’exécutif a promis en avril dernier, dans le cadre de son plan d’action 2018-2020 pour l’Open Government Partnership, de « faciliter et faire appliquer le principe d’ouverture des données par défaut », le ministère de l’Intérieur n’est visiblement pas sur la même longueur d’ondes.
Vices de forme, absence d’intérêt à agir... La Place Beauvau a bien affuté ses arguments pour contrer notre procédure.
Les services de Gérard Collomb soutiennent tout particulièrement que nous aurions dû saisir (une nouvelle fois) la Cada avant de nous tourner devant le juge administratif. Nous avions effectivement saisi l’autorité indépendante une première fois, en décembre 2016, suite au refus du ministère de l’Intérieur de nous communiquer le fameux rapport sur les caméras-piétons.
La Place Beauvau estime que nous contestons désormais un refus de « publication » (et non plus de « communication »), nécessitant un passage devant la Commission d’accès aux documents administratifs.
Alors que nous avions expliqué au juge que la loi introduisait une nouvelle obligation ne nécessitant aucune « demande » ou intervention particulière de la part du citoyen, le ministère de l’Intérieur a joint à son mémoire l’étude d’impact du projet de loi Numérique et le rapport présenté au Sénat par Christophe-André Frassa, afin de démontrer que le législateur « a entendu inclure les refus de publication de documents administratifs dans la procédure de saisine préalable obligatoire de la Cada avant toute saisine de la juridiction administrative ».
En admettant que le tribunal administratif suive cette analyse, cela signifierait que pour activer les dispositions de la loi Numérique, il aurait fallu, dans l’affaire qui nous oppose à la Place Beauvau :
- Demander la communication du rapport
- Saisir la Cada, faute de retour du ministère de l’Intérieur sous un mois
- Obtenir le rapport (suite à l’avis favorable de la Cada)
- Demander la publication de ce même rapport, faute de mise en ligne spontanée
- Saisir la Cada pour refus de publication
- Effectuer un recours en justice, faute de mise en ligne du document
Autant dire un sacré parcours du combattant, d'autant que la Cada met parfois près de six mois avant d'examiner un dossier... Une telle grille de lecture semblerait d’autant plus ridicule que la loi Numérique permet également de demander à ce qu’un document administratif soit directement diffusé sur Internet (la publication est ainsi devenue l’une des modalités de communication des documents administratifs).
Mais surtout : quel citoyen irait réclamer la mise en ligne d’un document qu’il a déjà pu obtenir individuellement ? Ces dispositions étaient en effet taillées pour qu’un fichier ouvert une première fois le devienne pour le plus grand nombre, automatiquement... Ce qui aurait profité aux administrations elles-mêmes, puisqu’un document administratif disponible sur Internet n’a plus à être communiqué individuellement.
La clôture de l’instruction prévue pour fin septembre
Le ministère poursuit quoi qu'il en soit son argumentaire en ajoutant que « l’article qui définit les modalités du droit à communication ne précise pas que ce droit peut s’exercer selon des modalités de manière cumulatives ». La Place Beauvau fait ainsi valoir qu’en transmettant une première fois par mail un document administratif, il n’y aurait « aucune illégalité à refuser de l’assurer [le droit à communication, nldr], ultérieurement, par le biais d’une autre de ces modalités ».
Autrement dit, les services de Gérard Collomb estiment que le rapport sur les caméras-piétons nous ayant bien été transmis individuellement, ils n'avaient plus à répondre par la suite à une nouvelle demande de notre part.
Le magistrat en charge du dossier a décidé de la clôture de l’instruction au 27 septembre prochain. Notre second recours, visant le ministère de l’Éducation nationale, n’a quant à lui donné lieu à aucun retour de la part de la Rue de Grenelle.