Piratage : deux décisions de justice aiguisent les armes de l’industrie du cinéma

Riposte démultipliée
Droit 8 min
Piratage : deux décisions de justice aiguisent les armes de l’industrie du cinéma

Le 25 mai, une ribambelle d’organisations professionnelles du cinéma et le centre national du cinéma ont obtenu le blocage et le déréférencement de six sites de streaming et leurs clones. Classique pour les FAI, la décision consacre des mesures très musclées à l’encontre de Google. Le 13 juillet, elle a été doublée d’une importante consécration. 

Orange, Free, SFR, Numéricable, Bouygues et Google ont eu une nouvelle fois rendez-vous devant le tribunal de grande instance de Paris. En face, le monde du cinéma a réclamé le blocage et le déréférencement de Filmzenstream, Filmstreamvk, K-Streaming, Papstream, Serie-vostfr, Skstream durant un an, outre leurs miroirs ou sites de contournement.

Le TGI a une nouvelle fois mis en musique l’article L336-2 du Code de la propriété intellectuelle. Dans une action en la forme des référés, il permet d’obtenir « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser » une atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, ce « à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ».

Une disposition issue du droit européen, transposée par la loi Hadopi et bourrée de charme : elle offre une grande liberté d’action, bien plus que son équivalent de la loi sur la confiance dans l’économie numérique. En effet, ici, nul besoin de respecter le principe de subsidiarité, celui qui oblige en principe à s’adresser d’abord à l’hébergeur avant de se tourner devant les FAI. En outre, la justice n’hésite plus à faire supporter les frais sur les épaules des défenseurs.

Les ayants droit et les organismes de défense avaient néanmoins pris la peine de joindre les administrateurs des six sites et leurs intermédiaires. Leurs tentatives furent vaines : mails restés sans réponse ou retournant un message d’erreur, mention légale absente, hébergeur non identifié, anonymisation des données d'enregistrement du nom de domaine, etc. 

Six sites bloqués et leurs nombreux clones

Dans le long jugement que nous dévoilons – plus de cinquante pages – le tribunal a d’abord constaté que l’ensemble des six sites était dédié à la contrefaçon en ligne. Sur FilmStreamVK par exemple, 11 422 films et 2 154 séries télévisées ont été identifiés par l’ALPA, l’association de lutte contre la piraterie audiovisuelle. Skstream ce chiffre grimpe à 14 662 oeuvres (11 034 films et 3 628 séries télévisées). Tous et leurs clones sont « dédiés quasi exclusivement au téléchargement ou à la visualisation d’oeuvres audiovisuelles au mépris des droits d'auteur et des droits voisins », constate, après analyse, le jugement.

Pour justifier des mesures de restriction d’accès, il établit une « balance des intérêts entre le droit à la liberté de recevoir des informations et la protection des droits de l’auteur ou des producteurs ». L’arbitrage n’a pas été bien complexe, « au regard de l'ampleur des visiteurs des sites litigieux, lesquels se comptent par plusieurs centaines de milliers par mois » et une myriade de contenus en indélicatesse avec les catalogues protégés. Le tribunal n’a pas davantage vu d’atteintes à la liberté d’entreprise, elle aussi protégée constitutionnellement, compte tenu du choix laissé aux intermédiaires pour faire cesser ces atteintes.

Au final, le tribunal a exigé des FAI le blocage d’une liste limitative de ces « noms de domaine » : 

  • Filmstreamvk.info
  • Filmstreamvk.cc
  • Filmstreamvk.me
  • Filmstreamvk.co
  • Filmstreamvk.org
  • Filmstreamvk.com
  • Filmstreamvk.net
  • Filmstreamvk.biz
  • Filmstreamvk.ws
  • Filmzenstream.to
  • Filmzenstream.com
  • Filmzenstream.tv
  • K-streaming.com
  • Papstream.net
  • Papstream.co
  • Papstream.com
  • Serie-vostfr.me
  • Serie-vostfr.com
  • Skstream.biz
  • Skstream.ws
  • Skstream.co
  • Skstream.org
  • Skstream.net
  • Skstream.cc
  • Skstream.com
  • Skstream.xyz

... pour une durée d’un an durant laquelle les FAI disposeront de la liberté de choisir le « moyen efficace » pour atteindre cet objectif. Au passage, Free a été débouté « de ses demandes de faire supporter aux demandeurs l'intégralité du coût des mesures ». Les fournisseurs devront donc prendre en charge les frais de blocage. 

Sur Google, fin du jeu entre chats et souris 

Le cas Google est différent. Les juges ont remarqué sans mal que les éditeurs des sites litigieux « redoublent d'efforts pour échapper aux mesures de blocage notamment en modifiant la structure des adresses URL de leurs contenus ». 

Dans ce jeu du chat et de la souris, selon les PV de l'ALPA, « les adresses d'accès à certaines œuvres audiovisuelles peuvent changer complètement d'un nom de domaine à un autre ». Pour ses agents, nul doute : « le moteur de recherche de la société Google LLC constitue manifestement pour l'internaute un moyen d'accéder aux contenus contrefaisants mis à disposition par les sites litigieux ». 

La demande des organisations du cinéma a donc été plus ambitieuse à l’égard du service en ligne. À leurs yeux, Google doit mettre en place une mesure en vue d'empêcher « l’apparition de toute réponse et tout résultat renvoyant vers l’une des pages des sites litigieux en réponse à toute requête émanant d'internautes ». 

En d’autres termes, un système pro actif que Google a tenté de dépeindre comme disproportionné, préférant un traitement chirurgical, URL par URL. Une défense rejetée sachant qu’un seul site « peut contenir des milliers de pages et autant d'adresses URL différentes, le nombre et le contenu de ces pages pouvant évoluer à tout moment », a rétorqué le tribunal. 

Avec des sites alimentés en flux continu, « une telle exigence, outre qu'elle excèderait au regard notamment du coût et des éléments de preuve nécessaires pour parvenir à identifier l'URL de chacune des pages litigieuses, ce qui peut être raisonnablement imposé aux ayants droit pour garantir l'effectivité de la protection qui leur est due, serait totalement inefficace » ajoute-t-il. 

Un blocage des sites existants et des futures redirections

Selon les juges, en substance, celui-ci est en capacité de détecter les nouvelles adresses en particulier parce qu’elles surgissent au fil des « redirections 301 » mises en œuvre par les responsables de nom de domaine, traquées par les robots, ou dans la Google Search Console. 

Durant cette année à venir, le moteur devra donc non seulement purger l’existant, mais aussi traiter les futurs clones des « sites » bloqués, et donc pas seulement les « noms de domaine ». Il prendra à cette fin « toutes mesures utiles en vue d'empêcher l'apparition (…) de tout résultat » renvoyant vers l'une des pages des sites « notamment accessibles » via la liste précitée, outre celles encore inconnus qui surgiront au fil des redirections. 

Cette décision consacre une jurisprudence née le 15 décembre 2017, révélée par Next INpact, qui visait à l’époque Zone Telechargement, Papystreaming et Sokrostream.

En somme, du côté des moteurs, et contrairement aux FAI, il n’est plus nécessaire de revenir devant les juges pour actualiser la liste des sites accusés de contrefaçon. Cette conclusion permet d’ailleurs d’évoquer maintenant une ordonnance de référé rendue le 13 juillet dernier, également dévoilée par Next INpact.  

D’une action en la forme des référés à une action en référé

L’ensemble des FAI a été trainé devant le juge par les mêmes demandeurs afin d’actualiser la liste des sites à bloquer dans les décisions du 15 décembre 2017 et du 25 mai. Cette fois, grande nuance, l’industrie du cinéma n’est plus passée par une procédure « en la forme des référés » mais par un référé classique. Avantage ? Un gain de temps considérable. L’audience a été tenue le 27 juin, soit quinze jours avant la décision ! 

Problème : si l’article L336-2 du code de la propriété intellectuelle évoque la première procédure, il ne dit rien sur la seconde. Le tribunal n’a cependant eu aucun scrupule à constater que ce texte « n'exclut (…) pas explicitement la compétence du juge des référés, qui lui-même est une émanation du tribunal et dont le président, conformément à l'article L. 213-2 du code de l'organisation judiciaire, a compétence pour statuer en référé « en toutes matières ». 

Cette extension n'est pas repoussée par la directive de 2001 sur le droit d’auteur. Au contraire. Son considérant 58 explique que la mise en œuvre de la procédure spécifique prévue par le texte européen doit se faire sans exclure l'usage « de toute autre sanction ou voie de recours dont [les ayants droit] peuvent se prévaloir ». Dit autrement, si l’article L336-2, émanation de la directive, n’envisage qu’une procédure particulière, celle-ci n’exclut pas les règles du droit commun. 

« Il ressort de ces éléments que les demandeurs sont bien fondés à voir prescrire en référé les mesures conservatoires qui s'imposent pour faire cesser le trouble manifestement illicite résultant de la violation de leurs droits de sorte » en déduit le tribunal. 

Cette fois, par un simple référé, les mesures de blocage ont été étendues aux nouveaux clones des sites bloqués par les deux décisions précédentes, à savoir :

  • Sokrostream.cx
  • Sokrostream.tv
  • Sokrostream.net
  • Zone-telechargement1.com
  • Filmstreamvk.la
  • Filmstreamvk.im
  • Filmstreamvk.tv
  • Filmstreamvk.site
  • Skstream.info 

Effet cliquet

Pour les organisations professionnelles, ces décisions entraînent une forme d’effet cliquet. D’un, Google sait désormais qu’il doit empêcher l’apparition des futurs clones d’un site une première fois déréférencé en justice. De deux, il est possible d’actualiser la liste des domaines bloqués par les FAI à l’aide d’une action très rapide, le référé, quand celle « en la forme des référés » prenait des mois. 

Voilà pourquoi le CNC a salué « une grande victoire pour la création qui renforce l'efficacité de ces actions en cessation contre les sites illégaux ». Un tel mouvement soulèvera néanmoins la question de l’opportunité de la réforme promise par la ministre de la Culture. Alors que l’ALPA constate une baisse du nombre de « pirates », Françoise Nyssen entend confier à la Hadopi le soin de dresser des listes noires de sites miroirs « qui se créent après la fermeture du site principal ». Un programme évidemment soutenu par la haute autorité. 

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