Un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne rendue la semaine dernière confirme, sans grande surprise, qu’une photo piochée sur un site, est une « communication au public » lorsqu’elle est postée sur un autre site. L’acte est alors susceptible d’être interdit ou qualifié de contrefaçon.
L’affaire est née de la reprise par une élève d’une photo de la ville de Cordoba destinée à illustrer un travail de recherche en cours d’espagnol sur le site de l’école. La jeune fille n’avait eu aucune difficulté technique pour récupérer l’image sur le Net puisqu’elle était dénuée de mesure technique de protection. Problème, la photo, bien que sourcée, est signée d’un certain M. Renckhoff. Celui-ci avait autorisé sa diffusion sur un site de voyages, mais sûrement pas sur celui de l’établissement.
Celui-ci a donc poursuivi le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, autorité de tutelle. Il a réclamé une interdiction de reproduction, sous astreinte, outre 400 euros de dommages et intérêts.
Après des hésitations, la justice allemande a préféré questionner la Cour de justice de l’Union européenne sur un point diablement juridique. Il s’agit de savoir si « l’insertion, sur un site Internet accessible au public, d’une œuvre librement disponible pour l’ensemble des internautes sur un autre site Internet avec l’autorisation du titulaire du droit d’auteur » est oui ou non une « mise à la disposition du public ».
Le droit d'autoriser ou d'interdire
Cette question est primordiale dans la mesure où la reconnaissance d’une telle mise à disposition conditionne l’action en contrefaçon du photographe.
L’article 3 de la directive sur le droit d’auteur et les droits voisins de 2001 indique en effet que « les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement ».
Pour répondre, la CJUE a rappelé une des lignes directrices fondamentales de la directive : l’exigence d’« un niveau élevé de protection en faveur des auteurs » afin de leur permettre d’obtenir un niveau tout aussi élevé de rémunération.
Une communication...
Ceci posé, elle est rentrée dans les méandres de l’article 3 précité. Pour qu’une action en contrefaçon puisse être intentée, il faut une communication au public, laquelle exige la communication d’une œuvre (1) auprès d’un public (2).
Pour le premier point, aucune difficulté : « la mise en ligne, sur un site Internet, d’une photographie préalablement publiée sur un autre site Internet, après qu’elle a été préalablement copiée sur un serveur privé, doit être qualifiée de « mise à disposition » et, par conséquent, d’« acte de communication », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 ».
... au public
Pour le second critère, celui du public, la CJUE a rappelé sa jurisprudence constante : cette notion vise « un nombre indéterminé de destinataires potentiels et implique, par ailleurs, un nombre de personnes assez important ». Seulement, ce critère est lui-même soumis à conditions.
Il faut que l’œuvre ait été communiquée « selon un mode technique spécifique, différent de ceux jusqu’alors utilisés ou, à défaut, auprès d’un « public nouveau », c’est-à-dire un public n’ayant pas été déjà pris en compte par le titulaire du droit d’auteur, lorsqu’il a autorisé la communication initiale de son œuvre au public ».
Qu’en est-il ici ? Les deux sites, celui d’origine et celui exposant les travaux des élèves, étaient accessibles à tous. Le mode technique est donc identique.
La France du côté du photographe
Il convient donc de s’attacher au levier du « public nouveau », lequel a divisé. Pour le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie et le gouvernement italien, intervenu volontairement, il n’y aurait aucun « public nouveau ». L’un et l’autre se sont fondés sur la jurisprudence européenne des liens hypertextes, qui aboutit à une telle solution dès lors que l’œuvre liée est initialement communiquée sur un site sans DRM et avec l’autorisation du titulaire du droit d’auteur.
Au contraire, pour le photographe, rejoint par la Commission européenne et la France, la mécanique des liens hypertextes n’est en rien transposable, « eu égard notamment à la circonstance que, à la suite de cette nouvelle mise à disposition, ledit titulaire n’est plus en mesure d’exercer son pouvoir de contrôle sur la communication initiale de ladite œuvre ».
Dans son arrêt, la cour a rejoint ce second camp. Pour elle, la solution est la seule qui permette véritablement à l’auteur d’avoir une maîtrise sur la communication de son œuvre. De plus, une solution contraire lui interdirait de percevoir des rémunérations pour ses utilisations subséquentes.
Le droit des liens hypertextes est inapplicable
Ainsi, pour les juges européens, il y a bien communication au public. Le public du site de l’établissement est différent de celui visé par l’auteur lorsqu’il a accepté de voir sa fameuse photo diffusée sur le site de voyage. De plus, l’existence ou l’absence de MTP est sans incidence puisque, comme le veut la Convention de Berne, « la jouissance et l'exercice [des droits d’auteur] ne sont soumis à aucune formalité ».
Elle confirme en outre que la jurisprudence des liens hypertextes n’est en rien applicable aux contenus en eux-mêmes. Si les liens « contribuent notamment au bon fonctionnement d’Internet en permettant la diffusion d’informations dans ce réseau caractérisé par la disponibilité d’immenses quantités d’informations », tel n’est pas le cas de ces reprises dociles.
Aboutir à une solution inverse « méconnaîtrait le juste équilibre (…) qu’il y a lieu de maintenir, dans l’environnement numérique », entre le droit d’auteur, la liberté d’expression et d’information et le respect de l’intérêt général.
L’arrêt est important, non en ce qu’il rappelle une certaine évidence, mais parce qu’aujourd’hui, les reprises de photos, vidéo, etc. sont aujourd’hui légion sur le web, en particulier sur les sites de presse ou Twitter et Facebook. Il pourrait susciter de multiples actions chez les auteurs qui s’estiment floués.
On regrettera néanmoins que la question de l’exception en matière d’éducation n’ait pas été davantage exposée par la Cour, sachant il est vrai qu’elle n’avait pas été posée par les juridictions allemandes.