Le satellite Planck (2009-2013) a livré ses premières informations en 2015, accompagnées de mises en garde. Elles sont aujourd'hui quasiment toutes levées avec la publication des « données héritage ». Définitives et plus fiables, elles confirment les premiers résultats. Il reste tout de même un désaccord sur la constante de Hubble.
Après une première « photo » en 2013 de l'Univers tel qu'il était 380 000 années seulement après le Big Bang, le consortium Planck en charge du satellite européen dévoile la version intégrale et surtout définitive des données.
En juillet, précision améliorée et données sur la polarisation
« Avec sa fiabilité accrue et ses données sur la polarisation du rayonnement fossile, la mission Planck corrobore le modèle cosmologique standard avec une précision inégalée sur ces paramètres, même s’il subsiste encore quelques anomalies ». En plus d'une meilleure précision, le point important est l'apport indépendant de la polarisation permettant de « mieux comprendre le fonctionnement de l’univers ».
Sans être une révolution, ces nouvelles informations renforcent la description de l'univers observable communément admise aujourd'hui, « aussi surprenante soit-elle » précise le Cnes. En effet, « 95% de l'univers est constitué de matière et d’énergie noires dont la nature n’est pas connue. Les chercheurs ne les détectent que par son influence gravitationnelle ».
- À lire : Aujourd'hui c'est le Dark Matter Day... mais au fait, c'est quoi la matière (et l'énergie) noire ?
Quatre ans d'observations, cinq ans de plus pour les données complètes
Le satellite Planck de l'Agence spatiale européenne (Esa) a été lancé le 14 mai 2009 à bord d'une fusée Ariane 5 ECA. Il s'est ensuite placé en orbite au point de Lagrange L2, à 1,5 million de kilomètres de la Terre.
Dès le départ, ce satellite était « vraiment conçu pour étudier la naissance de l'Univers » ajoute Ken Ganga, ancien du Caltech et directeur de recherche au CNRS. Sa mission : « cartographier le fond diffus cosmologique, un rayonnement dans le domaine micro-onde, émis 380 000 ans après le Big Bang, alors que l’univers se réduisait à un gaz chaud et quasi homogène ».
En effet, l'Univers primordial (juste après le Big Bang) était très lumineux. Son éclat s'est évidemment considérablement réduit durant son expansion, mais il est toujours possible d'observer son rayonnement appelé « fond diffus cosmologique ».
Aujourd'hui, les grains de lumière scrutés par Planck sont mille fois moins énergétiques que ceux que nos yeux sont capables de voir. Entre mai 2009 et octobre 2013, c'est justement ce qu'a observé le satellite, sur l'ensemble de l'Univers observable. Il tourne en effet sur lui-même et prend des captures au fur et à mesure, un peu à la manière d'un scanner.
Planck prend donc la relève des satellites COBE (Cosmic Background Explorer) et WMAP (Wilkinson Microwave Anisotropy Probe) de la Nasa des années 1990/2000, mais avec une précision largement améliorée.
La différence de définition entre WMAP et Planck. Crédits : CNRS
À la quête d'infimes variations de température
Le satellite Planck disposait d'un télescope de 1,5 mètre de diamètre, d'un instrument LFI (Low Frequency Instrument) et d'un autre HFI (High Frequency Instrument). Ce dernier est la contribution française à la charge utile. Le HFI intègre des bolomètres (83 à 857 GHz) fonctionnant à une température de 0,1 K seulement (environ - 273°C), avec une sensibilité en température de 5 µK à 100 GHz. De son côté, le LFI est réalisé par les Italiens. Il dispose de 56 récepteurs radio ajustables de 27 à 77 GHz. Il fonctionne à 20 K et propose une sensibilité de 12 µK.
Le satellite a besoin d'une telle précision car d’infimes variations de température sur le fond diffus cosmologique offrent des renseignents sur le contenu de l'Univers, son taux d’expansion (aussi appelé constante de Hubble) et sur « les propriétés des fluctuations primordiales qui ont donné naissance aux galaxies ». Bref, comprendre la naissance et le fonctionnement de notre Univers.
Des données publiées en 2015 avec « une mise en garde »
En 2013, l'Esa publiait une première image du cosmos vu par les instruments de Planck, puis une première analyse plus poussée des données en 2015 avec des cartes du ciel via les instruments HFI et LFI.
Parmi les données, la température, mais aussi la polarisation du fond diffus cosmologique « qui détermine comment, au niveau microscopique, vibrent les ondes qui composent la lumière ». Cette information est cruciale pour le Cnes, car elle « porte l’empreinte de la dernière interaction entre la lumière et la matière dans l’univers primordial ».
Par contre, en 2015, les données de polarisation n'étaient qu'à un stade « préliminaire » et accompagnées d’une mise en garde, comme l'explique Jan Tauber, Project Scientist de l'ÉSA pour la mission Planck : « Nous estimions que la qualité d’une partie des données polarisées n’était pas suffisante pour une exploitation cosmologique ». Une vérification plus poussée était donc nécessaire avant qu'elles « puissent être exploitées au mieux et avec confiance par l’ensemble des chercheurs ».
Le consortium Planck explique que le signal de la polarisation du rayonnement fossile est 50 à 100 fois plus faible que celui de la température... déjà difficile à mesurer précisément. De plus, ces données peuvent être polluées par des poussières galactiques.
Les « données héritage » de 2018 lèvent les doutes
Avec la publication de juillet 2018, appelée « données héritage », la plupart des appels à la prudence quant à la qualité des données a disparu : « Les scientifiques sont à présent certains que les données de température et de polarisation recueillies par le satellite Planck sont déterminées avec précision ».
- Accéder à la galerie d'images de Planck (avec de nouvelles cartes de juillet 2018)
« Maintenant nous sommes vraiment confiants dans le fait que nous pouvons déterminer le modèle cosmologique soit en se basant uniquement sur la température, soit uniquement sur la polarisation, ou sur les deux. Et tout cela est en accord » affirme Jean-Loup Puget, responsable de l'instrument HFI à l’Institut d’astrophysique spatiale d’Orsay.

Polarisation et température, même combat
Une partie des données de polarisation est redondante avec celles sur la température, permettant d'en vérifier la qualité en confrontant les deux jeux. La polarisation permet également d'obtenir des informations supplémentaires sur notre Univers : « des motifs à grande échelle de la carte de polarisation permettent de mieux déterminer à quelle époque les premières étoiles se sont formées ».
« Exhaustives, définitives et plus fiables, les données publiées le 17 juillet 2018 ont confirmé les premiers résultats, très bien décrits à base de matière ordinaire, de matière noire froide et d’énergie noire de nature inconnue, avec une phase d’inflation à son tout début » ajoute l'agence spatiale.
Désormais, ce modèle cosmologique peut se déduire en utilisant soit les données de température, soit celles de polarisation et, cerise sur le gâteau, avec « une précision comparable ».
Reste toujours le cas de la constante de Hubble
Tout n'est pas parfait pour autant : « quelques anomalies ou imperfections subsistent », en particulier sur le taux d’expansion de l’univers (alias la constante de Hubble). Entre le résultat (issu de mesures indirectes) de la mission Planck et celui du télescope spatial Hubble, la différence est d'environ 7 %. C'est au-delà de l'incertitude des mesures, estimée à 1 ou 2 % par les scientifiques.
Problème, deux méthodes distinctes pour déterminer un même résultat doivent être compatibles entre elles : « Le désaccord signifie soit que les incertitudes entachant au moins l’une des deux estimations sont sous-évaluées, soit que le modèle d’Univers que nous utilisons pour interpréter les mesures est marginalement inexact. Or, malgré des années d’effort, aucune source d’incertitude significative supplémentaire n’a pu être trouvée ».
Pour Marco Bersanelli, co-responsable de l'instrument LFI, « il n’existe pas d’explication astrophysique unique qui puisse expliquer ce désaccord ». « C’est peut-être le signe d’une physique nouvelle à découvrir » ajoute-t-il. Attention, il ne s'agit pas de remettre en cause le modèle cosmologique standard d'un bloc, ce dernier épousant si parfaitement les observations sur tant de points.

Il s'agit plutôt de soulever l'hypothèse de particules ou forces encore inconnues influençant sur les résultats. Selon François Bouchet, co-responsable de HFI, il est en effet « très difficile d’altérer le modèle standard en y ajoutant de la physique nouvelle, tout en maintenant la description ultra-précise de tout le reste que le modèle décrit si bien ».
« Nous ne savons pas quelle est cette physique nouvelle, mais nous savons déjà en partie ce qu’elle ne peut pas être » affirme l'institut Planck. Pour le responsable de mission Jan Tauber, « il faut raison garder en ce qui concerne la découverte potentielle d’une physique nouvelle : il se pourrait très bien que cette différence relativement faible s’explique par l’effet combiné de petites imprécisions dans les mesures et d’un effet local. Mais il faut continuer à améliorer nos mesures et imaginer de meilleures façons de l’expliquer »
Dans tous les cas, la question reste ouverte et de nombreux télescopes vont maintenant tenter d’avoir le fin mot de l’histoire.