En commission des finances, les députés ont repoussé l’abattement de 3 000 euros applicables aux revenus déclarés automatiquement par les plateformes. Le coup de pouce avait été introduit au Sénat dans le projet de loi contre la fraude fiscale.
Ce texte aiguise le système de déclaration automatique des plateformes, quel que soit leur lieu d’établissement, déjà programmé par la loi de finances rectificative pour 2016 à compter de l'année prochaine.
Outre un rappel des obligations fiscales et sociales, des acteurs comme Airbnb, eBay, Rakuten devront adresser aux vendeurs un récapitulatif de plusieurs données dont « le nombre et le montant total brut des transactions » durant l’année civile. Ces éléments, détaillés par un arrêté à venir, seront transmis dans le même temps aux services fiscaux, sous peine d’une amende forfaitaire maximale de 50 000 euros. Cette sanction n’avait pas été envisagée dans la LFR 2016. Elle est censée rendre plus effectifs ces transferts automatiques.
Copie sera également adressée aux organismes de sécurité sociale, sachant que ces données pourront « faire l’objet d’une interconnexion » afin de détecter un éventuel travail dissimulé.
En contrepartie de ces obligations, qui n’existent pas dans le monde physique (échanges entre particuliers, vide-greniers, etc.), les sénateurs ont adopté fin juin un abattement de 3 000 euros sur les revenus concernés.
Un abattement contesté par le gouvernement, voté par les sénateurs
Cette ristourne a été présentée comme une mesure d’incitation, mais également d’équité voulait « d'une part, sécuriser la déclaration et le recouvrement de l'impôt en incitant les utilisateurs à utiliser des plateformes qui mettent en oeuvre la déclaration automatique, d'autre part, simplifier et clarifier le régime fiscal applicable aux utilisateurs des plateformes en ligne ».
L’idée était ainsi d’exonérer les « petits compléments de revenus occasionnels », pour les personnes gagnant un maximum de 250 euros par mois grâce à de petites ventes en ligne.
En séance, le secrétaire d’État Olivier Dussopt avait néanmoins porté un amendement visant à supprimer cet abattement, au regard du principe d’égalité devant l’impôt. « La mesure proposée crée des différences de traitement non justifiées par des différences objectives » expliquait le représentant du gouvernement, craignant un risque de censure constitutionnelle. « La seule circonstance que des revenus soient perçus au travers d’une plateforme, et non pas directement, ne saurait justifier une différence dans le régime d’imposition à l’impôt sur le revenu ».
Refusé au Sénat, réintroduit en commission par une députée LREM
Selon l’exécutif, l’abattement est trop large puisqu’il permettrait, à ses yeux, « une exonération en faveur de toutes les entreprises, pourvu qu’elles exercent leur activité via une plateforme ». Son amendement fut cependant rejeté.
Après la navette, Émilie Cariou, rapporteure du texte, l’a fait adopter sans difficulté en commission des finances de l’Assemblée nationale, où le groupe LREM a la majorité.
Avec plusieurs arguments : adopter un tel abattement aurait un coût non chiffré et entraînerait selon elle également, une rupture d’égalité entre les contribuables selon les modalités de perception (« abattement par l’intermédiaire d’une plateforme, imposition au premier euro à défaut »). Par ailleurs, a remarqué Emilie Cariou, « un abattement pour améliorer le recouvrement de l’impôt peut sembler curieux, voire contre-intuitif ».
Elle recommande en substance aux contribuables de s’abriter derrière les régimes microfiscaux qui « permettent déjà de tenir compte des spécificités de l’économie collaborative ». Le texte devra passer l’examen en séance et surtout la commission mixte paritaire, chargée d’arbitrer ces différences de vues.
Faciliter le travail de Bercy
En réalité, ce texte n’introduit pas une taxation dès le premier euro, mais va considérablement faciliter le travail de l’administration fiscale. Comme le précise la DGFIP à nos confrères de ZDNet, les sommes faisant l’objet d’une transmission automatisée seront présentées au contribuable afin de l’aider à établir sa propre déclaration annuelle. Un peu à la manière des cases pré-remplies.
« Cela permettra également de détecter les utilisateurs qui, au vu de la fréquence et de l'importance des opérations réalisées, pourraient relever des obligations propres à la fiscalité des professionnels, et non plus de celle des particuliers » prévient Bercy.
Explication : avec ce système, le fisc va pouvoir beaucoup plus facilement détecter les particuliers qui se comportent en réalité comme des commerçants de faits. Le Code de commerce définit le statut de commerçant non à partir d’un certain seuil mais par la réalisation « d’actes de commerce ». Essentiellement, ce sont des opérations d’achat pour revendre qui permettent de rechercher ce critère. Le particulier requalifié professionnel risque alors redressement fiscal, paiement de charges sociales, etc.
Dans un dossier en instance, la Cour de justice de l’Union européenne doit traiter le cas d’un particulier qui a posté huit annonces en ligne. L’avocat général a déjà expliqué, sur le terrain du droit de la consommation, que ces opérations ne permettraient pas de le requalifier en professionnel. Néanmoins, il souligne qu’en fonction d'autres circonstances, les juridictions nationales peuvent aboutir à la conclusion inverse. L'arrêt est attendu dans quelques mois.