Députés et sénateurs sont parvenus à un accord, lundi 23 juillet, sur le projet de loi « renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ». Au programme, notamment : des dispositions sur le « cyber-harcèlement groupé » et les images réalisées par les voyeurs qui filment sous les jupes des filles ou dans les cabines d'essayage.
Présenté fin mars en Conseil des ministres, le projet de loi porté par Marlène Schiappa, la secrétaire d’État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, est en passe d’être définitivement adopté par le Parlement.
Après avoir passé successivement le cap de l’Assemblée, mi-mai, puis du Sénat, début juillet, le texte a été débattu cette semaine en commission mixte paritaire. Les sept députés et sept sénateurs réunis pour l'occasion ont d'ailleurs réussi à trouver un compromis.
Si ce projet de loi a surtout fait parler de lui pour ses dispositions relatives au harcèlement de rue ou aux viols des mineurs, il contient également différentes mesures concernant l’univers numérique.
Un arsenal aiguisé contre le « cyber-harcèlement groupé »
Première mesure-clé, introduite par le gouvernement sur recommandation du Haut conseil à l’égalité : un délit dit de « cyber-harcèlement groupé », visant notamment à mieux réprimer les effets de meute sur les réseaux sociaux. Juridiquement, le législateur s’apprête plus précisément à compléter la définition des délits de harcèlement moral ou sexuel.
Dorénavant, chacune de ces infractions sera constituée y compris lorsque les « propos » ou « comportements » constituant le harcèlement :
- Sont « imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l'instigation de l'une d'elles, alors même que chacune de ces personnes n'a pas agi de façon répétée ».
- Sont « imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l'absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition ».
L’idée est donc de répartir en quelque sorte l’élément constitutif de la répétition sur l’ensemble des individus ayant pris part à un envoi massif de textos, messages sur Facebook, emails, etc. Et ce même si la concertation est en quelque sorte « tacite ».
Dans son étude d’impact, l’exécutif expliquait qu’il y avait actuellement une « dilution de la responsabilité pénale des "coauteurs" d'un raid : chaque participant n'adressant à la victime qu'un seul message, il semble difficile d'imputer à une personne spécifique la responsabilité d'un harcèlement basé sur un principe de répétition des actes ».
Par ailleurs, si l’utilisation d'un « service de communication au public en ligne » était déjà une circonstance aggravante en matière de harcèlement moral (article 222-33-2-2 du Code pénal), il en ira à l’avenir de même pour le harcèlement sexuel. Les parlementaires ont d'ailleurs souhaité étendre le périmètre de cet élément aux « supports numériques ou électroniques ».
En cas de cyber-harcèlement (moral ou sexuel), groupé ou non, les contrevenants encourront une peine de deux ans de prison et de 30 000 euros d'amende. L’addition pourra même grimper à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende s’il y a d’autres circonstances aggravantes (victime vulnérable ou âgée de moins de quinze ans, etc.).
De nouvelles obligations pour les hébergeurs et FAI
Députés et sénateurs se sont ensuite accordés sur une modification de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) de 2004. Hébergeurs et aux fournisseurs d’accès à Internet auront ainsi l’obligation de concourir à la lutte contre « les violences sexuelles et sexistes », objet du présent projet de loi.
Sur le modèle de ce qui prévaut en matière de pédopornographie ou d’apologie du terrorisme, ces intermédiaires devront de ce fait mettre en place « un dispositif facilement accessible et visible » permettant à toute personne de porter à leur connaissance des contenus relevant par exemple du cyber-harcèlement sexiste. À partir de ces signalements d'internautes, ils seront tenus « d'informer promptement les autorités publiques compétentes » (et de manière plus générale de rendre publics les moyens qu’ils consacrent à la lutte contre ces activités illicites).
Il n’y aura toutefois pas de mécanisme de suspension automatique, contrairement à ce qu’avait imaginé certains sénateurs.
Un délit visant les voyeurs qui filment sous les jupes des filles
Contre l’imagination de certains voyeurs qui usent de caméras en tout genre, le gouvernement a fait introduire au Sénat, en dernière ligne droite, un nouveau délit dit de « captation d’images impudiques ».
Le fait « d'user de tout moyen afin d'apercevoir les parties intimes d'une personne que celle-ci, du fait de son habillement ou de sa présence dans un lieu clos, a caché à la vue des tiers », deviendra ainsi passible d’une peine d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende. À condition bien entendu que l’infraction soit commise « à l’insu ou sans le consentement de la personne ».
Cette nouvelle infraction visant dans cette version stricte uniquement les cas de voyeurisme « simples », une batterie de circonstances aggravantes a été introduite, parmi lesquelles figure le fait que « des images ont été fixées, enregistrées ou transmises ». Dans une telle hypothèse, les peines encourues seront alors doublées.
Même en l’absence de photos ou de vidéos, les contrevenants s’exposeront à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende lorsque :
- Les faits sont commis dans les transports en commun
- La victime est mineure ou vulnérable (personne âgée, malade, handicapée, enceinte...)
- Les faits sont commis par « plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice » ou « par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions »
Selon l'exécutif, le droit pénal souffre actuellement d’une « lacune » s’agissant des « personnes qui, notamment dans les transports en commun, utilisent leur téléphone portable ou de petits appareils photos ou de petites caméras pour filmer l'entrejambe de femmes, assises ou debout lorsque celles-ci sont en jupe ». L’exemple des cabines d’essayage avait également été brandi.
Ce nouveau délit a néanmoins été introduit sans débat particulier en séance publique, au Sénat. En 2012, le ministère de la Justice avait pourtant expliqué à une sénatrice inquiète de ce phénomène qu’il n’y avait « pas de vide juridique ». « Le droit à l'image protégé par l'article 9 du Code civil est très protecteur puisqu'il permet d'interdire la fixation de l'image d'une personne physique sans son consentement, même dans un lieu public, et une action en responsabilité civile peut être engagée sur ce fondement dès lors qu'un préjudice a été causé », détaillaient à l'époque les services de Christiane Taubira (voir notre article).
Sensibilisation obligatoire des élèves à l'interdiction du cyber-harcèlement
Notons enfin que députés et sénateurs ont souhaité modifier (une nouvelle fois) le Code de l’éducation, afin que les élèves soient sensibilisés à « l'interdiction du harcèlement commis dans l'espace numérique, la manière de s'en protéger et les sanctions encourues en la matière ».
L’encre de cet article visant la « formation à l'utilisation des outils et des ressources numériques » dispensée par les établissements scolaires est toutefois toute fraîche. La récente loi relative au RGPD a déjà élargi cette sensibilisation « aux règles applicables aux traitements de données à caractère personnel ». La proposition de loi relative à l’interdiction du portable à l’école, qui devrait être soumis à un ultime vote de l'Assemblée la semaine prochaine, l’étend pour sa part « au développement de l’esprit critique et à l’apprentissage de la citoyenneté numérique ».
Le compromis sur le projet de loi « Schiappa » n’a désormais plus qu’à être confirmé par les assemblées pour être définitivement adopté. Au regard du calendrier législatif, il est toutefois probable qu’il faille désormais attendre la rentrée. Sauf saisine du Conseil constitutionnel, Emmanuel Macron aura alors quinze jours pour le promulguer.