L’eurodéputé Philippe Lamberts dénonce « l’amalgame » fait après le rejet de la réforme proposée par Axel Voss, le rapporteur de la directive sur le droit d’auteur. Selon le parlementaire belge du groupe des Verts/Alliance libre européenne, les garanties proposées par le texte étaient, en toute évidence, insuffisantes.
Le 5 juillet dernier, le Parlement européen a rejeté le mandat de négociation du rapporteur Axel Voss. Le texte ébauché en commission des affaires juridiques, plébiscité par les ayants droit, n’a pas su convaincre la majorité des eurodéputés. La réforme a été repoussée par 318 voix, face à 278 voix « pour » et 31 abstentions. Le projet de directive n’est pas abandonné pour autant. Il est remis sur la planche avec un examen en séance plénière le 12 septembre.
En attendant, dans le monde de la culture, la cause de cet échec a rapidement été identifiée. Pascal Rogard, patron de la SACD, a adressé ses « félicitations aux GAFA ». Une manière élégante de rejoindre le sénateur David Assouline pour qui « le lobbying agressif et menaçant » de ces géants du numérique est signe d’« un problème démocratique très grave auquel il faudra répondre de façon urgente ».
L’index pointé dans la même direction, la SCAM a déploré « qu’une majorité de députés ait visiblement cédé aux campagnes de propagande des acteurs dominants du numérique aux moyens financiers hors normes consacrés au lobbying ». Et pour la SACEM, c’est bien simple, les « GAFA » ont été les « chefs d’orchestre d’une campagne populiste contre les artistes et les créateurs au Parlement européen ! ».
Du côté des opposants au texte d’Axel Voss, l’analyse est loin d’être partagée. L’eurodéputé Philippe Lamberts, du groupe des Verts/Alliance libre européenne comme Julia Reda, étrille « l’amalgame » ainsi fait, au fil d’une interview qu’il a bien voulu nous accorder.
Comment expliquez-vous le rejet du mandat d’Axel Voss par la majorité des eurodéputés ?
Il y a eu des objections faites par la société civile et visiblement elles ont été majoritaires. Je crois qu’il y a deux forces qui se sont combinées. Ceux qui veulent défendre un Internet le plus ouvert possible et les géants des plateformes. Ce qui a été particulièrement désagréable est qu’on nous a mis, nous – les opposants au texte, à une censure excessive, favorables au maintien de l’ouverture – dans le même sac que les grandes plateformes, elles aussi adversaires. Maintenant, est-ce qu’on obtiendra un meilleur texte lors du réexamen en commission ? Je ne peux encore le dire évidemment.
À en croire les sociétés de gestion collective, l’explication de ce rejet a une unique origine : les « GAFA »...
Évidemment, mais ça, c’est de l’amalgame. Je ne supporte pas qu’on en fasse. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles on peut être opposé au texte. Les nôtres sont publiques, nous les avons communiqués. Cela ne fait pas de nous des défendeurs des plateformes ! C’est une exagération, pire un amalgame dont le but est de discréditer les opposants au texte.
Comment expliquer que la quasi-totalité des eurodéputés français aient soutenu ce texte ?
Il faut leur demander, je ne suis pas Français et ne peux faire l’exégèse de leur vote. Est-ce que le lobbying a été plus intense ? Est-ce les arguments des auteurs ? Si c’est le cas, ils se sont trompés puisque le texte ne défend pas vraiment les auteurs, mais surtout les droits des éditeurs... Ce n’est pas exactement la même chose.

Selon les partisans de l’article 13, celui-ci n’est en rien attentatoire à la liberté d’expression...
Sur cette question, on oblige bien les plateformes à filtrer. On a beau dire que ce n’est pas le cas, c’est bien dans le texte. Les plus petites vont devoir mettre en œuvre des outils qu’elles n’ont pas les moyens de développer. Autrement dit, c’est une manière de favoriser les plus grandes ! Ce texte va être utilisé pour filtrer au maximum. Dès l’instant où les plateformes seront en responsabilité, cela réduira la liberté de publier des contenus sur Internet.
Vous parlez des petites plateformes, mais l’article 13 évoque la mise en œuvre de mesures « proportionnées »
Bien sûr, mais pour nous les garanties ne sont pas suffisantes, c’est pour cela qu’on a voulu renvoyer ce texte en commission pour réexamen. Avec ma collègue Julia Reda, en charge du dossier, nous avons tenté à plusieurs reprises d’insérer dans le processus des mesures de protection des auteurs, mais elles n’ont pas été retenues. Voilà pourquoi nous présenter comme les adversaires des créateurs, les partisans du tout gratuit, est plus qu’un abus de langage. C’est une mystification.
Quelles vont être les suites de ce rejet ?
Avec ce retour en commission, il va falloir reconstruire un équilibre politique et trouver une majorité au Parlement européen. Il y a toujours un risque que le texte n’aboutisse pas. J’ai connu cela avec la tentative de réforme des structures bancaires où nous n’avions trouvé que des majorités négatives. Ici, nous avons trouvé une telle majorité, mais tous ceux qui ont voté « contre » ne s’entendent pas sur ce que devrait être le texte final. Est-ce qu’on peut trouver une majorité positive à l’issue de la négociation ? C’est ce que nous espérons. C’est le travail qui le démontrera.