L’avocat général de la Cour de justice de l'Union éuropéenne a fait la fine bouche. Une saveur ne peut se protéger avec le droit d’auteur. La CJUE rendra son arrêt dans quelques semaines. Âpre sujet.
Le Heksenkaas, un savoureux fromage à tartiner à la crème fraîche et aux fines herbes aurait, au goût de la société néerlandaise Levola, été copié par la société Smilde et son vil Witte Wievenkaas. Contrefaçon à ses droits d’auteur, a-t-elle affirmé en substance devant les juridictions néerlandaises. L’affaire a rapidement tourné au vinaigre, au point que la CJUE ne soit saisie d’une fumante question préjudicielle.
Peut-on protéger une saveur au titre du droit d’auteur ? Dans ses conclusions, fraichement rendues ce jour, Melchior Wathelet a répondu par la négative. Il ne s’agit certes que d’un avis porté au nez de la Cour, celle-ci devant rendre son arrêt sous peu, mais l’analyse n’en reste pas moins délectable.
Avant de s’attaquer au plat principal, l’avocat général a d’abord remis à chaud la notion « d’œuvre ». Le droit européen ne procédant à aucun renvoi dans les cuisines des pays, l’expression est nécessairement autonome, et donc avec un sens et une portée « identiques dans l’ensemble des États membres ». Cette précision n’est pas neutre. Elle interdit qu’un pays puisse créer un droit d’auteur sur la saveur, du moins dehors du cadre européen.
La recette de l'avocat général
Ainsi, mis au fourneau, reste le gros morceau du gibier. La recette de l’avocat est simple. Pour qu’un objet puisse être protégé, il faut d’abord un soupçon d’originalité, mais avant tout une bonne dose d’« œuvre ». Sachant, nuance importante, qu’un objet original n’est pas nécessairement une œuvre.
Souci : aucun texte ne répond expressément à la problématique, ni même ne définit ce qu’est une œuvre. La Convention de Berne, texte ô combien fondateur, évoque bien des « œuvres littéraires et artistiques » lesquelles ont pour ingrédients « toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu’en soit le mode ou la forme d’expression ». Il cite quelques exemples, mais la liste n’est pas exhaustive… Une certitude : elle n’intègre pas les saveurs, les odeurs ni même les parfums.
Néanmoins, ces exemples ont un bouquet commun : ils n’évoquent que des œuvres « perçues par des moyens visuels ou sonores, tels que les livres et les compositions musicales », délaissant les autres sens : goût, odorat ou toucher. « À ma connaissance, aucune autre disposition du droit international ne protège, par le droit d’auteur, la saveur d’un produit alimentaire » insistent les conclusions, avant de poursuivre le raisonnement acidulé.
Premier rappel : « La protection au titre du droit d’auteur s’étend aux expressions originales et non aux idées, aux procédures, aux méthodes de fonctionnement ou aux concepts mathématiques, en tant que tels ». Dès lors, « si la forme dans laquelle une recette est exprimée (l’expression) peut être protégée par le droit d’auteur si l’expression est originale, le droit d’auteur ne protège pas la recette en tant que telle (l’idée) ». Soulagement pour les blogs de recettes de cuisine !
Subjectivité et impressionnisme
Consacrer ces expressions originales imposerait que les saveurs soient « identifiables avec suffisamment de précision et d’objectivité ». Or, ceci est « actuellement impossible », en l’état des techniques. La saveur est qualitative, liée à l’expérience gustative, « sur la base de l’expérience subjective et des impressions suscitées par l’aliment sur lesdits organes sensoriels ».
S’il est impossible de bien identifier une œuvre en tant que saveur, c’est que l’étendue de sa protection l’est tout autant, d’autant que les saveurs sont « éphémères, volatiles et instables ». En conclusion, selon lui, la saveur n’est pas une œuvre. Elle ne peut bénéficier de la protection du droit d’auteur au regard de la directive de 2001 sur le sujet. Du vent !