Pénurie de fibre : l'alerte de l'Avicca aux réseaux d'initiative publique

Des chiffres et des lettres
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Pénurie de fibre : l'alerte de l'Avicca aux réseaux d'initiative publique
Crédits : kynny/iStock

Pour l'association de collectivités, ses membres ne doivent utiliser que de la fibre optique recommandée par l'Arcep... même si elle n'est pas disponible en quantité suffisante pour déployer dans les temps. Les raisons : un danger pour les subventions et un important risque juridique.

L'Avicca est l'une des principales associations de collectivités sur le numérique, très impliquée dans le déploiement de la fibreDans une lettre datée de fin juin, dont nous avons eu connaissance, elle enjoint ses adhérents à respecter à la lettre les recommandations officielles sur la fibre optique. Elles ne doivent en aucun cas y déroger dans leurs réseaux d'initiative publique (RIP), censés connecter 43 % de la population au très haut débit.

Plusieurs types de fibre sont disponibles. Deux sont au cœur du débat. D'un côté, la « G657A2 », qui sert à connecter les habitations au réseau, en raison de sa grande flexibilité, supportant des angles importants sans perte de signal. De l'autre, la « G652D », une fibre résistant mieux sur de longs trajets (comme ceux reliant plusieurs villes).

Or, la « G657A2 » vient à manquer, mondialement. Une mauvaise passe qui inquiète les industriels. Pour tenir, l'Agence du numérique (aux manettes du plan France THD) accepte un remplacement temporaire par de la « G652D ». Problème, pour l'Avicca : un réseau d'initiative publique qui en déploie s'expose à un important risque juridique, ne respectant pas l'état de l'art.

Contactée, l'Avicca confirme l'existence de cette lettre et la justifie. « Si les réseaux d'initiative publique continuaient à déployer autre chose que de la fibre G657A2, ils avaient un risque de double peine » nous déclare Ariel Turpin, son délégué général.

Entre promesses orales et règles écrites

La première peine serait la perte des subventions de l'État. Sur les 14 milliards d'euros à investir dans les réseaux d'initiative publique d'ici 2022, 3 milliards proviennent de Paris. « Si, oralement des adhérents ont pu entendre qu'il n'y avait pas de souci pour déployer ponctuellement de la G652D (à défaut de G657A2), il n'y a pas de garantie écrite d'être payés » résume l'association.

La seconde peine viendrait lors d'un règlement de différend entre un réseau d'initiative publique et un opérateur. Par exemple, celui qui exploite le réseau pour le compte de la collectivité. Il pourrait faire valoir ce « mauvais » choix de fibre pour dire que le réseau n'est pas aux normes.

Pour Ariel Turpin, il y a peu de risque de voir une collectivité attaquée uniquement pour ce choix. Par contre, il peut servir de prétexte pour un opérateur qui voudrait arrêter de payer ses redevances d'exploitation à la collectivité, parce qu'il dispose de la mainmise sur le réseau.

« Un opérateur pourrait facilement se retrancher derrière ça, en disant que tant que le réseau n'est pas à niveau [vers la « G657A2 », NDLR], il ne paiera pas » estime le responsable.

Le risque est d'autant plus important qu'un règlement de différend passerait devant l'Arcep, qui s'en tient à ce qui est écrit. Selon l'Avicca, l'autorité des télécoms aurait été claire : elle s'en tiendrait au recueil de son comité d'experts fibre (PDF), qui limite le raccord final à la « G657A2 ». Si un réseau public est pris la main dans la « G652D », elle en paierait les conséquences.

Interrogée hier, l'autorité n'a pas encore pu nous répondre sur le sujet.

Des antécédents rendent l'Avicca frileuse

L'association pointe deux cas qui l'ont marquée au fer rouge. Deux mises à niveau de réseaux lancés avant le plan France THD, qui ont dû l'être « dans la douleur ». Le premier est le SIEA dans l'Ain, le bébé de Patrick Chaize (président de l'Avicca), qui a dû être revu pour accueillir Orange, après une longue bataille. Le second est celui du Pays de Bitche, nommé Tubéo, qui a été revu pour l'opérateur historique, après condamnation de l'Arcep.

Ces collectivités étaient de bonne foi, pense l'Avicca, en l'absence de règles établies lors de leur construction. Malgré tout, l'Arcep les a sommés de rentrer douloureusement dans le rang.

« Imaginez quelle pourrait être la position de ce même régulateur, alors que la collectivité ne pourrait pas se targuer d'une absence de réglementation à l'époque. Quand vous êtes dans votre droit, on vous donne tort. Alors, si en plus vous êtes dans le tort dès le début... Je ne donne pas cher d'une collectivité face à un acteur qui voudrait lui faire la peau » appuie le lobby de collectivités.

Une pénurie sur la « G657A2 »

Les réseaux d'initiative publique sont plus durement touchés que les opérateurs privés par la tension sur la fibre. Leurs commandes arrivent plus tard, avec moins de visibilité sur leur calendrier. Ils sont donc des clients moins prioritaires pour des producteurs de fibre (français et étrangers) qui débitent plus de 500 millions de kilomètres de fibre par an.

Pour l'Avicca, il n'est pas question de déployer de la « G652D » entre le point de mutualisation (qui regroupe les connexions des habitations d'un quartier) et le client. C'est le rôle de la « G657A2 » et il doit le rester, martèle l'association.  « On ne veut pas entendre parler de la réouverture du dossier entre le point de mutualisation et point de branchement optique. C'est un non-sujet total. »

Pour le reste, aux opérateurs de décider. Sur les réseaux de transport (ceux reliant de longues distances), elle suivra l'avis des opérateurs, même si sa préférence va à la « G652D ».

Surtout, l'organisation change de discours sur le manque de fibre. Jusque-là, elle refusait de parler de pénurie, préférant évoquer une « tension » entre production et demande, qui rend l'approvisionnement en fibre difficile, mais n'arrête pas net les travaux.

« Il n'y a pas de pénurie de fibre optique, mais de fortes tensions. On peut tout de même dire qu'il y a une pénurie de G657A2 », assure aujourd'hui Ariel Turpin. La raison : un manque de préforme (les barreaux de silice qui donnent la fibre) sur cette variété.

Comme si ce n'était pas suffisant, le lobby note aussi que la production française, importante, n'est pas réservée à la « G657A2 » si demandée. Les industriels produiraient une partie de « G652D » pour l'export, ce qui complique encore le problème.

L'enjeu actuel est donc de trouver de bonnes sources de la précieuse « G657A2 » à l'étranger, qui existent. Les membres de l'Avicca répertorient désormais de bons producteurs étrangers, et « d'autres qui nous inquiètent beaucoup plus ». Les niveaux de qualité varieraient beaucoup, sur des choses comme les micromodules, l'étanchéité des câbles ou leur couleur, qui empêcherait par exemple de différencier du jaune et du rouge (tirant tous deux vers orange).

Cette pénurie probable de G657A2 rend donc le risque juridique d'autant plus épineux. Sans garantie de pouvoir intervertir un autre type de fibre en toute sécurité, des réseaux publics pourraient être tentés d'arrêter leurs travaux, par sécurité. Même si cette situation resterait, pour le moment, hypothétique.

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