L'an dernier, le marché de la musique enregistré a progressé de près de 4 % en France, porté par une croissance de 15 % du streaming. Une tendance que YouTube grèverait à lui seul, via son abondante offre gratuite, qui détournerait les internautes des plateformes payantes.
Le 3 juillet, le Syndicat national de l'édition phonographique (Snep) a publié sa synthèse du marché français de la musique enregistrée. Il affiche sa deuxième année de croissance en 15 ans, avec un chiffre d'affaires de 583 millions d'euros (+3,9 %). Une bonne performance qui ne suffit pas au Snep, pour qui le marché français « représente aujourd’hui seulement 40% du marché d’il y a 15 ans ».
Le numérique porte le marché, et plus particulièrement le streaming, qui s'accapare une part toujours plus grande du gâteau. Ce marché voit ses revenus grimper de 14,7 % en un an (285 millions d'euros), alors que le marché physique est passé sous la barre des 300 millions d'euros (298 millions), via une baisse « modérée » (-4,7 %).
La production française se porte d'ailleurs bien : 18 des 20 albums les plus vendus (et écoutés) sont français, et 43 des 50 premiers. Malgré tout, le syndicat a des raisons de se plaindre, en premier lieu avec YouTube, qui détournerait les internautes du streaming payant. La majeure partie des revenus du numérique provient de ces offres, qui sont rapidement amenées à dominer le marché.
Le streaming payant, pilier de la musique
En dix ans, le marché de la musique enregistrée est passé du tout physique (près de 93 % des revenus en 2013) à une quasi-parité avec le numérique, qui compte pour 48 % des revenus (48 %) en 2017. Il y a des chances que 2018 signe le dépassement du marché physique par le numérique.
Le streaming est passé de 35,1 % des revenus en 2016 à 41,6 % en 2017. Il grignote à la fois les ventes physiques et les téléchargements, passés de 7,7 % à 6 % en un an. À lui seul, le streaming représente 85 % des revenus numériques (243 millions d'euros), écrasant désormais le téléchargement et la téléphonie mobile.
Sur ces 243 millions d'euros, 203 millions viennent du streaming audio payant (Apple Music, Deezer ou Spotify). Les revenus du streaming vidéo, principalement de YouTube, représentent 11 % de ces revenus (environ 27 millions d'euros). Selon les chiffres du Snep, sa part remonte tout de même pour la première fois depuis cinq ans, étant d'à peine 7 % en 2016.
Le streaming audio gratuit (avec publicité) représente donc à peine 14 millions d'euros. Il reste donc un produit d'appel vers les formules payantes.
« 42% des Français déclarent écouter leurs artistes sur les plateformes de streaming » dans une étude GFK, note l'organisation. Fin 2017, la France compte donc 4,4 millions d'abonnés au streaming payant, contre 3,9 millions en 2016 et à peine 1,4 million en 2013. Une multiplication par trois en cinq ans, donc.
Malgré tout, seul un « streamer » sur six est abonné à un service. Pour près de la moitié de ces abonnés, l'écoute illimitée sans publicité motive à payer. Notons que 27 % partagent leur compte et 17 % utilisent celui de quelqu'un d'autre, toujours selon GFK.
Des plateformes payantes pleines de vertus
Au total, les Français ont écouté 42,5 milliards de titres en audio l'an dernier, une explosion face aux 28 milliards de 2016. Là-dedans, 94,5 % viennent du streaming (+4,3 points en un an). De quoi compenser la baisse des écoutes physiques.
« Entre 2016 et 2017, les ventes d’albums ont baissé de 9%. Mais en intégrant l’écoute en streaming, la consommation globale d’albums progresse de près de 12,7% » écrit ainsi le Snep, qui compte 53,4 millions d'albums écoutés.
Pour parler volumes, on parle de deux millions d'albums physiques en moins (29,2 millions l'an dernier), 700 000 albums en téléchargement en moins (3,5 millions) mais 9 millions de plus streamés (20,7 millions, contre 11,5 millions en 2016). En parallèle, 300 millions de titres ont été écoutés « en équivalent vente » tous supports confondus.
Selon GFK, les streamers écoutaient en moyenne 8h49 de musique par semaine, soit 30 minutes de mieux par rapport à 2016. Ce temps passe à 13h21 pour ceux payants un service de musique. 83 % des sondés écoutent sur ordinateur, 74 % sur smartphone et... 23 % sur télévision.
Outre leurs vertus pour le financement et le temps d'écoute, les plateformes de streaming ont un autre avantage : la prescription. Plus d'un tiers (37 %) des sondés disent écouter des morceaux ou albums recommandés, et 47 % des artistes poussés par ces services. De quoi provoquer quelques débordements, comme celui de Spotify avec Drake.
Le grand méchant YouTube
Remarquons que selon MusicUsages, 36 % des « streamers » n'écoutent leur musique qu'en vidéo. C'est un gros potentiel de revenus pour l'industrie musicale, qui cherche depuis des années à mieux rémunérer chaque écoute sur YouTube, qui se finance toujours en majorité par la publicité.
YouTube est de loin le service de musique le plus connu, selon GFK, avec 94 % de notoriété, devant Deezer (84 %), Dailymotion (74 %) et Spotify (65 %). Qobuz, lui, est connu de 6 % des sondés. 83 % des utilisateurs de la plateforme vidéo de Google y viendraient pour écouter de la musique.
Le streaming vidéo touche donc plus de monde : 78 % des sondés par GFK ont récemment streamé de la musique en vidéo, contre 64 % en audio. L'argument-massue : la gratuité.
À elle seule, la plateforme de Google représente 46 % du temps d'écoute de musique en ligne, selon l'organisation. Elle se plaint donc du manque à gagner causé par cette offre gratuite abondante, qui découragerait des internautes de passer à une offre payante.
Tous ces facteurs mènent à une complainte connue de l'industrie musicale : YouTube ne rémunère pas assez. Pis, elle enlève le pain de la bouche des artistes, en conservant une trop grande part des revenus publicitaires. Un combat de longue haleine, qui pourrait évoluer avec l'arrivée récente de YouTube Premium en France et d'éventuelles évolutions des plateformes de streaming payantes pour attirer de bassin d'abonnés potentiels.
Le marché physique tient
Le Snep se réjouit tout de même de la « résilience » du marché physique. « Certes, [il] a perdu plus de la moitié de sa valeur depuis 2007 mais cette baisse s’est ralentie depuis 2 ans » écrit l'organisation. Les magasins tiennent bon, avec des chaines comme Cultura, E. Leclerc ou la Fnac, qui disposent toujours de 4 100 points de vente.
Le syndicat pointe aussi le succès des ventes physiques à distance, qui représentent encore 16 % des revenus de la musique enregistrée, et progressent toujours pour la culture en général. Il s'est d'ailleurs vendu 4 fois plus de vynils en cinq ans (soit 3,1 millions de rondelles), à 90 % via des enseignes spécialisées. Ils « représente[nt] aujourd’hui 12.2 % du chiffre d’affaires physique, soit 10 fois plus qu’il y a 5 ans », malgré un top 3 des albums loin des nouveautés (Nirvana et Amy Winehouse).
Le débat sur la directive droit d'auteur
Le rapport est aussi l'occasion d'envoyer quelques messages politiques. Publié le 3 juillet, il a précédé le vote du 5 juillet, où le texte a été rejeté d'une courte tête, après un lobbying intense. Dans sa rédaction actuelle, il introduit un droit voisin sur les moteurs de recherche (à l'adresse des éditeurs de presse) et un filtrage des contenus lors de leur mise en ligne sur les plateformes. La cible affirmée est Google et YouTube, que l'industrie culturelle veut contrôler de plus près.
Le discours du Snep n'en reste pas moins clair : « L’Europe s’apprête en effet à rappeler avec force que la rémunération de la création ne saurait être l’accessoire mais bien l’essentiel du combat en faveur du respect du droit d’auteur » anticipait, avec optimisme, Guillaume Leblanc, le directeur général du Snep.
Le syndicat félicite au passage le gouvernement français, « qui n’a eu de cesse depuis 4 ans, indépendamment des majorités qui se sont succédées, de soutenir ardemment le principe d’une juste rémunération des contenus au sein des enceintes bruxelloises ».
La directive reviendra dans les travées du Parlement européen à la rentrée, sûrement en septembre, pour être débattue par l'ensemble des eurodéputés.