Députés et sénateurs sont parvenus à un accord, mercredi 18 juillet, en commission mixte paritaire. La proposition de loi relative à l’interdiction du portable à l’école et au collège sera (sauf énorme surprise) définitivement adoptée par les assemblées avant la fin du mois.
« Il n'y a pas vraiment eu de renoncement ni d'un côté ni de l'autre », nous confie Cathy Racon-Bouzon, rapporteure (LREM) pour l’Assemblée nationale. Stéphane Piednoir (LR), son homologue du Sénat, confirme : « Sur un texte comme ça, on n'était pas sur un rapport de force. Il y avait un consensus assez large. »
Les sept députés et sept sénateurs réunis avant-hier en commission mixte paritaire n’ont d’ailleurs mis qu’une demi-heure pour sceller un compromis. Ceci devrait permettre à la majorité de souffler, puisque le texte pourra entrer en vigueur dès la rentrée prochaine, comme s’y était engagé le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer.
Mais que contient cet accord ?
L’interdiction devient le principe, les dérogations renvoyées au règlement intérieur
Depuis 2010, l’article L511-5 du Code de l’éducation interdit aux élèves d’utiliser un portable durant n’importe quelle « activité d'enseignement ». Les établissements scolaires ont en outre la possibilité de prohiber les téléphones dans certains lieux (cour de récréation, cantine...), mais il faut pour cela qu’ils l’inscrivent au sein de leur règlement intérieur.
La proposition de loi que s’apprêtent à adopter les parlementaires va en quelque sorte renverser ce paradigme. L’interdiction prévaudra par principe « dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges ». Elle sera également de mise « pendant toute activité liée à l’enseignement qui se déroule à l’extérieur de leur enceinte », afin de couvrir par exemple les sorties scolaires et les cours d’EPS.
Chaque école ou collège pourra néanmoins autoriser l’utilisation du portable dans certains « lieux » et en fonction de « circonstances » particulières, au travers de son règlement intérieur. C’est uniquement dans ce cadre que les établissements scolaires auront la possibilité d’introduire une exception pour « les usages pédagogiques ».
Pas d’exception pédagogique de principe
Pour mémoire, les députés avaient souhaité que cette exception pédagogique prévale « par défaut », partout sur le territoire, sans qu’il n’y ait besoin de recourir au règlement intérieur. Le Sénat s’y est toutefois opposé, jugeant que cela relevait d’une « précision inutile » et qu’il valait mieux laisser les établissements décider au cas par cas.
« Je ne voulais pas que ce soit automatique », soutient aujourd’hui encore Stéphane Piednoir. L’élu LR craignait en effet qu’une telle règle soit trop sujette à interprétation : « Si jamais un élève était pris la main dans le sac en cours, qu'est-ce qui pourrait prouver que ce n’était pas pour un usage pédagogique ? »
Si Cathy Racon-Bouzon a insisté pour que l’exception pédagogique figure dans le Code de l’éducation, l’élue LREM a finalement rejoint le Sénat quant à son renvoi au règlement intérieur. « Ce ne sera pas l'enseignant, individuellement, qui choisira d'utiliser les téléphones, mais ça fera l'objet d'une discussion en début d'année pour savoir si oui ou non le corps enseignant décide conjointement d'ouvrir cet usage-là. Les établissements devront ainsi construire un véritable projet pédagogique au moment de l’élaboration du règlement intérieur », s’enthousiasme la députée.
Autre nouveauté introduite par le texte : l’interdiction ne concernera plus uniquement les téléphones portables, mais tous les « équipements terminaux de communications électroniques ». Ce qui permettra d’englober les smartphones, tablettes, montres connectées, etc.
Possibilité de confiscation des téléphones, tablettes, etc.
En cas de non-respect de l’interdiction, le législateur a par ailleurs tenu à préciser que les élèves s’exposeraient à la confiscation de leur téléphone ou de leur tablette. N’importe quel « personnel de direction, d’enseignement, d’éducation ou de surveillance » sera ainsi habilité à infliger une telle sanction.
Il appartiendra toutefois à chaque établissement scolaire de définir, là encore au travers de son règlement intérieur, les modalités de confiscation et de restitution des téléphones. Il s’agit ici aussi d’une demande des sénateurs, qui regrettaient que l’Assemblée soit entrée « dans un luxe de détails inutile et nuisible ». Les députés avaient en l’occurrence souhaité que les appareils confisqués soient rendus aux élèves au plus tard en fin de journée (et si possible en présence des parents).
« C'est tout à fait logique de renvoyer au règlement intérieur, il y a besoin de souplesse et de s'adapter à chaque situation », admet désormais Cathy Racon-Bouzon.
Extension aux lycées, mais avec un régime d’autorisation de principe
La proposition de loi se penche également sur le cas des lycées, même si ceux-ci feront en quelque sorte bande à part. Alors qu'ils n’étaient initialement pas concernés par le texte, le Sénat a souhaité leur laisser la possibilité d’interdire les portables et autres appareils connectés « dans tout ou partie de l’enceinte de l’établissement ainsi que pendant les activités se déroulant à l’extérieur de celle-ci » (encore une fois via leur règlement intérieur).
Aucune interdiction de principe n’est cependant posée.
Une sensibilisation accrue à la « citoyenneté numérique »
Afin d’agrémenter ce texte d’un volet « pédagogique », les députés ont insisté en CMP pour rétablir plusieurs dispositions visant à inscrire solennellement dans la loi que les écoles, collèges, lycées et établissements d'enseignement supérieur « concourent à l'éducation à la responsabilité civique » des élèves, « y compris dans l’utilisation d’Internet ».
La formation obligatoire à « l'utilisation des outils et des ressources numériques », prévue elle aussi depuis de longues années par le Code de l’éducation, devra à l’avenir « contribue[r] au développement de l’esprit critique et à l’apprentissage de la citoyenneté numérique ».
Vers une application dès la rentrée
Ce texte de compromis doit dorénavant être soumis au Sénat le 26 juillet, puis à l’Assemblée le 30 juillet. Sauf saisine du Conseil constitutionnel, Emmanuel Macron aura alors quinze jours pour le promulguer.
« Sans doute qu'il y aura un petit temps de latence, étant donné qu’il reviendra aux conseils d'administration et aux conseils d'école de se réunir pour inscrire ça dans les règlements intérieurs », prévient Stéphane Piednoir. Le rapporteur du Sénat espère toutefois que les établissements auront procédé aux ajustements nécessaires d’ici « fin septembre, début octobre ».
Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a par ailleurs rappelé cette semaine au Sénat que ses services publieraient prochainement un « vade-mecum » visant à accompagner les établissements dans la mise en œuvre concrète de cette interdiction. Ce document devrait être élaboré par la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGSCO) « avec l’appui d’un groupe de travail réunissant notamment des professeurs et des chefs d’établissement », dans l’objectif de définir des bonnes pratiques.
Le locataire de la Rue de Grenelle a également insisté sur la grande latitude qui serait laissée aux écoles et collèges :
« Contrairement à ce que j’ai pu entendre, il n’est pas question d’imposer ces modalités, par exemple l’installation de casiers dans tous les établissements. Nombre de conseils départementaux se disent intéressés par cette option, qui pourrait présenter d’autres avantages, comme un rangement plus aisé des manuels, mais ce ne sera qu’une possibilité. Chaque établissement, en fonction de la configuration de ses locaux et de son organisation propre, pourra définir les modalités d’application de cette interdiction, en tenant le plus grand compte de ses spécificités » avait esquissé Jean-Michel Blanquer, le mois dernier à l’Assemblée nationale.